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Société

Fin de vie : la proposition de loi ouvrant le droit à l'euthanasie sans suite parlementaire

Rédigé par Myriam Attaf et Lina Farelli | Vendredi 9 Avril 2021 à 09:16

           

La proposition de loi ouvrant le droit à l’euthanasie figurait au coeur des débats à l'Assemblée nationale jeudi 8 avril. Le texte, qui faisait l’objet d’un quasi consensus parmi les deputés, n'a pourtant pas pu être adopté dans les temps mais vient relancer un débat des plus sensibles sur la fin de vie que le gouvernement ne veut aujourd'hui pas porter.



Fin de vie : la proposition de loi ouvrant le droit à l'euthanasie sans suite parlementaire
Cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Léonetti, le débat sur l’euthanasie fait son grand retour à l'aune de la proposition de loi « donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie ».

Portée par le député de Charente-Maritime, Olivier Falorni, membre du groupe parlementaire Libertés et Territoires inscrit dans l'opposition, la proposition de loi, déposée en octobre 2017, a été examinée par l'Assemblée nationale jeudi 8 avril mais elle n'a pas pu être adoptée avant minuit en raison de l'obstruction parlementaire d'une poignée de farouches opposants à l'euthanasie.

Ce que prévoyait la proposition de loi

Elle prévoyait que « toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » puisse bénéficier d’un accompagnement vers une fin de vie.

Après la loi Léonetti adopté en 2005 et instaurant le droit « au laisser mourir », suivie en 2016 de la loi Claeys-Leonetti qui permet une sédation profonde et continue jusqu’au décès pour des patients en grande souffrance face à une maladie incurable, le nouveau texte visait à compléter, selon ses promoteurs, la législation qui ne prévoyait jusqu'ici aucune aide active à mourir.

De fait, le texte instaurait notamment « une assistance médicalisée », ouvrant la voie à « une mort rapide et sans douleur ». En outre, Olivier Falorni, qui mentionne dans son texte l’affaire Vincent Lambert, symbole des débats sur la fin de vie, précisait dans une interview accordée à Capital que cette proposition permettrait au malade, dans le cas où il ne serait plus en capacité d’exprimer sa volonté, de faire porter par une personne de confiance ses « directives anticipées » afin que ni les médecins ni ses proches ne s’y opposent. « Je dis bien de porter sa parole, et non de décider : la décision est prise par un collège médical de trois médecins », a-t-il appuyé.

Avec ce texte, le député entendait également contrer les euthanasies clandestines sur le territoire : « Lever le voile sur l'hypocrisie, c’est aussi lever le voile sur les 2 000 à 4 000 euthanasies clandestines qui sont faites tous les ans en France. Ces données proviennent de l’Institut national des données démographiques. (...) On ne peut pas accepter que des euthanasies soient faites dans l’opacité d’une chambre d’hôpital. »

Une poignée de deputés à l'origine de l'obstruction parlementaire

Si cette proposition s’attaque à un sujet de société qui divise d’ordinaire, elle remporte aujourd'hui une forte adhésion au sein de l'hémicycle en rassemblant autour d'elle des parlementaires de tous bords. Adopté par les deux tiers des membres de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, le texte s’est alors heurté à une minorité faible en nombre mais qui a reussi à entraver l’adoption du texte. Cinq députés LR ont rédigé quelque 2 300 amendements sur les 3 000 déposés, empêchant ainsi l’examen complet d'un texte dont l'adoption devait impérativement aboutir avant la fin de la journée du 8 avril pour que la proposition de loi parvienne au Sénat.

Face à cette obstruction, 270 députés dont Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure et Cédric Villani s'étaient insurgés dans une tribune publiée le 3 avril dans Le JDD. Les parlementaires dénoncent une entrave à un débat légitime et nécessaire. « Le doute n'est plus permis : plutôt que d'enrichir le débat, l'objectif de cette minorité est d'y couper court. Nous dénonçons fermement cette obstruction, qui est la négation du travail parlementaire », avaient-ils fait savoir.

« Comment peut-on être parlementaire et considérer que certains sujets seraient trop "graves" pour être initiés par le Parlement ? Rappelons que nombre d'avancées de société, de la contraception à la loi Claeys-Leonetti en passant par le Pacs, émanent du Parlement. Rappelons aussi que la question de la fin de la vie rassemble au-delà des étiquettes politiques, comme en témoignent nos amendements trans partisans. Ce dépassement des clivages est la condition de chaque grand progrès de la société, mais aussi une des plus belles qualités de notre démocratie ».

Une loi « qui donne délibérément la mort »

En face, près d’une vingtaine de députés LR s'étaient exprimés dans une tribune au Figaro mercredi 7 avril pour s’opposer à une initiative qu’ils jugent « incongrue, provocatrice et méprisante pour tous ceux qui se battent chaque jour pour sauver des vies et s’engager au service des plus faibles et des plus vulnérables d’entre nous ».

« Tout en revendiquant l’expression d’une ultime liberté de l’individu, ce texte s’en remet totalement au pouvoir médical. En recourant à l’expression d’"assistance médicalisée à mourir", il se refuse à employer les mots d’euthanasie et de suicide assisté. Il est d’une grande imprécision sur les modalités de la procédure, alors que celles-ci sont les garanties constitutionnelles d’une liberté personnelle, le droit à la vie », ont-ils écrit, avant d’affirmer que cette législation « ne répond nullement au sentiment d’abandon des patients en fin de vie, ni à leur isolement ».

Dans le lot des opposants au texte, figure l'ex-député Jean Leonetti (LR). « La loi proposée est une loi qui donne délibérément la mort : on est dans une dépénalisation de ce que juridiquement, on appelle un homicide. On n’est pas dans une petite avancée, on est dans une rupture », a indiqué à l'AFP le co-auteur des deux dernières lois sur la fin de vie. « Ça me choque qu’on n’ait pas fait la mission parlementaire préalable, ni le débat citoyen indispensable, ni le débat avec les ministres qui, très hypocritement, ne se prononcent pas. Le gouvernement en pense quoi de ce texte ? »

Un gouvernement dans l'embarras

C'est que le gouvernement, de son côté, est dans l'embarras. Dans un contexte marqué par la pandémie de la Coid-19, il préfère ne pas prendre position dans le débat sur l'euthanasie malgré la pression des députés de la majorité présidentielle. « Je ne crois pas que le moment choisi pour modifier le régime juridique de la fin de vie soit le moment opportun », avait déclaré le 11 mars le ministre de la Santé, Olivier Véran, en émettant un avis défavorable au droit à l'euthanasie. « Nous sommes encore aujourd'hui en plein combat face à la crise sanitaire. »

Le ministre a annoncé la mise sur pied prochaine d'une mission sur « l’application réelle » de la loi Claeys-Leonetti afin d'améliorer « l’état des connaissances sur l’application de cette loi » qui est « bien trop faible » et « identifier les freins éventuels et les inégalités territoriales et sociales d'accès à ces pratiques ».

« L’obstruction parlementaire a brisé la concorde politique qui existait autour des droits des personnes en fin de vie. Mais ce texte si essentiel peut être voté rapidement, a estimé, pour sa part, le député LREM, Hugues Renson. Il suffit que le Gouvernement le reprenne et le fixe à l’ordre du jour de l’Assemblee nationale. Il le doit. »

La proposition de loi n'a certes pas été adoptée mais elle relance bien un débat passionné en France. En Europe, seuls la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et dernièrement l'Espagne ont légalisé l'euthanasie active tandis que la Suisse a légalisé le suicide assisté.

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