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Religions

L'Islam, de la culture à la religion

Rédigé par Nadia Sweeny | Jeudi 6 Avril 2006 à 16:19

           

L’école normale supérieure organise du 31 mars au 7 avril, « la semaine arabe ». Projections de films et débats en tout genre sont au programme. Ce mardi 3 avril, Olivier Roy, chercheur au CNRS très connu sur les questions de l’islam contemporain, est intervenu sur le thème de : « l’islam de la culture à la religion ». En 2005, il a écrit « la laïcité face à l’islam » paru aux éditions Stock.



Olivier Roy
Olivier Roy

Déconnexion


Olivier Roy explique que dans la vision globale des Etats Nations, on a coutume de rapprocher et de joindre culture et religion à un même territoire. Ainsi, culture, territoire et religion sont censés être liés. Or aujourd'hui le phénomène de mondialisation crée une déconnexion de ces trois éléments.

Un territoire ne correspond plus exactement à une culture pas plus qu'à une religion. En France par exemple, il y a souvent une confusion entre « musulmans » et « issus de l'immigration ». Les musulmans sont ainsi liés, dans l'imaginaire du public, à un territoire, qui est synonyme de leur terre d'origine, donc leur religion et leur culture aussi. Cependant, les nouvelles générations de musulmans ne sont rattachées à aucune terre autre que la France. La notion de « Oumma » (la communauté des croyants) est ainsi devenue virtuelle et échappe à toute restriction territoriale. C'est le phénomène de déterritorialisation.

Pour asseoir cette vision, le chercheur fait un parallèle entre la construction de l'Europe et l'émergence des questions sur l'islam. Lorsque dans les années 1980 l'Europe devient une question politique, on réalise que les populations dites « issues de l'immigration » ne rentreront pas dans leurs pays d'origine et que donc, leurs religions non plus. Durant ces années, les premières questions sur l'islam se manifestent avec le scandale du voile à l'école en 1989. Quatre ans plus tard, le traité de Maastricht est signé, constituant une Union Européenne politique et préparant l'Union économique et monétaire (UEM). Les pouvoirs du Parlement européen sont étendus et une citoyenneté européenne voit le jour. Tout ceci remet gravement en question le poids de l'état nation.

Le second scandale du voile est plus récent. Datant de 2004, il correspond étrangement à l'année du référendum sur l'Europe, la victoire du NON en France et la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne. Relativisant considérablement les modèles nationaux et notamment le modèle français, l'Europe et l'islam déstabilisent les paradigmes traditionnels et forcent à une déconnexion entre territoire, culture et religion, créant ainsi une crispation générale.

Relation entre religion, culture et politique.


Contrairement à une idée répandue, il n'y a pas, selon O. Roy, de liens de causalité entre un modèle culturel, un modèle religieux et un modèle politico-économique. En témoigne l'exemple des protestants.

Il est souvent avancé que les protestants sont porteurs de modernité. Cette idée se réfère au 16ème siècle où les protestant ont développé un grand esprit de capitalisme. Or le fait d'être protestant n'implique pas un don particulier dans le maniement de l'argent. C'est plutôt parce qu'à l'époque, à l'opposé du catholicisme, les valeurs du protestantisme permettaient de développer les questions économiques et financières. Mais aujourd'hui, nul ne peut affirmer qu'un protestant est meilleur commerçant qu'un catholique. De la même manière, l'on ne peut pas définir un musulman face à la culture, à la politique et à l'économie par le simple fait qu'il est musulman. D'où un débat faussé sur la relation entre musulmans, République, et laïcité.

Par ailleurs, la laïcité à la française est, selon M. Roy, fondamentalement antireligieuse et autoritaire. C'est là un héritage des années 1905, lors de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. L'Eglise catholique désirait un contrôle politique du pays tout comme la République. Elles aspiraient donc toutes deux à la même chose. La « modernisation » de l'Eglise catholique correspond à son abandon du pouvoir politique. Durant cette période, les religions minoritaires étaient pro-laïques, car, pour la mise en place d'une terre neutre. Il y a ici une référence territoriale très forte.

Il se trouve qu'aujourd'hui l'on utilise, à tort, la même grille de lecture face à l'Islam en France. D'où le fantasme de la « communautarisation » des banlieues et d'un « territoire » propre aux musulmans et donc anti-laïque. Ce territoire serait, de plus, le terreau du fondamentalisme religieux par un retour à la tradition et à la « culture d'origine ».

Olivier Roy constate que le fondamentalisme religieux ne vient pas d'une «sur culturation » ou de l'expression d'une tradition menacée, mais au contraire, d'un phénomène de « déculturation ». Il explique comment les Talibans d'Afghanistan, où il y a de nombreux Français, s'attaquent à la culture traditionnelle afghane. Leurs institutions politiques n'ont pas de fin en soi, elles ne servent en fait qu'à apporter la foi et le salut. La Charia ne régente pas politiquement le pays mais construit les conditions du salut de l'Homme, elle développe donc des questions individuelles. Ce qui est un cas contraire à l'exemple de la République d'Iran où la politique, même mêlée de Charia, reste une question de pouvoir et d'ordre publique. M. Roy définit, les mouvements Salafistes, Wahhabites et même Tabligh comme fondamentalement anti-culturels. « Ils voient la culture comme un obstacle qui éloigne le sujet du divin. » Le succès de ce fondamentalisme en France, viendrait d'une part de la déterritorialisation et d'une acculturation.

Pure religion


Selon M. Roy, le débat actuel sur l'islam, mené dans les milieux politiques, médiatiques ou intellectuels reste dominé par un paradigme culturaliste. Qu'il soit coloré d'une vision de « clash des civilisations » ou de dialogue, que les questions reprennent les thèmes de la laïcité, de la République, de l'intégration etc., les réponses demeurent obsolètes car la grille de lecture utilisée est dépassée. L'islam est toujours pensée comme une culture. Cette religion n'existe, aux yeux des gens, qu' « enculturée.» Il faudrait, selon Olivier Roy, pouvoir repositionner le religieux en dehors du culturel. Voir l'islam comme purement religieux. Or il est quasi impossible aujourd'hui pour la plupart des Européens de s'imaginer l'islam autonome, comme marqueur religieux.

Pour appuyer ce constat, Olivier Roy donne l'exemple du maire d'Evry. Ce maire, accepte sans hésiter une mosquée « cathédrale » en plein centre ville. Néanmoins, cette mosquée doit avoir un esprit esthétique orientale et être dotée d'un centre «culturel » et non « cultuel ». La différence est de taille. De plus, dès l'annonce de la mise en place à Evry, d'un Franprix Halal, ce même maire crie au scandale. Cette initiative de supermarché Halal fait sortir l'islam de son cadre culturel et crée donc la crispation générale.

En France, l'on ne veut pas d'une autonomie religieuse. L'on rattache ainsi l'islam à une culture, ou une condition économique et sociale, ou à un lieu tel que les banlieues. La dynamique n'est pas prise en compte. On la veut communautarisée. Même l'Etat dans sa volonté de créer un Conseil français du culte musulman (CFCM), veut communautariser les musulmans ce qui lui est plus facilement gérable.

Olivier Roy explique que ce conseil a été créé comme une « église », émanant d'une volonté politique de mettre en place « une organisation qui tient ses troupes »; Nicolas Sarkozy faisant lui aussi régulièrement l'amalgame entre « musulmans » et « issus de l'immigration ». Le CFCM pourrait être utile, mais il ne survit que grâce aux politiques, estime Olivier Roy. C'est un organe de pouvoir qui ne répond pas aux attentes de l'islam de France contrairement aux organes régionaux, qui sont plus proches des réalités quotidiennes, et « qui font leur boulot ».

Malgré cette vision, Olivier Roy montre que les tribunaux ont souvent une grande avance sur les politiques. Ces derniers viennent d'ordonner le retrait d'une publicité, inspirée d'un tableau de Leonard De Vinci, représentant les apôtres en femmes dénudées. Le symbole religieux, s'il avait été considéré comme uniquement culturel, appartiendrait à tout le monde, croyant ou non. Or, en opérant une première déconnexion ente culture et religion et en reconnaissant la « communauté de foi » chrétienne, les tribunaux font un pas en avant vers la modernité, explique M. Roy.





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