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Points de vue

L’apologie du colonialisme fait son nid

Rédigé par Madjid Djenadi | Lundi 11 Avril 2005 à 00:00

           

Le 23 février 2005, une loi relative à la «reconnaissance de la nation» et à la «contribution nationale en faveur des Français rapatriés» a été votée. Cependant, l’article 4 touche également le domaine de l’enseignement et cela avec la volonté d’enjoliver l’Histoire coloniale.



Le 23 février 2005, une loi relative à la «reconnaissance de la nation» et à la «contribution nationale en faveur des Français rapatriés» a été votée. Cependant, l’article 4 touche également le domaine de l’enseignement et cela avec la volonté d’enjoliver l’Histoire coloniale.

 

Cette volonté politique n’est pas nouvelle. En effet, cela a commencé le 11 novembre 1996, jour où Jacques Chirac affirmait : «Plus de trente ans après le retour en métropole de ces Français [d'Algérie], il convient de rappeler l'importance et la richesse de l’œuvre que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière

 

Par la suite, une proposition de loi datant du 5 mars 2003 fut déposée et présentée de la sorte : «L'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête coloniale de 1840 à 1847, et la guerre d'indépendance qui s'est terminée par les accords d'Evian en 1962. Pendant cette période, la République a cependant apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d'hommes et de femmes, [...] venus de toute l'Europe et de toutes confessions, ont fondé des familles sur ce qui était alors un département français. [...] C'est pourquoi [...] il nous paraît souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse l’œuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes... ». L’article unique de cette proposition de loi était : «L’œuvre positive de l'ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est publiquement reconnue. » Ce texte n’a pas été voté.

 

Mais cela a abouti le 23 février 2005, date à laquelle était votée la loi relative à la «reconnaissance de la nation» et à la «contribution nationale en faveur des Français rapatriés».
L'article 4 de ce texte dit : «Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.»

L’actuelle opposition s’est prononcée contre cette loi, mais seulement sur les modalités concrètes des réparations et des indemnisations décidées en faveur des harkis et des rapatriés. Des mesures qu’ils jugeaient insuffisantes. Ils n’ont combattu aucun autre point de la loi.

Dans le même sens, certainement par peur de toucher au « problème » des harkis et des rapatriés qui, on le sait, est un sujet sensible, aucune réaction importante ne s’est fait entendre pour dénoncer cette loi. Personne n’ignore, qu’à droite comme à gauche, on se dispute leurs suffrages.

Il n’est pas question ici de se pencher sur le « problème » des harkis et des rapatriés, mais simplement de mettre en évidence que cette loi et plus précisément l’article 4 forceront l’enseignement et la recherche à une lecture partielle, voire mensongère de l’Histoire de la colonisation. En effet, personne ne peut nier que durant ces siècles de conquêtes et de colonisation, il y a certainement eut des échanges positifs entre les colonisateurs et les colonisés. Mais faut-il pour autant qu’ils effacent de l’Histoire la face épouvantable du colonialisme caractérisé par l’esclavage, la torture, les sévices, les crimes, les massacres, les répressions, les destructions, les spoliations que les populations des territoires colonisés ont enduré ?

Cette loi va à l’encontre de la liberté de pensée et des règles de la recherche scientifique. Elle met en cause l’indépendance des historiens vis à vis de l’Etat et donc celle de leurs travaux.

 

Ces dispositions doivent être impérativement abrogées car elles interdisent toute interrogation sur la colonisation et mènera inévitablement à ce que les générations à venir se pencheront sur une Histoire de la colonisation incomplète, voire mensongère. Mais surtout parce que cette loi transforme les guerres de conquêtes impérialistes et le colonialisme en un ‘’bienfait mondial de l’Europe occidentale’’ et permet à l’ancienne puissance coloniale d’échapper à ses lourdes responsabilités.

Il est donc important que l’Histoire continue à être écrite par les historiens, que ce soit celle de la colonisation, de la décolonisation ou même celle des « Air Max », et qu’elle ne soit pas prise en otage par la subjectivité des volontés politiques.

Quel avenir se profile-t-il pour (ou dans) un pays où s’installe une telle logique ? Ne dit-on pas que les horreurs de l’Histoire, une fois oubliées, sont amenées à se répéter ?

Claude Liauzu et Thierry Le Bars[1] ont écrit une « lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les parlementaires sur l’histoire de la présence française outre-mer » pour demander l’abrogation de l’article 4, alinéa 2 de cette loi. Une pétition « Des historiens contre la loi du 23 février 2005 » a également été faite par Claude Liauzu :

 

Pour signez la pétition[2] envoyez un mail à Claude Liauzu[3] : claude.liauzu@worldonline.fr

 

Le lien pour lire le texte intégral de la loi

 

 

Voir également :

·        L’article « Le colonialisme a la peau dure » d’Olivier Lecour-Grandmaison paru dans Libération, le mercredi 30 mars 2005

·        L’article de Claude Liauzu, « Une loi contre l’Histoire » paru dans le Monde diplomatique d’avril 2005.

 



[1] Professeur de droit à l’Université de Caen Basse-Normandie

[2] Cet appel est paru dans Le Monde daté du 25 mars 2005, sous le titre 'Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle'.

[3] Claude Liauzu est professeur émérite à l’université Denis-Diderot-Paris-VII.





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