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Société

Paul Baquiast : « Il faut montrer à la jeunesse que l'universalisme en actes rend possible le collectif »

Les mots piégés du débat républicain

Rédigé par Pierre Henry | Mercredi 12 Janvier 2022 à 11:25

           

Après être revenu sur l'origine du mot « universalisme » et sa balade dans l'actualité, un spécialiste nous aide à y voir encore plus clair. Paul Baquiast est historien de la République et auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire républicaine, dont le plus récent, « Emmanuel Arago ou Le roman de la République » (Editions du Félin, 2021) qui met en lumière l'un des pères fondateurs de la Troisième République.




Pensez-vous que le concept d'universalisme soit encore aujourd'hui opérant, en particulier pour la jeunesse ? Comment présenteriez-vous à cette jeunesse pour qu'elle comprenne qu'il est actuel ?

Paul Baquiast : Je crois qu'à la jeunesse, il faut tenir un discours d'enthousiasme et d'optimisme. L’Universel doit être compris comme un grand et un beau projet qui unit ce qui est dispersé, qui rassemble les êtres humains, qui fait le pari que ce qui nous rassemble est toujours plus fort et plus essentiel que ce qui nous différencie. Et que finalement, rien n'est plus beau que d'aller à la rencontre de l'autre et de découvrir en lui un autre nous-mêmes, en toute fraternité.

Je crois que la fraternité parle à la jeunesse et donc il faut lui montrer que l'universalisme et la fraternité sont totalement liés. Et il faut aussi décliner l'universalisme dans le concret, montrer que l'universalisme en actes permet une vie plus souriante et rend possible le collectif. A l'école, par exemple, l'universalisme, c'est le fait de donner le même enseignement à tout le monde et de fréquenter les mêmes lieux, quelles que soient ses croyances ou ses non-croyances et quelles que soient les origines.

Dans un discours de 1879, je m'adresse à l'historien, Victor Hugo déclarait en parlant de l'Afrique : « Allez les peuples, emparez-vous de cette terre, prenez-la. A qui ? A personne. (...) Dieu offre l'Afrique à l'Europe. » Que répondez-vous à ceux qui disqualifient l'universalisme républicain en raison de ce qu'ils appellent des manquements, en particulier lors de l'aventure coloniale, comme l'illustrent ces mots du grand républicain que fut Victor Hugo ?

Paul Baquiast : Alors, je vous répondrais en plusieurs temps. Je dirais que ma première réponse, c'est d'abord de dire que la citation de Victor Hugo que vous avez évoquée ne renvoie en rien à un discours universaliste, mais plutôt à un discours religieux et à un discours de conquête. Dans sa phrase, c'est au nom de Dieu que les Européens doivent s'emparer de l'Afrique et en rien au nom de l'universel. Ce serait une première réponse.

Dans un deuxième temps, je dirais que le colonialisme et l'universalisme ne doivent pas être confondus. Ce sont deux choses différentes. Alors, si parfois on les confond, c'est parce que, en effet, certains colonialistes se sont référés à l'universalisme des valeurs européennes pour justifier les conquêtes coloniales. Il se met dans les pas, en quelque sorte, de la pensée d'un Jules Ferry. Jules Ferry, qui est à la fois le père de l'école moderne qu'on connaît, l'école gratuite, laïque et obligatoire, est également le grand promoteur de la politique coloniale de la France. Et Jules Ferry promeut la politique coloniale au nom des Lumières, au nom de la science, au nom des techniques. Il considère que c'est une obligation morale que de les apporter aux peuples dont il pense qu'ils en sont privés. De ce point de vue-là, Jules Ferry l'instituteur et Jules Ferry le colonisateur sont les deux visages d'une même volonté d'apporter et diffuser les connaissances.

Paul Baquiast : « Il faut montrer à la jeunesse que l'universalisme en actes rend possible le collectif »

Ça n'a pas vraiment marché.

Paul Baquiast : Oui, bien sûr. D'abord, elle n'a pas été suivie des faits. Mais il faut avoir conscience que cette pensée est à l'époque très répandue, même s'il y a, vous avez tout à fait raison de le suggérer, une énorme distance entre le discours et les actes. En Algérie, par exemple, en 1880, seuls 3 000 musulmans fréquentent l'école et encore 30 ans plus tard, il y en aura que 33 000 sur un potentiel de 800 000 jeunes. Donc, effectivement, il y a une partie (de l’idéal) – je ne sais pas si c'est hypocrite – qui n’a en tout cas pas été réalisée dans les faits.

Mais je voudrais insister sur un fait moins connu qui est que beaucoup d'universalistes étaient hostiles à la colonisation. On met toujours en avant Jules Ferry ou éventuellement Victor Hugo dans le discours que vous avez évoqué tout à l'heure. Mais Clemenceau, par exemple, qui est un très grand nom de l'histoire républicaine, était un adversaire acharné à la politique coloniale et c'était d'ailleurs à son époque le plus grand ennemi politique de Jules Ferry. Par ailleurs, je dirais que la position de Jules Ferry aujourd'hui, est très ancienne, très datée. Elle a été réfutée par l'universalisme lui-même. N'oublions jamais que c'est au nom du discours universaliste et au nom de la Déclaration des droits de l'homme que s'est construit le discours anticolonial.

Alors, justement, je voudrais arriver à ma question suivante. Robert Badinter appelait, il y a quelque temps, à ne pas abdiquer l'universalisme au différentialisme, considérant que l'universalisme est le combat pour l'égalité et alors le combat pour les droits de l'Homme. Êtes-vous d'accord avec cette vision de l'universalisme ?

Paul Baquiast : Ah oui, je suis tout à fait d'accord avec cette vision de Robert Badinter. Il me semble que le différentialisme met en avant ce qui sépare avec l'idée que nos différences sont telles que nous devons vivre selon des règles et des lois différentes. Il me semble que le différentialisme est une négation de l'idée d'unité de l'humanité. C'est un fractionnement indéfini de l'humanité, un rejet sans fin de tout ce qui est différent de nous. Je dis rejet sans fin, car finalement au sein d'un même groupe d'apparence homogène, on trouvera toujours des différences et un nouveau motif de fractionnement.

A l'inverse, l'universalisme part de l'idée que, certes nous avons des différences, mais parce que nous sommes des êtres de raison, des êtres de réflexion, nous sommes en capacité de nous rencontrer, nous pouvons nous parler, nous pouvons penser ensemble et nous pouvons construire ensemble.

Y a-t-il des limites à cet universalisme ?

Paul Baquiast : Oui, je pense qu'il a des limites. En tout cas une faiblesse de l'universalisme, c'est qu'il se présente trop souvent comme un concept théorique. On peine parfois à lui donner de la chair, de l'incarnation. Ce qui ne serait pourtant pas très difficile. Il suffit de regarder les réalisations concrètes que l'on peut faire avec l'universalisme.

Autre chose, je pense que l'universalisme, s'il s'oppose au différentialisme, ne doit en rien s'opposer à la différence. Là, il y a un grand malentendu. La différence est une très belle chose si on voit en elle une source d'enrichissement et non pas de ségrégation. Le principe de laïcité, par exemple, qui est une des déclinaisons de l'universalisme, est en réalité une protection des différences de chacun, qui sont reconnues et protégées dans la sphère privée. Même si, dans la sphère publique, on demande de les passer sous silence.

*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM..




Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 13/01/2022 09:11 | Alerter
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Associer "fraternité" et "universalisme" doit être relativisé, et il est tout à fait surprenant qu'un spécialiste de ces thèmes se livre sans nuances à ce rapprochement, qui plus est par ailleurs en tentant de nuancer et de différencier les usages du mot...

Le concept de "fraternité" tel que manifesté par la devise de la république, est lié au concept de "nation" et désigne le lien spirituel entre les membres de la nation, il représente le moteur affectif charnel de ce qui fait la nation.
Cela par définition exclut donc ce qui est extérieur à la nation.

Ainsi, est qualifié d'"universel" à l'intérieur de la nation, ce qui s'applique à toute la nation, par exemple le suffrage, et l'égale considération entre les citoyens, tous rassemblés comme des frères, derrière la même autorité volontairement reconnue.

L'"universalisme" désigne ainsi deux choses qui sont les extensions quantitative et qualitative du terme.

D'abord, quantitativement, l'extension de la nation à tout le genre humain ou du moins à tous les hommes soumis à l'autorité de la nation, et cela colonisés inclus, eux qui sont destinés, c'est le projet "éducatif" colonial, à devenir pleinement citoyens une fois le processus d'adhésion à la civilisation "universelle" achevé.
Ambigu et largement hypocrite, le terme visait ici à assoir une domination qui niait l'identité des cultures locales jugées "sous-développées" tout en la maintenant à des fins pratiques et militaires.
C'est le sens de la dénonciation de la colonisati...  

2.Posté par Rond LEDARON le 17/01/2022 21:03 | Alerter
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L'utopie républicaine faisant fi de la réalité humaine,se heurte à cette même réalité en ne comprenant pas le pourquoi de cet échec.L'introspection n'étant pas sont fort ,elle s'entête dans un monologue quasi autistique ,à vouloir non pas se réformer ,mais réformer son environnement y compris et surtout par la coercition.

3.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 19/01/2022 11:10 | Alerter
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L'utopie républicaine s'est réformée, précisément ! En abandonnant le colonialisme, parenthèse regrettée.
Et tout ce que je mentionne au sujet du vrai sens de la nation se révèle vrai, encore plus vrai.
Et il faut maintenant se débarrasser de l'autre universalisme, tout aussi pervers, et tout aussi colonialiste. C'est le multiculturalisme, qui au nom d'une soi-disant liberté d'installation, se dispense tout autant de tous les nécessaires impératifs nationaux.

4.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 19/01/2022 11:13 | Alerter
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Par "parenthèse regrettée", je voulais dire bien sûr le regret au sens de l'évocation d'une erreur à rejetter et non pas d'une évocation nostalgique qu'on souhaite recréer... Avec un seul mot, on peut tout dire...

5.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 19/01/2022 11:14 | Alerter
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Et tant qu'on est dans les ambiguïtés de la belle langue française, au sujet de "tous les impératifs nationaux", je voulais évoquer ceux des pays d'origine ET de destination.

6.Posté par Rond LEDARON le 19/01/2022 17:08 | Alerter
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@françois,
Crois-tu vraiment à ce que tu écris ?
Abandon du colonialisme ? Tu rigoles j'espère ?
Le système françafrique ,celui qui impose sa monnaie,ses conseillers,son armée d'occupation,ses potentats locaux ,ces vassaux qui n'ont d'yeux que pour leur maitre ,au détriment de leur propre population.Ce système qui impose SES multinationales qui pillent sans vergogne.
Le foisonnement de cultures est consubstantiel à la diversité humaine ,nous savons que c'est une punition , dans la psyché occidentale ,en vertu du mythe de la tour de Babel.
La France post-révolution maçonnique a voulu araser les cultures régionales en niant une altérité millénaire.Il n'est d'ailleurs pas étonnant que la république française soit un des dernier état à ne pas avoir ratifier la charte de reconnaissance des langues régionales.Reconnaissance des cultures qu'elle promeut dans d'autres pays ,on est plus à un paradoxe près.

7.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 24/01/2022 18:49 | Alerter
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La "francafrique" (celle-ci n'existe plus) n'était en rien du colonialisme, disparu avec la décolonisation comme son nom l'indique. L'aide au développement, détournée par la corruption des dictateurs l'est tout autant par celle des élus "démocratiquement" élus, qui appartiennent toujours aux ethnies dominantes, comme Lugan l'explique très bien.
Le pillage dont vous parlez est fait à leur profit exclusif, et les multinationales sont bien en peine, car comme vous le savez, l'Afrique ne compte pour rien dans les échanges mondiaux et ne produit rien. Ses matières premières sont toutes en concurrence avec des équivalents produits ailleurs et bien moins dangereux et couteux...
La preuve de cette fin( que beaucoup regrettent) du colonialisme est l'insécurité actuelle dramatique de la quasi totalité de l'Afrique, ses côtes comprises. S'achemine-t-on pour des raisons purement géopoliques, vers une vraie reconquête militaire, qui serait menée comme à la grande époque avec partage des territoires entre les puissances ?

D'accord avec vous pour la pluralité des cultures humaines et de la nécessité de la préserver, quitte à limiter les migrations partout. Simplement les cultures ont des granularités différenciées, et les véritables ont toujours été pluri ethniques et indépendantes des nations, qui ont une autre réalité.

Les langues régionales étaient et sont toujours par ailleurs une calamité pour la construction d'une économie moderne. Elles furent éradiquées avec justesse au début du ...  


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