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Société

De la négrophobie à l'esclavage : zoom sur cinq initiatives contre le racisme au Maghreb

Rédigé par | Lundi 27 Novembre 2017 à 17:00

           

Des images montrant une vente aux enchères de Noirs en Libye ont profondément choqué le monde en cette fin d'année 2017. L’esclavage n’a pourtant rien d’un phénomène nouveau : il touche près de 46 millions de personnes à travers le monde selon l’ONG Walk Free Foundation. Ce fléau trouve, entre autres raisons, son origine dans une négrophobie profondément ancrée dans les sociétés arabes (mais également européennes), racisme qui se matérialise par l'exclusion, la marginalisation et la discrimination des Noirs. Ces dernières années, des campagnes et des actions ponctuelles ont été lancées au Maghreb par des associations soucieuses de lutter contre le racisme anti-Noirs. Zoom sur cinq de ces initiatives de la société civile qui appuient la lutte naissante contre le racisme, un combat nécessaire.



De la négrophobie à l'esclavage : zoom sur cinq initiatives contre le racisme au Maghreb

De la négrophobie à l'esclavage : zoom sur cinq initiatives contre le racisme au Maghreb

1/ Une campagne transmaghrébine inédite contre le racisme en 2016

« Ni Oussif Ni Azzi, baraka et yezzi » (en français, « Ni esclave, ni nègre, stop, ça suffit »). Cette campagne choc est le fruit d’un travail mené de mars à juin 2016 par des associations et des militants de quatre pays maghrébins – Algérie, Maroc, Mauritanie et Tunisie – qui entendent sensibiliser l’opinion publique arabe et leurs gouvernements du racisme et des discriminations visant les populations noires qui touchent tout autant les autochtones que les migrants. Une première lancé autour de plusieurs revendications, la principale étant l'adoption de lois incriminant toutes les formes de discrimination raciale.

« Les manifestations du racisme sont diverses selon l'histoire de chaque pays de la région. Néanmoins, nous partageons le rejet du noir. (…) Le racisme est enraciné dans nos sociétés. Le noir est pour beaucoup un nègre, un être inférieur. Beaucoup réagissent différemment envers les immigrés selon leur couleur de peau. L’Européen est ainsi le bienvenu, il est respecté contrairement aux noirs », a expliqué au HuffPost Saadia Mosbah, présidente de l'association tunisienne M'nemty (en français, « Mon rêve »), membre de la coalition maghrébine contre le racisme.

De la négrophobie à l'esclavage : zoom sur cinq initiatives contre le racisme au Maghreb

2/ Au Maroc, la campagne « Je ne m’appelle pas Azzi »

En 2014, une campagne nationale contre le racisme avait été lancée au Maroc à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale le 21 mars. Papiers pour tous, un collectif d’associations regroupées en une coordination pour la régularisation des sans-papiers, a été à l’origine de cette initiative appelée « Masmiytich Azzi » (en français, « Je ne m'appelle pas Azzi ») dont l’objectif fut de dénoncer principalement le racisme visant les migrants subsahariens. « Azzi » est un terme péjoratif pour qualifier les Noirs.

Celle-ci s’est déclinée en des affiches et autres supports de communication ainsi qu’une rencontre-débat et une pétition en ligne titrée « Contre le racisme, la hogra et l’exclusion, nous choisissons la diversité ». Celui-ci n’a recueilli que 721 signataires sur le million souhaité mais l'appel est à souligner. « Vivre ensemble, n’implique pas seulement de vivre côte à côte mais de se respecter, de se comprendre et de s’entraider. La solidarité et l’hospitalité sont des valeurs centrales de notre pays », lit-on. « Lorsque l'on porte atteinte à la dignité d’un étranger, c’est celle de tous les Marocains qui est bafouée. Lorsque nos frères venus des pays d'Afrique subsaharienne se font traiter de "Azzi", c’est le Maroc tout entier qui est insulté ! », lit-on.

2/ Les réseaux sociaux à la rescousse de « Bladi bladek »

« Bladi bladek » (en français, « Mon pays est le tien »), c’est le nom d’une association marocaine à l’origine d’un spot du même nom contre la négrophobie dans le royaume chérifien.

Le clip avait été réalisé par Leïla Alaoui, une photographe franco-marocaine tuée dans un attentat en 2016 à Ouagadougou. Celle qui présidait aussi de Bladi Bladek avait réalisé le spot un an avant sa mort mais les trois chaînes de télévision nationales marocaines Médi1 TV, 2M et Al Aoula ont refusé de le diffuser. Tant pis, ce sont les réseaux sociaux qui feront la notoriété de la vidéo : « Bladi bladek » aura été vu des dizaines de milliers de fois.


3/ Un spot télévisé inédit en Tunisie

Deux ans avant « Bladi bladek », en 2013, l'Association tunisienne de soutien des minorités appelée A9aliyet avait lancé un spot télévisé inédit en Tunisie pour dénoncer le racisme anti-Noirs à l’occasion du 168e anniversaire de l'abolition de l’esclavage le 23 janvier 1846. Des mots péjoratifs pour qualifier le Noir sont énumérés dans un clip qui conclut en rappelant que si l’esclavage a été aboli, ce n’est pas le cas du racisme en Tunisie.


Cette campagne est de ces initiatives nées après les mouvements révolutionnaires en Tunisie ayant conduit à la chute de Ben Ali en 2011 et à une libération de la parole, notamment s’agissant de questions de racisme. Un numéro spécial de l’émission « Parlons-en » consacré au racisme anti-Noirs avait, à l’époque de sa diffusion en 2015 sur la chaîne tunisienne Hannibal TV, fait un tabac et suscité un large débat sur les réseaux sociaux.


Clip « Atini Yadek » © Youtube
Clip « Atini Yadek » © Youtube

5/ En Algérie, une chanson contre le racisme

Direction l’Algérie cette fois. Plus récemment, Democratoz, collectif d’artistes oranais, a réalisé un clip fin août pour dénoncer le racisme à l’égard des migrants subsahariens en Algérie. Cette initiative faite suite à une campagne intitulée « Non aux Africains en Algérie », lancée sur les réseaux sociaux à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin.

Sur des airs de reggae, le chanteur Sadek Bouzinou retrace l’itinéraire d’une jeune migrante subsaharienne, de son pays d’origine ravagé par la guerre,à son installation en Algérie. Là, la jeune fille affronte maltraitance, moqueries et indifférence. « Je suis Algérien, né à Oran, et ce type de réaction, ce n’est pas digne de notre nation. Nous sommes une terre d’accueil, des gens chaleureux. J’ai voulu faire une musique pour rappeler que nous appartenons à un même continent, et que dire "Dehors les Africains", ça n’a pas de sens. », déclare le chanteur.

« Atini yadek » (en français, « Donne-moi ta main »), est un appel à la solidarité ainsi qu’un rappel de l’ancrage africain de l’Algérie. Le clip s’achève sur une note d’espoir, rappelant les valeurs d’hospitalité et de tolérance. « Ce que je fais, c’est pour les Algériens. Je veux qu’ils fassent quelque chose pour les migrants, ne tombent pas dans des réactions dictées par la peur. Je ne dis pas que tout est parfait, car bien entendu, certains migrants ne souhaitent pas s’intégrer et d’autres s’orientent vers des trafics illicites. Mais beaucoup méritent notre attention, ils sont une chance pour notre pays si nous leur tendons la main. », explique Sadek Bouzinou.

Il reste encore beaucoup à faire pour lutter efficacement dans les sociétés arabes tant la question demeure encore taboue. Doucement, les lignes bougent grâce à des associations et des individus. Les avancées seront toutefois réelles par la mise en place de législations importantes pénalisant le racisme sous toutes ses formes, le tout découlant d'une volonté politique ferme sur laquelle la société civile peut aussi travailler.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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