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Société

Jean Baubérot : « La nouvelle laïcité atrophie les libertés individuelles »

Rédigé par Pauline Compan | Vendredi 3 Février 2012 à 00:00

           

Universitaire reconnu, Jean Baubérot est spécialisé sur les questions sociales liées à la laïcité. Il sort un nouveau livre aux éditions de La Découverte, « La Laïcité falsifiée » où il explique un détournement du sens originel de la loi de 1905, au profit d’une laïcité « culturelle et identitaire », dangereuse pour les libertés et le vivre-ensemble. Un livre qui tombe à pic dans le débat politique, à trois mois de l'élection présidentielle.



Le sociologue Jean Baubérot.
Le sociologue Jean Baubérot.
Universitaire émérite, Jean Baubérot est historien et sociologue de la laïcité, créateur de la première chaire de l’enseignement supérieur consacré à la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE).
Il défend une laïcité pacifiée qui sortirait de la logique du « tout ou rien ». « Il ne faut pas que les religions demandent tout mais il ne faut pas que la laïcité n’accorde rien. »
Saphirnews lui a posé quelques questions sur son dernier livre* et sur l’actualité récente.

Saphirnews : Dans « La Laïcité falsifiée », vous évoquez la mise en place d’une « nouvelle laïcité » par opposition à la « laïcité historique » de 1905 ?

Jean Baubérot : En 2003, dans un rapport, François Baroin théorise une certaine vision de la laïcité. A l’époque, il commence par exprimer la nécessité de faire de la laïcité une valeur de droite, dans un contexte où le président du Front national (FN) avait réussi à se hisser au second tour d’une élection présidentielle. Dans ce rapport, il insiste sur l’aspect culturel et identitaire de la laïcité et, là, sûrement sans en avoir conscience, il a ouvert une brèche à Marine Le Pen.
Or il faudrait désormais se recentrer sur la laïcité de la loi de 1905, c’est le seul moyen de sortir de l’impasse actuelle.

Vous revenez sur ce que vous appelez « les événements » de l’hiver 2010 jusqu’à aujourd’hui encore...

J. B : A partir de la campagne interne qui a eu lieu pour la succession à la présidence du FN, il y a eu une surenchère sur cette « laïcité culturelle et identitaire ». Marine Le Pen a astucieusement utilisé le terme comme un paravent à son islamophobie. Elle a ainsi doublé Bruno Gollnisch sur sa droite et, en même temps, elle s’est recentrée sur la tradition républicaine qui porte ce terme.
De là, la droite a commencé la course aux voix d’extrême droite, que Sarkozy avait ralliées en 2007. La gauche a été surprise et a aussi donné dans la surenchère laïque pour reprendre la main dans le débat.

Cette « nouvelle laïcité » atrophie des principes fondamentaux de la loi « historique » de 1905…

J. B : La loi de 1905 repose sur quatre fondamentaux : la neutralité de la puissance publique, arbitre des relations sociales ; la séparation des Eglises et de l’Etat ; la garantie de la liberté de conscience ; et l’égalité des droits, qui se traduit en terme plus moderne par un principe de non-discrimination.
Actuellement, on galvanise la neutralité, mais de manière biaisée : nous tendons de plus en plus vers une obligation de neutralité de l’individu, ce qui n’est pas l’esprit de la loi de 1905.
D’un autre côté, la multiplication des lois restrictives pour les femmes voilées (interdiction d’accompagnement des sorties scolaires, projet de loi sur l’obligation de neutralité des nounous à domicile...) atrophie l’égalité des droits et la liberté de conscience des individus.
Ces atteintes à la liberté de conscience et à l’égalité entre les religions créent un climat dangereux pour tout le monde, avec une conception plutôt liberticide de la laïcité.

Comment réagissez-vous à la proposition du candidat Hollande de constitutionaliser la loi de 1905 ?

J. B : L’idée va dans la bonne direction, mais cela implique d’ouvrir le débat sur le statut des trois départements du Concordat d’Alsace-Moselle.
Vouloir constitutionnaliser à la fois la loi de 1905 et l’exception d’Alsace-Moselle n’a pas de sens et constitue une faute politique. C’est l’occasion, au contraire, d’ouvrir le dialogue avec les Alsaciens-Mosellans.

Comment analyser cette proposition ?

J. B : Je pense qu’il a voulu faire une proposition forte pour ne pas avoir à entrer dans les détails du débat qui risquerait de l’égarer. Mais, désormais, il importerait plutôt de pousser la logique jusqu’au bout !


* La Laïcité falsifiée, de Jean Baubérot, éditions La Découverte, 2012, 212 pages, 17 €.







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