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Points de vue

Oublier Allah pour le musulman dans une société laïque

Rédigé par Fouad Benyekhlef et Oumayma Hammadi | Lundi 9 Avril 2018 à 11:55

           


Oublier Allah pour le musulman dans une société laïque
Et si l'on oubliait Allah pour se centrer sur une réalité de référence qui est l'individu ? Cela afin de s’inscrire dans une optique profane qui fait abstraction de la religion en tant que système de pensée dogmatique lorsque l'on pense « le musulman » dans notre société. Certainement, il est important de sortir d’une forme de théocentrisme qui condamne tout musulman à une relation permanente à Allah, jusqu’à ce que ce dernier finisse par éclipser l’individu.

Voilà pourquoi il est primordial de bien replacer le curseur, surtout s’il s’agit de luttes pour l’auto-émancipation et les libertés individuelles. Ne plus penser être cantonné aux espaces de libertés déterminés par ce que l’on nomme « l’islam » mais plutôt laisser libre cours à l’individu, sa curiosité, ses choix et sa raison. Favoriser donc le développement de résistances critiques mais surtout entreprendre un travail de désacralisation du patrimoine historique et scripturaire islamique sans pour autant se voir être mis au ban de la minorité musulmane. En d’autres termes, promouvoir un esprit laïque qui n'accepte en aucun cas d'être contraint dans son choix par des « paroles » qui viennent d’en haut, tout en assumant un héritage, une islamité.

Car, s’il existe des obstacles religieux au déploiement intellectuel et philosophique d’un esprit laïque, il convient aussi de rappeler que ce n'est pas l'apanage de l’islam. D'où le fait de réfuter toutes formes de culturalisme qui se hasarderait à justifier une prétendue spécificité inhérente aux musulmans qui les rendraient hermétiques à tout esprit laïque et à tout libre examen. Toutefois, s’il est vrai que le religieux hantera toujours les libertés individuelles et les pensées libertaires, le processus décisif de laïcisation et de sécularisation a bel et bien démarré et est alimenté par des ingrédients favorables à son développement.

Accèder à une islamité débarrassée de toutes les formes d’aliénations de l’individu

Ainsi, pourquoi donc ne pas inscrire la laïcité – politique mais aussi philosophique - dans l’historicité de l’ensemble des composantes de notre société, y compris la minorité musulmane ? S’il est vrai que la plupart des expressions qui s’auto-identifient comme « musulmanes », dans notre pays, la résument le plus souvent au principe simple de séparation de l’Etat et des Eglises, il n'en reste pas moins qu’il existe bel et bien tout un pan de la minorité musulmane acquis à l’esprit laïque. Ceux-ci ne limitent aucunement la laïcité au simple principe étatique mais l’élargissent à une approche de prise en compte de l’individu et de la société, qui ne se recroqueville pas sur une entité aliénatoire qu’est « la communauté musulmane » et qui s’extirpe des enclosures mentales dues aux différents conditionnements.

Tandis que les tenants de l’esprit laïque procèdent à une critique des dogmes religieux islamiques et passent l’islam au crible de l’analyse historique et philosophique en vue d’accéder à une islamité débarrassée de toutes les formes d’aliénations de l’individu, ceux-ci doivent faire face à une démonstration de force dans le cadre d'une rivalité. En effet, cette approche est contrecarrée par deux courants musulmans qui ont leur importance en Belgique mais ce constat peut être élargi à la France :

- Le courant « clérical » qui est la forme institutionnalisée de l’islam en Belgique et qui propage des positionnements religieux via ce qui est présenté comme une instance doctrinale et des structures cultuelles.

- Le courant d'inspiration « islamiste » mais qui se revendique néanmoins du réformisme musulman. Celui-ci encourage l’engagement et le militantisme tout en veillant à la spiritualité, l’éthique islamique et l’attachement vis-à-vis des sources de l’islam.

En s'y intéressant de près, le constat qui peut être fait est que ces deux courants, qui souhaitent s’imposer, semblent s’accorder sur une vision bien fallacieuse de la laïcité : une laïcité exclusivement politique et qui serait en conformité avec les normes et valeurs de leur lecture de la religion islamique.

Beaucoup semblent cultiver la nostalgie de la normativité religieuse

Néanmoins, il est important de prendre en considération le fait que ces deux courants balaient un large spectre de sensibilités. Sans s’attarder sur les positionnements et spécificités de chacun, il est indéniable que le contexte belge dans lequel ils évoluent influence très profondément les stratégies, les postures ou encore les rhétoriques. S’il existe des intellectuels éclairés au sein de ces deux courants, beaucoup semblent cultiver la nostalgie de la normativité religieuse et mobilisent la religion dans sa fonction éthique, sociale et politique pour apporter leurs solutions à un problème pourtant multiforme que vit la minorité musulmane dans notre pays.

Le « cléricalisme musulman », étant sous tutelle de l’Etat, se doit de se mettre au garde-à-vous. Il se sent donc obligé d’exposer une laïcité de façade décrédibilisée par sa proximité ainsi que ses connivences avec l’Etat. Pour ce qui est des tenants de ladite branche du réformisme musulman, moins assujettis, ils se présentent comme en faveur de la laïcité alors qu’en réalité, ils contribuent à en amortir les effets. En plus de l’enfermer au simple principe étatique, ils semblent vouloir vider complètement ce principe de son sens, pour le transformer en une sorte de pluralisme religieux qui ne dit pas son nom.

Pire, sur le plan philosophique, ce même courant s’attèle, par un travail d’harmonisation avec la référence islamique, à présenter un mode de pensée comme rationaliste et moderniste tout en le maintenant au sein de référentiels islamiques. Ce réformisme musulman, conservateur dans le fond, ne peut en aucun cas, en l’état, être un lieu intellectuel propice au développement de la laïcité - philosophique et politique - mais plutôt le lieu de sa neutralisation pour lui préférer l’illusion d’une continuité islamique qui n’a de cesse de rapprocher l’état de l’individu des vérités divines.

Oublier Allah pour le musulman dans une société laïque

La laïcité - philosophique et politique - agit dans l’intérêt de l’individu en oubliant toute divinité

Le processus de sécularisation de la minorité musulmane est un fait, n’en déplaise à ceux dont la pensée finira toujours par avouer le primat de la référence islamique et qui puisent dans la tradition islamique pour parler du présent conformément aux principes religieux. Un tel retournement dialectique a pour effet de « désenchanter » des prétentions présentées comme modernistes et en faveur de la laïcité - philosophique et politique - mais qui ne font en réalité que soumettre ces concepts aux limites islamiques. Il s’agit bien là d’une illustration particulièrement limitée de la démarche générale qui ne cesse d’inclure Allah dans toutes ses réflexions.

La laïcité - philosophique et politique - agit dans l’intérêt de l’individu en oubliant toute divinité. Ce n’est ni à l’Etat ni à ceux qui pensent la société à rapprocher l’état de l’individu des vérités divines ou encore à s’assurer d’une potentielle conformité avec les normes et valeurs de leur religion. A contrario, l’objectif de l’esprit laïque, qui est une approche cohérente et en phase avec ce qu’elle défend, est de rendre compte d’un mouvement citoyen réel et de poser les jalons de la conscience critique dont la réalité de référence est l'individu. Loin de toute gymnastique rhétorique ou de tout sophisme, l’esprit laïque cherche davantage à se recentrer sur « le musulman » - donc l’individu - de façon séculière et adaptée à la réalité sociale et à la modernité qu’il traverse sans forcément chercher à satisfaire Allah.

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Fouad Benyekhlef est militant progressiste et acteur associatif.

Oumayma Hammadi est militante féministe antiraciste et membre de la campagne Rosa.

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