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Société

Virée du collège pour une jupe : les dérives de la loi de 2004

La laïcité falsifiée

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mercredi 15 Mai 2013 à 07:00

           

C’est l’histoire d’une injustice. Sirine, 15 ans, a été exclue de son collège à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) pour avoir porté un bandeau couvrant une petite partie de sa chevelure et une jupe longue. Cette tenue, jugée islamique par la direction de son établissement, lui a valu son exclusion. Epaulée par sa famille et le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), Sirine est déterminée à se battre pour faire reconnaître la discrimination dont elle a été victime. Elle s’est confiée à Saphirnews à la veille d'une décision administrative importante pour elle.



Virée du collège pour une jupe : les dérives de la loi de 2004
Le 4 décembre 2012, Sirine, élève de 3ème dans un collège de Villiers-sur-Marne, se fait interpeller par son professeur d’histoire-géographie. Il l’apostrophe au sujet du bandeau couvrant une partie de ses cheveux. Pour lui, il ne fait aucun doute : il s’agit d’un « signe religieux ostentatoire ». Il lui demande alors à « trois reprises de l’enlever », nous raconte Sirine.

Surprise, la collégienne lui répond que ce bandeau frontal de 5 cm n’est pas un signe religieux. « J’ai refusé de l’enlever car il n’y avait pas que moi qui porte un bandeau » au collège, explique-t-elle. Son professeur décide alors de l’envoyer au secrétariat de la principale du collège. C’est le début d’un long épisode douloureux pour la jeune fille.

Quatre mois sans cours

Son exclusion de ce cours est effectivement le point de départ d’une injustice pour Sirine. La principale juge également que sa tenue est « religieuse ». Outre son bandeau, sa jupe longue lui est reprochée.

Le même jour, Sirine et sa mère sont reçues pour un entretien avec la principale, son adjoint, deux conseillers principaux d’éducation (CPE) et deux professeurs. Au cours de cet échange, on lui explique qu’avec son « couvre-chef », elle ne « pouvait pas bien écouter » les cours et on lui signifie que sa jupe représente un « danger » pour les autres élèves dans les escaliers, raconte la jeune fille.

Après l’entretien, les responsables font signer une décharge à sa mère sans la prévenir de la sanction retenue. Ce n’est que le lendemain que la collégienne est confrontée à un sort bien particulier : elle est mise à l’écart de ses camarades. « Je suis mise en isolement. Tous les jours, je devais aller en permanence et je n’avais pas le droit d’être en contact avec les autres élèves », raconte Sirine.

Chaque matin, les surveillants viennent la chercher à la grille. « Ils criaient "Escorte pour Sirine" et on venait me chercher », précise la collégienne. Ce manège va durer quatre mois. En permanence, elle ne peut plus suivre les cours et ne va avoir qu’une seule note.

Exclue pour port de signes religieux

Entre-temps, deux mois après sa mise à l’écart, Sirine a décidé de faire appel au Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF). Grâce à l’association, elle parvient à porter plainte alors que le commissariat leur offrait uniquement la possibilité de déposer une main courante.

Le 4 mars, le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) donne gain de cause à la collégienne et ordonne sa réintégration dans sa classe estimant qu’elle a accumulé déjà beaucoup de retard, « préjudiciable à sa scolarité ». Le juge, qui a pu voir Sirine à l’audience, a également pu constater que sa tenue n’avait pas de caractère religieux, commente Lila Charef, la responsable juridique du CCIF.

« Dans ses motivations, le juge a repris la loi du 15 mars 2004 qui autorise les élèves à porter des signes discrets en dehors de signes visibles comme le voile, la kippa ou une grande croix. Cette loi concerne d’une part ceux dont le port d’une tenue religieuse se manifeste ostensiblement. D’autre part, cette loi sanctionne les élèves qui n’ont pas de tenue clairement religieuse mais dont le comportement est ostensible », précise Mme Charef.

Le Conseil d'Etat lui donne tort

C’est après le jugement du tribunal administratif que l’école met en avant « un problème de comportement » de Sirine pour défendre sa décision, note la juriste. Alors que son attitude n’avait jamais été pointé du doigt, « on essaye petit à petit de montrer qu’elle avait un comportement revendicatif et on met en avant ses absences » pourtant justifiées par la maladie, fait savoir Mme Charef.

Le Conseil d’Etat, saisi en appel par le collège, annule alors le jugement du tribunal le 19 mars. Il concède toutefois qu’un doute subsiste sur le caractère religieux de la tenue de Sirine. La collégienne n’aura finalement réintégré sa classe que deux jours : après ce jugement, Sirine passe en conseil de discipline. Elle est définitivement exclue du collège le 5 avril pour port de signes religieux.

La loi du 15 mars 2004, « une boîte de Pandore »

Pour appuyer sa décision, le Conseil d’Etat a estimé que l’établissement a engagé un dialogue avec la famille de la collégienne. Mais pour le CCIF, il n'en fut rien. « Ce n’est pas un dialogue mais plutôt un monologue. On demande à la famille de se soumettre. Il n’y a pas de terrain d’entente », dénonce Lila Charef.

« La loi du 15 mars 2004 est une brèche qu'on ouvre, une boîte de Pandore. Elle s'est même étendue aux mamans voilées accompagnant les élèves en sortie scolaire, aux services publics, aux clubs de sport. On en arrive à se demander si la jupe est un accessoire associé à l’islam », fustige la juriste, faisant remarquer que Sirine se rendait parfois au collège sans son bandeau et avait même réduit sa largeur. Malgré cela, elle n’a jamais été autorisée à réintégrer sa classe.

Alors que plusieurs de ses camarades portent des bandeaux et des longues jupes, la direction de l’établissement de Sirine semble s'être acharnée sur elle car il était connu qu'elle porte le voile en dehors de l’établissement scolaire bien qu'elle n’ait jamais enfreint le règlement en pénétrant dans l’enceinte du collège voilée.[

Un nouveau collège pour Sirine

Cette épreuve aura coûté quatre mois de scolarité à Sirine qui a connu une dépression. Indignés par le traitement discriminatoire de son école, de nombreuses personnes ont tenu à délivrer des messages de soutien à la collégienne via le CCIF. Le sociologue Marwan Mohammed, vice-président de l’association C’noues à Villiers-sur-Marne, lui a adressé une lettre publique publiée sur le site de Libération. Elle a fait largement le tour des réseaux sociaux.

La mère de Sirine entend toujours poursuivre l’affaire en justice. « Nous avons six mois pour saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour contester la décision du Conseil d’Etat. Nous avons aussi la possibilité de contester la décision du conseil de discipline auprès de la commission rectorale », fait savoir dans ce sens Mme Charef du CCIF.

Ce dernier recours a d'ores et déjà été engagé par la famille. Une décision est attendue jeudi 16 mai. Si elle penche en sa faveur, ce sera surtout une victoire de principe car Sirine ne réintégrera sûrement pas l'établissement qui l’a humilié. Elle est à présent élève d'un autre collège qui l’a accueilli « à bras ouverts ». Elle suit des cours de soutien pour rattraper son retard et préparer au mieux le brevet. Sa réussite scolaire sera sa revanche.






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