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Points de vue

De l’ardente obligation de réenraciner le soufisme comme rempart contre l'extrémisme

Saphirnews partenaire du 2e Festival soufi de Paris

Rédigé par Bariza Khiari | Vendredi 7 Décembre 2018 à 09:00

           

Du 28 novembre au 17 décembre se tient, en Ile-de-France, une série d'événements dans le cadre du Festival soufi de Paris, qui en est à sa 2e édition sous le thème « L’Un, miroir de l’Autre ». Le texte qui suit est un large extrait du discours prononcé par l’ex-sénatrice Bariza Khiari, présidente de l'Institut des cultures d'islam et représentante de la France au sein de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH), lors de l’ouverture du Festival, en partenariat avec Saphirnews.



Bariza Khiari est présidente d'honneur du 2e Festival soufi de Paris. Ici, lors de la nuit du Destin, en juin 2018, avec Abdelhafid Benchouk, directeur de la Maison soufie et cofondateur du Festival soufi de Paris. © Philippe Lissac/GODONG
Bariza Khiari est présidente d'honneur du 2e Festival soufi de Paris. Ici, lors de la nuit du Destin, en juin 2018, avec Abdelhafid Benchouk, directeur de la Maison soufie et cofondateur du Festival soufi de Paris. © Philippe Lissac/GODONG
L’année dernière, Abd el-Hafid Benchouk, directeur de la Maison soufie, et quelques amis avaient décidé de se lancer un défi : organiser le Festival soufi de Paris. Les résultats ont dépassé leurs espoirs. Oui, c’est peu de dire que tous les événements ont été des succès.

[Lire aussi : Art, citoyenneté, spiritualité : le triptyque du 1er Festival soufi de Paris


Comment analyser ce succès ? Le besoin d’autre chose, peut-être ; le besoin de sens, surement ; le besoin de spiritualité, évidemment. Je ne vais pas me lancer dans une description de l’état du monde, il faudrait plus qu’une conférence pour cela mais, à travers ce que nous observons, nous comprenons ce fort besoin de sens. Je dis cela devant Faouzi Skali, le fondateur du Festival des cultures soufies de Fès qui en est à sa 11e édition et dont le succès ne se dément pas au fil des années, bien au contraire.

La véritable spiritualité s’incarne dans les actes citoyens de chaque jour

Fort du bilan de l’année dernière, Abd el-Hafid Benchouk et Amel Boutouchent ont décidé de rendre pérenne ce festival en l’institutionnalisant et en déposant des statuts. Je partage donc avec Eric Geoffroy, de Conscience soufie, membre éminent de la Alawiyya la présidence d’honneur. C’est vraiment un honneur.

Abd el-Hafid Benchouk et Amel Boutouchent, avec l’aide des disciples de la voie Naqshbandi et les bénévoles de la Maison Soufie, sont et resteront les chevilles ouvrières de ce temps consacré au Beau et à l’éveil des consciences. Nous continuerons tous ensemble ce chemin en dialogue. Bref, ensemble nous souhaitons faire de ce moment un rendez-vous annuel ou biennal.

Lire aussi : Osons penser le beau et le spirituel aujourd’hui

Un bref retour en 2017. Le festival était basé sur trois axes : artistique, citoyen et spirituel.

Sur le plan artistique, l’équipe du festival a pu promouvoir un certain nombre d’artistes qu’il serait trop long d’énumérer. Il était important d’offrir un espace pour revivifier l’esthétique soufie tout en contribuant à la sauvegarde d’un riche patrimoine.

Sur le plan citoyen, l’édition 2017 était marquée par un titre éloquent « La cité au cœur », il nous a été donné de rappeler que la véritable citoyenneté prend ses racines dans les profondeurs de l’être et la véritable spiritualité s’incarne dans les actes citoyens de chaque jour. Il était tout aussi important de sensibiliser nos amis à l’exercice d’une citoyenneté active.

Sur le plan spirituel, l’accent a été porté sur la connaissance du soufisme, cette Voie intérieure de l’islam qui est magnifiquement résumée par notre maître à tous Ibn Arabi : « Ô toi qui cherche le chemin, reviens sur tes pas car c’est en toi que se trouve le secret tout entier. » Le soufisme comme mode de connaissance et voie d’éducation pour les jeunes générations car il ne peut y avoir de paix si l’individu n’est pas en paix avec lui-même.

Comme je le rappelais, le soufisme d’hier et d’aujourd’hui est porteur de trois espérances majeures :

• La première est que la foi se nourrit tant du dogme que d’une spiritualité vivante et il nous apprend que tout ce qui monte converge.

• La deuxième est que foi et raison ne s’opposent pas mais s’éclairent l’une l’autre.

• La troisième est que cette spiritualité, pour être vivante, doit être vecteur de sens en fondant l’action bienveillante.

De l’ardente obligation de réenraciner le soufisme comme rempart contre l'extrémisme

Nous ne sommes que les vecteurs de la volonté divine

Tout le programme a pu se réaliser sur une période de trois semaines à travers des concerts, séminaires, conférences, expositions, pièces de théâtre, rencontres littéraires, films, stands d’artistes… Bien évidemment, si nous constatons le succès et l’engouement, cela nous donne une responsabilité supplémentaire. Nous savons que nous avons marge de progression et je suis persuadée que ce collectif répondra à vos attentes et à vos exigences.

Que toute l’équipe soit ici remerciée et au premier rang : Abdelhafid Benchouk et Amel Boutouchent pour ses multiples talents ; un coup de cœur pour Karine Pollens à qui nous devons la magnifique affiche originale du premier festival soufi de Paris et à tous les bénévoles sans qui rien ne serait possible. Mais nous sommes lucides et savons que nous ne sommes que les vecteurs de la volonté divine et que pour ce faire, nous avons reçu le souffle et la baraka des maîtres de la Voie par la belle présence de :

Cheikh Bentounès qui, présent au premier jour de ce festival, a réussi à obtenir de l’Organisation des Nations Unies et par consensus général de tous les pays faisant partie de l’organisation une journée du Vivre Ensemble en Paix. Je salue ce modèle de cheminant abouti et Homme de la Cité par excellence.

• Cheikh Bahauddin de la Naqshbandi qui nous a emporté dans son dhikr loin, très loin, dans un moment de spiritualité et de communion rare. Cheikh Bahauddin dont le père Cheikh Nazim nous a invité à ne plus dire « je suis de telle ou telle confrérie, ou je suis soufie mais je suis rabbani ».

• Je rajouterai mon maître qui est aussi celui de Faouzi Skali, Sidi Hamza Qadiri Boutchich, qui a toujours soutenu les actions culturelles. Elles étaient pour lui le plus court chemin de l’homme à l’homme et il nous a toujours encouragé à participer à la promotion du savoir et à la connaissance du beau. Là où il est, il nous accompagne.

Ces maîtres ont toujours été pour le dépassement et l’ouverture à l’Autre et car ils sont à la fois « Le miroir de l’Un » et « Le miroir de l’Autre ».

La musique, une expression humaine si singulière

Cette année, le programme du festival est extrêmement riche en artistes, conférenciers de grande qualité. Il est placé sous le signe du « Miroir » et, bien sûr, « L’Un, miroir de l’Autre ».

Il débute par la conférence de Faouzi Skali. (...) Je suis heureuse de sa présence, lui qui a tant œuvré pour la diffusion de toutes les cultures du soufisme en nous éveillant au beau à travers la poésie, le chant, les arts mais aussi à travers le débat parfois contradictoire mais toujours respectueux. Il nous vient de Fès et ce n’est pas un hasard. Cette ville, qui est détentrice de la première université au monde, la Qaraouiyne, construite, il faut surtout le rappeler, par une femme Fatima Fihria, deviendra au fil du temps le cœur battant de la spiritualité et de la diversité culturelle du Maghreb. (...)

Lire aussi : Faouzi Skali : « Paradigme de civilisation, le soufisme se réinvente en permanence »

Faouzi Skali a toujours été persuadé que c’est par la culture, par l’Un dans le miroir de l’Autre que des cœurs peuvent se rejoindre, que les intellects peuvent se comprendre au-delà des langues et cultures différentes. Il a été le fondateur du Festival des musiques sacrées de Fès puis du Festival des cultures soufies de Fès où la musique sera toujours présente parce qu’il a baigné depuis l’enfance dans le samaa, ce chant sacré arabe souvent polyphonique qui clôt les rencontres dans les confréries et qui évoque le plus souvent la nostalgie de la séparation.

La musique est cet art, cette expression humaine singulière qui est à la fois dans l’immanence et la transcendance, dans le particulier et l’universel. (...)

Il nous appartient de combler ce vide culturel propice à tous les dangers

Les manifestations culturelles dans le cadre du Festival soufi de Paris sont et seront l’occasion de montrer que le soufisme diffuse un discours pacifiste, à l’opposé des idéologies extrémistes, et surtout éduque à un islam spirituel, libre et responsable.

La culture est essentielle et nos traditions ancestrales ont toujours véhiculé le Beau. Nous avons, aujourd’hui, l’ardente obligation de réenraciner le soufisme comme rempart car, comme l’a écrit Hannah Arendt, « c’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal » et nous savons tous que l’extrémisme a pu prospérer dans cette forme de déracinement culturel. Que dis-je de vide culturel !

Je voudrais conclure par les propos de Kamel Daoud qui répond à la question « Que faire de l’Autre ? » : « Le meilleur sentier pour cette solidarité reste, la culture. Ce vaste champ du sens, de l’œuvre et de l’effort, et de prétention à l’éternité. La culture est ce à quoi s’attaquent, en premier, les fascismes et les radicalismes, les folies cycliques. Car la culture affirme l’essentiel : la différence. Elle relativise les croyances, rappelle la valeur de l’individu au delà de l’utopie de la cité, offre le voyage et la rencontre à celui qui n’en a pas les moyens, ouvre l’Autre à l’intime en soi et réduit la distance au bénéfice de la curiosité. »

Chers amis, notre responsabilité est grande, il nous appartient de combler ce vide culturel propice à tous les dangers. Nos moyens sont modestes à l’image du lieu ou nous nous trouvons ce soir mais grâce au concours de tous grande est notre espérance.

A l’instar du Festival des cultures soufies de Fès, longue vie au Festival soufi de Paris, merci à vous tous pour votre belle présence.

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