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Points de vue

L’explosion de l’islamophobie en France, symptôme d’une société malade

Rédigé par Nicolas Bourgoin | Mercredi 13 Novembre 2013 à 06:00

           


Depuis plus de 10 ans, les agressions contre les musulmans se multiplient en France. En 2012, près de 500 actes envers des institutions ou des individus ont été recensés, 200 de plus qu’en 2011 et 300 de plus qu’en 2010. En moyenne, une institution chaque semaine et un individu chaque jour sont victimes d’actes d’hostilité, dégradation ou agression physique. Et encore, ne s’agit-il là que des seuls actes déclarés par les victimes, un grand nombre d’entre elles préférant se taire. Totalement occultée par les médias dominants, l’islamophobie n’en fait pas moins des ravages dans notre société. Cette évolution massive des opinions et des comportements est l’indice d’une transformation profonde du champ politique, elle-même étant le reflet de mutations plus larges, notamment économiques.

L’islamophobie explose en France. Selon le rapport du Collectif contre l’islamophobie en France, les agressions physiques ou verbales contre les musulmans ont augmenté de 57 % en 2012 par rapport à l’année précédente. Depuis 2005, leur fréquence a quasiment décuplé. Les atteintes interpersonnelles (agressions verbales ou physiques) ont connu une croissance pharamineuse avec 27 fois plus de cas recensés en 2012 qu’en 2008. Les institutions sont régulièrement la cible d’actes de vandalisme ou de dégradation en nombre croissant : ces actes ont été en 2012 cinq fois plus fréquents qu’en 2007 et ceux visant les mosquées ont été deux fois plus nombreux en 2012 qu’en 2011. L’islamophobie se banalise et touche désormais tous les secteurs de la société : « Nous observons une mutation de l’islamophobie, qui après avoir été longtemps et majoritairement l’œuvre des services publics, s’enracine désormais dans le monde du travail, dans le secteur privé, sous la forme d’atteintes interpersonnelles ou d’agressions. La France est passée d’une islamophobie politique à une islamophobie culturelle, relayée politiquement », note le CCIF dans son rapport annuel. Le rôle joué par les médias dans cette diffusion est déterminant.

La construction médiatique du « problème musulman » (1)

L’agenda politico-médiatique des affaires relatives à la question musulmane semble influencer fortement la fréquence des agressions anti-islam. La forte recrudescence d’actes islamophobes correspond à une actualité où la couverture médiatique de l’islam et des musulmans est forte : en 2004, année des débats sur le vote de la loi interdisant le port du hijab à l’école publique, en 2009 au moment du débat sur l’identité nationale et en 2010 au moment du vote de la énième loi ant-voile. L’année 2012 connaît des pics sensibles en avril-mai et en septembre-octobre, aux périodes de l’affaire Mohamed Merah et aux moments de la sortie de la vidéo raciste L’innocence des musulmans, de la publication des caricatures du prophète par Charlie Hebdo et de l’épisode du pain au chocolat de Jean-François Copé. « Cela fait plusieurs années que le CCIF constate cette corrélation entre le traitement médiatique et politique du fait musulman en France et la hausse du passage à l’acte islamophobe », lit-on dans le rapport.

Pour l’opinion, les sujets abordés par les médias étant par définition dignes d’intérêt, on comprend qu’un sujet médiatiquement surinvesti acquiert facilement le statut de problème prioritaire. Si les politiques et les médias sont à ce point obsédés par la question de l’Islam, c’est le signe évident que cette religion pose problème. Dans une étude plus large, on notait une relation similaire entre fréquence des articles ou des émissions traitant de la délinquance et variation du sentiment d’insécurité (préoccupation pour la délinquance) (voir ici). Tandis que les lois anti-voiles banalisent la discrimination en la légalisant, les campagnes ou débats publics autour de l’Islam ont pour effet de libérer la parole islamophobe (ceux de l’automne 2009 à propos de l’identité nationale ont été sur ce point exemplaires). Les deux combinés ouvrent la porte à toutes les dérives et ne peuvent qu’encourager les agressions contre la communauté musulmane et ses institutions.

Les machines de guerre islamophobes : laïcité et féminisme

L’islamophobie aime se présenter sous le masque respectable de la laïcité. Dernière manœuvre politicienne en date, la promulgation d’une charte de la laïcité à l’école a été une nouvelle fois l’occasion de s’attaquer aux signes extérieurs de la pratique religieuse des musulmans et de stigmatiser cette communauté (voir ici. En réalité, cette laïcité que revendiquent les politiques est à géométrie variable : tandis que l’on stigmatise l’Islam à travers les manifestations visibles de sa pratique, on ne craint pas de défendre « l’identité judéo-chrétienne » de la France ou ses « racines juives » (voir ici.

Alors que les victimes des actes islamophobes déclarés sont très majoritairement des femmes, certaines associations féministes combattent ouvertement le port du voile et ont milité activement pour son interdiction, en particulier le collectif Ni Putes Ni Soumises (voir ici). Rappelons que les femmes voilées sont une cible privilégiée de la violence islamophobe, celles-ci représentant plus des 3/4 de l’ensemble des victimes et que cette violence est souvent une violence d’État, au moins un fonctionnaire étant mis en cause dans plus de 40 % des cas recensés. Dans deux cas sur trois, il s’agit d’un fonctionnaire de l’Education nationale, dans un cas sur sept, d’un fonctionnaire de police. Mais cette contradiction manifeste ne semble pas beaucoup gêner l’association Ni Putes Ni Soumises toujours prompte à stigmatiser le sexisme des jeunes maghrébins et à combattre le port du voile dans des campagnes à forts relents néocoloniaux.

L’idéologie islamophobe au service de la classe dominante

« Les idées dominantes d’une époque sont les idées de la classe dominante », écrivait Marx. Ainsi, il s’est construit un véritable consensus national sur l’idée que l’islam pose problème et notamment qu’il constitue une menace pour la laïcité. Consensus fabriqué de toutes pièces par les médias dominants soumis aux logiques financières des grands groupes capitalistes, dont certains journalistes n’hésitent pas à tenir des propos ouvertement islamophobes (voir ici. Ce consensus est d’autant plus fort qu’il apparaît comme un moyen efficace dont disposent la classe dominante et son État pour faire diversion face à la crise. La maîtrise des flux migratoires et la stigmatisation des populations immigrées et de leurs enfants au travers de lois sécuritaires et discriminatoires permettent au gouvernement de retrouver une part de la souveraineté qu’il a perdue dans son impuissance manifeste à combattre efficacement la crise économique et sociale du fait des contraintes budgétaires européennes auxquelles il est soumis avec une intensité croissante, tout en canalisant les colères populaires contre un ennemi imaginaire.

Face au désarroi provoqué par les politiques d’austérité, le musulman est appelé à jouer le rôle de bouc émissaire, et il excelle d’autant plus dans ce rôle qu’il en cumule toutes les qualités : sans soutien, visible et socialement dominé. La stigmatisation dont il est l’objet semble être sans limites. L’islamophobie se diffuse dans tous les espaces sociaux : les femmes voilées sont exclues d’un nombre croissant de lieux du fait de l’empilement des lois votées depuis 10 ans (voir ici, sans même parler de celles à venir (voir ici, la discrimination à l’égard des musulmans s’amplifie et ceux-ci se voient de plus en plus fréquemment privés d’accès à certains services comme ceux proposés dans les auto-écoles, les salles de sport, les centres de bronzage ou de beauté, les restaurants, les centres de formation professionnelle,… en raison des signes de leur appartenance religieuse.

Nouvelle idéologie dominante, l’islamophobie se banalise non seulement dans les actes et mais aussi dans les esprits : d’après une récente enquête, les Français soutiennent très largement (à 87 %) la crèche Baby Loup dans son différend avec une salariée musulmane voilée qu’elle a licenciée et se déclarent favorables (à 84 %) à une loi interdisant les signes religieux ou politiques dans les entreprises privées. Droite et gauche confondues, le consensus islamophobe est aujourd’hui quasi-total (voir ici.

L’islamophobie fait le lit du fascisme

En un peu plus de 10 ans, la présence musulmane est devenue un véritable problème de sécurité intérieure : loi antiterroriste de Daniel Vaillant, lois discriminatoires anti-voile de Sarkozy, racisme anti-arabe assumé de Brice Hortefeux, croisades antimusulmanes de Claude Guéant, délires islamophobes de Manuel Valls (ce dernier renie d’ailleurs le terme même, … les ministres changent, la ligne politique reste identique : taper encore et toujours sur le musulman. La lepénisation des discours et des pratiques atteint la quasi-totalité du corps politique français qui reprend à son compte la rhétorique frontiste sur « l’islamisation de la France », la « menace intégriste » ou le « communautarisme musulman ». Ce véritable racisme d’État qui se met peu à peu en place n’est pas sans rappeler les lois de Nuremberg adoptées dans un contexte d’ailleurs similaire au nôtre (crise économique et sociale et tensions internationales).

Aux mêmes causes, les mêmes effets. Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise, écrivait Bertolt Brecht. L’exclusion progressive des musulmans de la société française, comme d’ailleurs des autre sociétés européennes également touchées par les politiques d’austérité, ne peut que contribuer à lui donner raison.

(1) J’emprunte cette expression à Marwan Mohamed dont on lira avec profit le dernier ouvrage : « Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman » (avec Abdellali Hajjat), Éditions La Découverte.

Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.





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