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Points de vue

La France, laboratoire d'islamophobie

Rédigé par Errafiq Entretien avec maria | Mardi 22 Juin 2004 à 00:00

           

Au Collectif contre l’Islamophobie, Maria Errafiq, est chargée des relations extérieures. C’est à ce titre qu’elle a participé, du 1er au 6 juin 04, à un séminaire sur 'L’islamophobie et ses conséquences sur les jeunes'. Organisé par le Conseil de l’Europe, à Budapest, ce séminaire a réuni aussi des chercheurs français comme M. Vincent Geisser, M. François Saint- Angelo de Belgique, membre de la commission européenne contre le racisme et l’intolérance. Myriam Yassine, d’Italie, membre du conseil de la jeunesse. De retour de Budapest Maria a accepté de nous entretenir de son séjour.



Au Collectif contre l’Islamophobie, Maria Errafiq, est chargée des relations extérieures. C’est à ce titre qu’elle a participé, du 1er au 6 juin 04, à un séminaire sur 'L’islamophobie et ses conséquences sur les jeunes'. Organisé par le Conseil de l’Europe, à Budapest, ce séminaire a réuni aussi des chercheurs français comme M. Vincent Geisser, M. François Saint- Angelo de Belgique, membre de la commission européenne contre le racisme et l’intolérance. Myriam Yassine, d’Italie, membre du conseil de la jeunesse. De retour de Budapest Maria a accepté de nous entretenir de son séjour.

Saphirnet.info : Quel était l’objectif du Conseil de l’Europe en organisant ce séminaire ?

Maria Errafiq : Il s’agissait de réunir des jeunes en provenance de toute l’Europe afin de confronter, entre elles, les différentes réalités de l’islamophobie. Le but étant de mieux savoir de quelles manières elles se manifestaient et quelles étaient leurs conséquences. A partir de ce constat, le Conseil de l’Europe se prépare à faire des recommandations aux différents acteurs politiques lors d’un conseil des ministres de l’Union européenne, mais aussi aux acteurs médiatiques et éducatifs concernés.

Quelles sont les formes de l’islamophobie dans les autres pays européens et en quoi se distinguent-elles de l’islamophobie française ?

En France, la situation est concrètement bien plus grave car les discriminations de nature islamophobes montent jusqu’au niveau des politiques institutionnelles. Elles se sont manifestées par le vote d’une loi qui légalise l’islamophobie. En Angleterre, la situation est différente car il y a toujours eu un racisme d’ordre plutôt ethnique. Ce racisme touche plus les communautés indo-pakistanaises  que l’islam directement. Au cours de nos échanges, un constat unanime s’est réalisé : depuis le 11 septembre, l’islamophobie en Europe a explosé avec des médias qui ont présenté les Musulmans comme des terroristes potentiels. Les exceptions sont rares. L’islamophobie a progressé en Italie et même en Turquie, qui est pourtant un pays musulman mais où le voile est interdit à l’école publique comme en France. Seule l’Irlande semble échapper à ce développement islamophobe pour la raison essentielle que dans ce pays, la minorité religieuse qui subit les discriminations est catholique. En Espagne, la communauté marocaine, qui forme la principale composante de la communauté musulmane, est directement touchée par le racisme islamophobe, surtout depuis les attentats du 11 mars. D’après les témoignages, les femmes espagnoles sont devenues particulièrement agressives envers les Marocaines d’Espagne. C’est une hostilité moins générale et moins structurée qu’en France mais plus primaire.

En France, comment se manifestent les discriminations antimusulmanes ?

Elles sont plus qu’en augmentation. Elles tendent à être légitimées au niveau institutionnel et même au niveau de la population. Aujourd’hui, il est devenu légitime pour une personne d’avoir des propos et des opinions islamophobes. Les politiciens ont beaucoup facilité cette légitimité. L’islamophobie française a un caractère bien plus répressif avec, à la prochaine rentrée des jeunes filles qui vont se présenter à l’école avec leur voile et qui vont être refusées et exclues de ces écoles. Elles seront même considérées comme des délinquantes avec une interdiction qui est devenue légale. La commission Stasi n’a pas pris en compte le fait que ces jeunes filles disposent d’une liberté religieuse. Cette loi interdit sans tenir compte des conséquences que cela peut avoir. Ces jeunes filles vont être exclues des écoles, privées d’éducation et mises au ban de la société en toute légalité.

Comment interprétez-vous le vote de cette loi ? Ce vote cache-t-il quelque chose ?

Peut-être parce que le Hijab était voyant et que cela représentait une symbolique de l’Islam, que certain ne pouvaient tolérer et voulaient balayer de l’école publique, en prétextant des mesures sécuritaires et pour préserver l’égalité et la laïcité. Ces jeunes filles n’ont jamais remis en cause ces valeurs et n’ont jamais représenté de danger pour les enseignants et les autres élèves. Cette loi ne cache pas mais révèle au contraire une peur de l’Islam, de sa visibilité et de son éveil qui traduit elle-même une grande ignorance de cette religion.

Considérez-vous cette loi comme laïque ?

Non, elle n’est pas laïque car la laïcité signifie la neutralité religieuse. Cette loi prend position donc elle n’est plus laïque. Elle retire des droits à une catégorie de citoyens. Dans les autres pays d’Europe, beaucoup n’ont pas compris cette loi en France.

En Allemagne, la cour de justice d’un état a rendu un arrêt interdisant à une enseignante de porter son voile pendant son service. Peut-on dire que les événements en France ont influencé les comportements et les autres législations européennes ?

Oui, effectivement. L’obsession française sur la question du hijab à éveiller l’attention des autres pays sur le sujet. En Italie, des partis politiques comme celui de Silvio Berlusconi, plutôt xénophobe, ont surfé sur cette islamophobie française pour alerter leur propre opinion. Un peu partout en Europe, on a observé la France pour voir comment les choses allaient se passer. La France a été un laboratoire de l’islamophobie en Europe. Certains se sont dits que c’était peut être une bonne chose. Mais l’Union européenne, à travers l’organisation de ce séminaire, et des ONG comme Amnesty International, qui vient d’épingler la France dans son dernier rapport sur l’atteinte aux droits de l’Homme, disent le contraire. Pour elle, l’islamophobie est une remise en cause du projet européen.

 Y a-t-il une reconnaissance officielle de l’islamophobie au niveau européen ?

Le fait même que le Conseil de l’Europe ait organisé ce séminaire en est la preuve. La plupart des auditeurs et des officiels avec qui je me suis entretenue m’ont confirmé que l’islamophobie est de plus en plus prise en compte par les acteurs européens. Le terme lui-même est de plus en plus employé. Mais certains progrès restent à faire. Un des invités s’est interrogé pour savoir s’il ne serait pas plus correct de parler d’ 'intégristophobie'.

 Peut-on déceler des causes et des acteurs communs de l’islamophobie en Europe ?

Il y en a surtout deux. Les politiques qui ont instrumentalisé l’Islam et la peur qu’elle engendre pour gagner des voix. On l’a vu en France avec le MNR, mais aussi en Allemagne et en Angleterre ou les partis populistes ont le vent en poupe. Cette montée en force des partis d’extrême-droite se vérifie partout en Europe. Ensuite, les médias qui ont déclenché une véritable hystérie chez leurs opinions publiques depuis le 11 septembre. En France, cette hystérie a atteint son paroxysme.

Propos recueillis par Fouad Bahri

 




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