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Points de vue

Don Diego Maradona et le royaume de Naples

Rédigé par Gianguglielmo Lozato | Samedi 28 Novembre 2020 à 08:00

           

Diego Maradona est mort mercredi 25 novembre à l'âge de 60 ans. En hommage à cette légende planétaire du foot, trois jours de deuil national ont été décrétés en Argentine. Après deux ans au Barça entre 1984 et 1986, il a fait briller Naples de milles feux entre 1986 et 1991. C'est cet épisode que choisit de revenir Gianguglielmo Lozato.



Don Diego Maradona et le royaume de Naples
Italie du Sud. Le Vésuve. La mer Tyrrhénienne. Un décor idyllique de carte postale symbolisant une importante capitale régionale et sa région. Et Maradona. Voici la vision fugace que l'on pourrait restituer de Naples, une des plus grandes villes italiennes.

Le footballeur Diego Armando Maradona n'est plus. Une onde de choc a parcouru la planète ce mercredi 25 novembre 2020. L'épicentre napolitain a tremblé sans avoir recours à son célèbre volcan. La vedette du football de l'équipe argentine et du football international en général avait joué dans la cité parthénopéenne à partir de 1984 jusqu'en 1991, influençant de toute sa classe sur le plan sportif un club qui, pour l'occasion, a pu passer du rang d'importante équipe de Serie A à celui de grand club reconnu internationalement.

1984-1991 : La passion à la napolitaine

Après l'escale barcelonaise en provenance de son Argentine natale, Diego Maradona a opté pour une autre destination très latine : la ville de Naples et son club le SSC Napoli. Sous les couleurs bleues rattachées à la métropole de Campanie, Maradona a trouvé un épanouissement évident, rapide. Professionnel et personnel. Cet accomplissement s'est effectué avec l'obtention de deux titres de champion d'Italie, ponctués par des prestations très haut de gamme du petit numéro dix argentin.

De 1987 à 1990, ce sont trois titres nationaux (deux championnats et une coupe d'Italie) ainsi qu'un trophée continental (Coupe UEFA) qui ont redoré le blason du sud de l'Italie, cette Italie plus pauvre et plus à la traîne que le reste du pays. Dans une nation qui n'avait qu'un seul club la représenter jusqu'alors pour l'obtention du titre suprême le « Scudetto » (Cagliari en 1970). L'effervescence napolitaine n'est pas que volcanique. Elle est humaine, démonstrative et taillée sur mesure pour son joueur aux racines d'Amérique latine. Elle est footballistique au vu du jeu pratiqué par la bande de Diego à la grande époque, une équipe résolument offensive qui tranchait insolemment par rapport à tout le reste des formations italiennes.

Un jeu polysémique

La force du jeu dispensé par Maître Maradona est qu'il a revêtu plusieurs sens. En tant qu'organisateur et finisseur. Sur le plan sportif, la technique hors pair du « Pibe de Oro » (« gamin en or ») nous a incités au rêve à maintes reprises. Une transcendance qui l'a tout naturellement conduit au titre de champion du monde avec l'équipe nationale d'Argentine en 1986. Y compris lors du seul match où son groupe a été en difficulté face à l'Italie au premier tour ; un résultat 1-1 obtenu de justesse sur une intervention quasiment chorégraphique face au gardien de but pisan Giovanni Galli pétrifié. Diego, c'était le sauveur. Diego, c'était l'espoir.

En fait, Diego, c'était le talent. L'intelligence surnaturelle du génie. L'insolence des actes ou des prises de parole. Une anecdote pour l'illustration ? Le quart de finale de la Coupe du monde disputé contre l'Angleterre de Brian Robson, Chris Waddle et Gary Lineker à Mexico 1986. Au cours du même match le meneur de jeu de poche (1,65 mètre) s'est octroyé le privilège d'enfreindre le règlement en marquant de la main puis s'est empressé de faire taire toutes les critiques en inscrivant un second but concluant une série de dribbles sur quasiment tous les membres de l'équipe adverse. Une vraie incitation à la dialectique par le geste. Théâtralisation parachevée par l'épilogue du milieu offensif sud-américain qui déclare qu'était intervenue « la main de Dieu ».

La revanche du Sud en général

A la suite de cette Coupe du monde triomphale, « Dieguito » a rejoint le rang des icônes post-modernes. Que ce soit sur les fresques ornant bien des quartiers de la ville portuaire que la star avait emmené au sommet de la hiérarchie des clubs européens ou partout dans les esprits des amateurs de ballon rond. Quatre ans plus tard, il se permettra le luxe de terminer deuxième de la Coupe du monde avec son Argentine en ayant éliminé l'Italie au... Stadio San Paolo de Naples !

Justement, l'Italie et Maradona, c'est un sujet brûlant. Auparavant, les championnats n'avaient été gagnés que par les grandes équipes du nord de la péninsule (Juventus, Torino, Inter Milan) et quatre fois par des équipes d'Italie centrale (Fiorentina, A.S Roma, Lazio). L'exception méridionale Cagliari fit bien entendu honneur au sud de l'Italie. Mais elle fut en tout premier plan connotée comme une victoire d'abord insulaire, avant de représenter une victoire du Mezzogiorno. Maradona a su faire passer cette partie d'Italie victorieuse en foot de l'antichambre à la lumière.

Ainsi, à la manière d'un médiateur ou d'un diplomate, il a réussi à amorcer une politique peut-être pas forcément de réconciliation mais du moins un processus d'objectivisation. Cette rupture épistémologique a eu le mérite de présenter Naples à travers son nouveau statut d'épicentre du football italien, comme le laboratoire de l'étude d'une sismologie non plus seulement géologique mais davantage sociologique. Dans cette Europe méditerranéenne longtemps à l’écart de ce qu’était la Communauté économie européenne (CEE).

Plus qu'un footballeur de talent

Naples se souvient. Naples pleure son fils adoptif venu de loin. Et l'équipe actuelle lui a rendu un émouvant hommage sous la houlette de l'entraîneur Gattuso, prénommé Gennaro comme le saint patron de la ville.

Maradona a été plus qu'un footballeur de talent. Sportif exceptionnellement doué, adulé dans le monde entier, il a pu être un personnage clivant ou rassembleur selon les interprétations (par rapport à la drogue, l'alcoolisme, des expériences d'entraîneur où il n'a pas été toujours bien conseillé...).

Cependant, le champion pleuré par l'Argentine entière et par toute la localité de Naples a représenté un formidable sujet de conversation au fil des décennies. Et qui dit conversation dit dialogue. La force de ce footballeur-artiste a été de mettre tout le monde d'accord sur ses dons hors du commun visibles sur le terrain. Rassembleur tout en se singularisant dans une créativité loin d'être conforme aux images aseptisées conditionnant de plus en plus le sport de haut niveau. Alors, Diego incarnation d'une forme de sagesse populaire ?

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Gianguglielmo Lozato est professeur d'italien et auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société.





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