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Points de vue

Face aux discriminations en sorties scolaires, aux professeurs aussi d'agir !

Rédigé par Elise Boscherel | Mardi 14 Mars 2017 à 07:26

           


Face aux discriminations en sorties scolaires, aux professeurs aussi d'agir !
Mise à jour : Plus de 18 mois après les faits dénoncés, le procès a été fixé en septembre 2018 au lundi 22 octobre au Tribunal de Grande Instance de Paris.

Mercredi 1er mars 2017. En revenant d'un séjour scolaire à Bruxelles, trois de mes élèves âgés de 17 et 18 ans se sont fait contrôler par des policiers à deux points différents de la Gare du Nord. L'un d'eux s'est fait attraper par le bras, fouiller, tutoyer, un autre a dû ouvrir sa valise devant le reste de la classe. Un troisième s'est fait contrôler en sortant tout juste du train, sur le quai. Ce sont donc trois garçons sur les cinq présents que j’accompagnais et qui ont dû se soumettre à un contrôle d'identité. Pourtant, à 20h, en pleine heure de pointe, nous n'étions évidemment pas les seuls à circuler dans la gare.

Ces contrôles sont sans nul doute liés à leur apparence physique : Ilyas est d'origine marocaine, Mamadou d'origine malienne et Zakaria d'origine comorienne. Ce sont de jeunes garçons qui vivent à Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis. Ils représentent donc à eux seuls ce que l'on nomme communément « les jeunes de cités ». Quelles autres raisons pouvaient justifier ces vérifications ?

La réalité que vivent certains de mes élèves est bien différente de la mienne qui suis une professeure blanche, jamais contrôlée, jamais jugée, jamais discriminée en raison de la couleur de ma peau.

Ces sorties scolaires me font prendre conscience à quel point leur quotidien est épuisant et stressant. Avant même d'ouvrir la bouche, ils semblent être toujours présumés coupables aux yeux de policiers, de certains personnels de la RATP, de la SNCF. Ce n'est pas la première fois que, en tant qu'enseignante, je dois faire face à un contrôle d'identité ou à des comportements mal intentionnés de la part d'adultes dans les gares, dans le métro, dans le train, dans les musées.

De véritables assignations à résidence physique

« Liberté, égalité, fraternité », leur apprend-on. Pas pour eux. Ces élèves que j'apprécie tant, ces « jeunes à casquettes » que je vois encore comme des enfants, sont trop souvent maltraités, humiliés, malmenés par notre République. Mon devoir est de les protéger et de leur permettre de sortir de l'école en toute quiétude.

Je ne supporte plus les regards malveillants qu'ils subissent, ces sommations à devoir se justifier sur chacun de leurs déplacements. Ce sont de véritables assignations à résidence physique, symbolique d'une partie de notre jeunesse, celle des banlieues, celle de nos quartiers populaires. La société leur envoie continuellement le même message : restez chez vous ou ça se passera mal.

On nous demande d'organiser des sorties avec nos élèves, de leur faire découvrir des musées, de leur permettre d'accéder aux savoirs différemment. Mais celles-ci sont toujours préparées avec une double appréhension : celle liée aux comportements de nos élèves eux-mêmes (faire le moins de bruit possible, être attentifs; ils doivent surtout ne pas se faire remarquer), et celle liée aux réactions extérieures. Dans de telles conditions, comment envisager sereinement ce type de projet ? Elles entraînent malheureusement trop souvent des humiliations supplémentaires.

Les personnels d’éducation doivent aller au front

Il est donc temps de dénoncer ces discriminations à chaque fois que nous y sommes confrontés. Ces contrôles ne doivent pas devenir une banalité.

C'est la raison pour laquelle j'en appelle à tous les personnels d'éducation de porter plainte auprès d'un commissariat étranger à l'affaire ou du procureur de la République, de l'IGPN et, en tout état de cause, auprès du Défenseur des droits, à chaque fois que nos élèves sont discriminés dans le cadre de sorties scolaires. J'ai moi-même porté plainte le lendemain des faits non pas au commissariat près de la Gare du Nord mais à celui de Saint-Denis. Les policiers n'ont pas voulu prendre ma plainte contre un autre policier mais j’ai fait ce qui me semble être le mieux à faire : agir, en ma qualité de cadre éducatif, pour ne pas laisser le problème sans suite. Et si chaque professeur en faisait de même pour ses élèves ?

Je demande également à ce que soit organisée chaque année, dans les établissements scolaires, une journée de lutte contre le racisme pendant laquelle des associations de lutte contre les contrôles au faciès sont invitées à intervenir dans les classes. Nos élèves doivent pouvoir porter plainte, ils doivent pouvoir se défendre.

La violence n'est pas que policière. C'est la violence d'une société toute entière qui porte un regard beaucoup trop accusateur sur eux. Cette jeunesse ne demande pourtant qu'à être respectée et considérée. Parce que l'école est leur dernière protection, relayons cet appel pour en finir avec ces discriminations inacceptables !

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Elise Boscherel est professeure en lycée professionnel à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).






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