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Points de vue

Je suis juif, rabbin et antisioniste, la résolution Maillard est scandaleuse

Rédigé par Gabriel Hagai | Jeudi 5 Décembre 2019 à 09:04

           


Je suis juif, rabbin et antisioniste, la résolution Maillard est scandaleuse
Les députés français ont voté, mardi 3 décembre, une résolution assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme en le pénalisant. En plus d’être ridicule, c'est scandaleux ! Tout cela malgré les mises en garde de la part de nombreux intellectuels français (juifs et non-juifs), comme en témoigne la récente tribune publiée le 2 décembre dans Le Monde.

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Il est clair que le législateur s’est complètement trompé ici en adoptant cette résolution. L’écart se creuse ainsi encore plus entre le droit et la justice dans ce pays.

Les « valeurs » du sionisme sont contraires à la Torah

Je m’appelle Gabriel Hagaï. Je suis juif pratiquant, Franco-Israélien et rabbin. Mes enfants sont tous juifs pratiquants, et certains vivent même en Terre Sainte. J’enseigne la Torah depuis plus de 30 ans, et parmi la centaine d’étudiants que j’ai eus, plusieurs sont même devenus rabbins à leur tour. On peut donc difficilement me taxer d’antisémitisme ou de judéophobie. Et pourtant, je suis antisioniste !

Je m’explique. Le sionisme est un projet politique séculaire d’origine européenne qui usurpe l’identité juive pour la transformer en nationalisme primaire. C’est donc, par définition, un mouvement raciste, exclusiviste et hégémoniste, de facto faiseur d’apartheid. C’est cette idéologie toxique qui a donné naissance à l’État d’Israël.

Notre Torah est basée sur la justice, l’amour, l’humilité et l’inclusion – vertus incarnées par nos Prophètes et nos Saints, tels Moïse, Aaron et Hillel l’Ancien. Tout le contraire des « valeurs » du sionisme, construit sur l’orgueil, l’oppression, la haine et l’exclusion – celles de Théodore Herzl, de Joseph Trumpeldor ou de Ben Gourion.

Selon notre Torah, on ne saurait établir une société saine sur l’injustice envers ne fût-ce qu’une seule personne (fût-elle non-juive) – a fortiori envers un peuple tout entier (les Palestiniens). Il est dit (Deut. XVI:20) : « Ṣedheq ṣedheq tirdof (justice, tu poursuivras la justice) ! » Et (Deut. XXX:15-19) : « Wuvâḥartâ ba-ḥayyîm (Tu choisiras la vie). »

De même, la Torah doit être « (notre) sagesse et (notre) intelligence aux yeux des nations » (Deut. IV:6), plutôt qu’un manuel d’oppression nationaliste. La Rédemption finale ne se fera que sur l’Amour inconditionnel (Ahavath-ḥinnâm), et pas sur autre chose.

C’est une caractéristique des idéologies en recherche de légitimité que d’emprunter du vocabulaire à d’autres domaines déjà reconnus, comme les religions ou les sciences. Les charlatans et les sectes y recourent quotidiennement. Ainsi le sionisme n’échappe pas à cette tendance. Alors que ce mouvement est athée et nationaliste, il a cherché à s’établir dans la conscience populaire juive comme une alternative légitime à la tradition en recyclant son vocabulaire le plus sacré. Et il a (presque) réussi !

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Mon antisionisme, comme celui de mes amis palestiniens, n'est pas de l'antisémitisme

Comme nombre de rabbins ainsi que de juifs honnêtes de par le monde, je dénoncerai toujours l'arnaque que représente le sionisme politique, ainsi que la pollution idéologique qu’il a introduite dans notre judaïsme.

Bien sûr – et je ne suis pas dupe – l’antisionisme est aussi utilisé par ceux qui veulent purifier la Terre Sainte de toute présence juive (par un massacre pur et simple de la population israélienne, et par une destruction totale de tout ce qui a déjà été construit) mais ce n’est évidemment pas mon cas, ni le cas de mes amis palestiniens, ni celui d'une écrasante majorité des gens sains d’esprit. Je suis plutôt un partisan de la non-violence, un adepte de la paix et de la justice.

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Ce n’est pas parce que des antisémites se cachent derrière l’antisionisme que ce dernier est, de facto, de l’antisémitisme ; pas plus que parce que des islamophobes se cachent derrière la laïcité que celle-ci serait de l’islamophobie. Affirmer le contraire serait un sophisme.

Nulle volonté dans mon antisionisme de nier le droit à quiconque (juifs ou non-juifs) de vivre en Terre Sainte (le centre même de notre géographie sacrée). C’est justement par amour pour mes sœurs et frères israéliens que je dénonce les exactions humanitaires commises en leur nom par leur gouvernement.

Ce que je désire, c’est une refonte totale de l’organisation politique en Israël-Palestine, et la création d’un nouvel Etat inclusif où tous vivraient avec les mêmes droits, à égalité en tant que citoyens, hébréophones et arabophones ensemble. Ce qui implique la disparition du sionisme lui-même.

Qu’on se le dise : je suis antisioniste !

Que les promoteurs de cette loi inique « viennent me chercher » (pour paraphraser notre président) et me coller un procès, s’ils osent ! Un rabbin traduit devant la justice pour antisionisme ? Ridicule ! On pourra ainsi démontrer publiquement l’incohérence pathétique de cette mascarade que représente la résolution Maillard contre l'antisionisme.

Que Dieu nous aide.

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Rabbin orthodoxe, Gabriel Hagaï est enseignant-chercheur, philologue et paléographe-codicologue. Il est co-auteur avec Ghaleb Bencheikh, Emmanuel Pisani et Catherine Kintzler de La Laïcité aux éclats (entretiens avec Sabine Le Blanc, éd. Les Unpertinents, mai 2018).

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