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Arts & Scènes

« Zone Franche », une ode au panafricanisme depuis l'Institut des cultures d'islam

Rédigé par | Vendredi 5 Février 2021 à 17:30

           

Du 3 février au 1er août 2021, l’Institut des cultures d’islam (ICI) accueille « Zone Franche », une exposition dont la perspective est résolument panafricaine, co-construite avec le concours de deux autres structures culturels en Afrique. L'institution culturelle parisienne est, pendant six mois, quartier général de la saison Africa 2020. La réouverture des lieux culturels n'étant pas à l'ordre du jour en raison de la crise du Covid-19, des visites virtuelles sont au programme.



« Zone Franche », une ode au panafricanisme depuis l'Institut des cultures d'islam
L'exposition « Zone Franche » est le fruit d’une rencontre entre l’Institut des cultures d’islam (ICI), situé dans le quartier parisien de la Goutte d’Or, Doual’art, le premier centre d’arts contemporains du continent basé au Cameroun, et Think Tanger, un laboratoire de réflexions sur l’urbanisme au Maroc. Une rencontre entre structures mais aussi entre artistes locaux ou issus de la diaspora africaine qui, à travers leurs œuvres, racontent les mouvements et les mutations urbaines qui façonnent l’Afrique d'aujourd'hui.

Ainsi, l’exposition, qui se veut être « un espace poétique symboliquement autonome », explore la circulation des biens, des personnes mais surtout des imaginaires « par-delà les limites immatérielles ». Et si cet espace de création a été nommé « Zone Franche », ce n’est pas par hasard. Les commissaires voulaient se réapproprier un terme qui, en temps normal, « désigne une enclave imperméable qui produit des biens destinés à l’exportation », selon la directrice artistique de l’ICI, Bérénice Saliou.

« Nous voulions créer notre propre zone franche : notre propre espace avec ses règles et ses lois. Des lois qui, finalement, repensent la question de la mobilité et des flux au-delà des frontières dans un espace qui est avant tout une zone poétique fondée sur la liberté de penser », a-t-elle déclaré lors de l'inauguration virtuelle de l'exposition mercredi 3 février.

La résilience pour faire face à la précarité

Ici, les quinze artistes n'analysent pas seulement les effets des mutations urbaines sur le continent africain, mais aussi ses conséquences sur les populations. De fait, ils évoquent également avec lucidité et créativité les conséquences de la mondialisation et du capitalisme sur l’urbanisme africain.

« Dans cette exposition, les artistes qui parlent du réel le font avec plusieurs filtres et d’abord avec celui de la survie. Ils évoquent ceux qui aspirent à une vie meilleure, mais proposent aussi une réflexion sur ce que le modèle capitaliste dominant veut nous imposer », explique Marilyn Douala Bell, cofondatrice et présidente du centre d’arts contemporains camerounais Doual’art.

Parmi les artistes, figurent la plasticienne franco-marocaine Randa Maroufi. Dans son court-métrage « Bab Sebta », en lice pour les Césars 2021, la réalisatrice a filmé le passage des contrebandiers et contrebandières à Ceuta, enclave espagnole sur le sol marocain. L’occasion pour elle d’observer une activité transgressive mais émancipatrice.

Avec « The Gold Sellers », la photographe Sabrina Belouaar voulait, elle aussi, se pencher sur des parcours de vie synonymes de résistance et d’adaptabilité. Sa série de clichés consacrée aux vendeuses d’or à la sauvette qui habitent les rues algériennes raconte l’histoire de femmes « aux vies difficiles », « conspuées » et obligées de troquer leur dot et leurs bijoux contre de l'argent.

« Qu’il s’agisse de vente à la sauvette de cigarettes sur les trottoirs parisiens ou de bijoux dans les rues d’Alger, de contrebande à la frontière du Maroc et de l’Espagne, ou encore de construction spontanée d’habitats à Tanger, ces mécanismes de survie soulignent le combat et la résilience des individus en marge du modèle de développement capitaliste », explique l’ICI, pour qui l'exposition vient ainsi questionner « des pratiques informelles qui se glissent dans les interstices de la mondialisation ».

Le panafricanisme au cœur de l’exposition

« Zone Franche » interroge également le passé et l’avenir du continent dans une perspective résolument panafricaine. Ainsi, pendant une saison, « l’ICI devient un centre panafricain temporaire », déclare Bérénice Saliou. Un centre panafricain où les regards sur les flux se croisent et où « l’Afrique parle à l’Afrique », ajoute Marilyn Douala Bell.

C’est dans ce cadre que l’artiste marocain Mohamed Arejdale invite les visiteurs à voyager aux côtés d’une tribu nomade. L’artiste a suivi une caravane plusieurs semaines avec une tribu du désert, en a rapporté des empreintes de pattes de dromadaires, vestiges d’un mode de vie en voie de disparition.

« En réaction à l’effacement progressif des modes de vie traditionnels, le concept de nomadisme est ici transposé à tout(s) ce(ux) qui traverse(nt) les frontières : femmes, hommes, croyances, biens de consommation et monnaies qui circulent au sein de cartographies arbitraires et d’infrastructures héritées du colonialisme », fait part l'ICI. « Libres ou contraints, avec ou sans visa, par les airs, les terres ou les mers, leurs voyages résistent ou contribuent selon les cas, à la fragmentation d’un continent et d’un monde en proie à des velléités hégémoniques. »

Mansour Ciss a choisi, lui, d’inventer le futur de l’Afrique grâce à un bureau de change qui permet de troquer des euros pour des... afros ! L’installation intitulée « Afro notre monnaie » permet de retirer des billets (imaginaires) où figurent les visages d’icônes africaines. Cette œuvre, qui illustre selon Marilyn Douala Bell « une vision futuriste d’une monnaie continentale », symbole de l’unification des pays africains, incarne aussi le désir du créateur de voir un jour les murs érigés entre les peuples tomber en Afrique. Mansour Ciss, à l'origine du laboratoire « Déberlinisation » qui s’articule comme une plateforme artistique pour repenser l’histoire coloniale et le continent africain, présente d'ailleurs dans le cadre de cette exposition une œuvre d'art qui incarne cette utopie : le « Global Pass », un passeport qui permettrait de se déplacer librement sur tout le continent.

Progresser sans oublier le passé : l'Afrique, riche de populations fermement attachées à leurs traditions, ne saurait s’en défaire. « La filiation occupe une place extrêmement importante en Afrique que l’on se trouve à l’intérieur ou hors du continent », rappelle Marilyn Douala Bell. Grâce à leurs racines, les artistes de « Zone Franche » choisissent, tout comme le sankofa, cet oiseau emblématique de la culture africaine « qui a les yeux fixés en arrière mais qui avance », de rêver l’avenir en honorant leur histoire.

En raison de la crise sanitaire, l'exposition est ouverte dans un premier temps en ligne. Des visites virtuelles sont d'ores et déjà possibles, dans l'attente de la mise en place d'une programmation pluridisciplinaire riche de concerts, de spectacles vivants, de films, de conférences, de contes, de ciné-goûters, d'activités pour le jeune public, d'ateliers de pratique artistique et de visites thématiques de la Goutte d’Or pour « mettre à l’honneur les artistes du continent africain et leur regard sur le monde ».

« Zone Franche », Exposition et Quartier général d’Africa 2020 à l’Institut des cultures d’islam et en ligne
Du 3 février au 1er août 2021
Reportage autour de l’exposition
En savoir plus sur « Zone Franche »






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