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Les Ouïgours divisent l'Allemagne

Rédigé par lila13@hotmail.co.uk | Mercredi 27 Mai 2009 à 09:01

           


S'être trouvés en Afghanistan au lendemain des attentats du 11-Septembre. C'est le tort qu'ont eu 17 jeunes Ouïgours alors en route pour l'Occident - dont ils rêvaient ! Ils avaient choisi de fuir : la Chine, d'où ils venaient, ne leur réservait qu'un avenir d'oppression (autant que des Tibétains, Pékin se méfie de cette communauté musulmane et turcophone, installée à l'ouest du pays). Comme leurs frères d'exil, ils avaient commencé par faire escale dans un Etat d'Asie centrale, en attendant d'y voir plus clair. Ce fut l'Afghanistan.

De l'Occident, les 17 jeunes gens, aujourd'hui âgés de 30 à 45 ans, n'ont toujours rien vu à l'exception de ce qu'il a de plus universellement contesté : la prison de Guantanamo, où ils croupissent depuis janvier 2002. Dès 2003, les Etats-Unis ont commencé à reconnaître que ces Ouïgours détenus sans inculpation ni jugement n'étaient pas les "combattants ennemis" qu'ils croyaient. Que l'armée pakistanaise, qui les avait présentés comme des combattants d'Al-Qaida, les avait induits en erreur. Rien n'y a fait. Plus de sept ans se sont écoulés, et les Ouïgours sont toujours à Guantanamo.

Quelqu'un, pourtant, ne les oublie pas. Dans son modeste bureau munichois, Asgar Can, vice-président du Congrès mondial des Ouïgours, ne connaît de ses compatriotes que le nom et l'âge. Mais il garde l'espoir d'accueillir une partie d'entre eux, un jour, dans la capitale bavaroise. C'est là que vit la plus importante communauté européenne d'Ouïgours : 500 membres (sur 4 000 en Europe).

Cette communauté, il a lui-même contribué à la fonder : il fut l'un des tout premiers Ouïgours à venir s'installer en Allemagne, en 1979, après que son père, directeur d'école, eut été incarcéré pendant deux ans -au motif qu'il avait refusé d'accrocher des portraits de Ma dans son établissement. La famille avait opté pour l'exil, choisissant de s'installer en Turquie, pays frère par la langue, où vit aujourd'hui la plus importante diaspora ouïgoure au monde (8 000 personnes). De là, le jeune homme, devenu interprète, est venu étudier à Mannheim puis à Munich, où se trouvaient déjà cinq autres familles d'Ouïgours. "C'est ainsi que, progressivement, les uns arrivant après les autres, nous sommes devenus cette communauté que Pékin appelle les "séparatistes d'Allemagne"."

Asgar Can est confiant. Barack Obama n'a-t-il pas déclaré, le 22 janvier, que Guantanamo fermerait d'ici à la fin de l'année, et annoncé dans la foulée qu'il comptait sur les alliés des Etats-Unis pour en accueillir les prisonniers ? En particulier, une trentaine d'entre eux (ils sont actuellement 241 toujours incarcérés sur la base américaine), déclarés libérables par la justice fédérale, mais dont les Etats-Unis ne veulent pas sur leur territoire, sans pour autant se décider à les renvoyer chez eux.

Parmi ceux-là, les 17 Ouïgours. Pas question de les remettre à la Chine, malgré les demandes de Pékin, qui n'a pas caché son intention de "punir" ces dangereux "terroristes séparatistes". Or l'administration Bush a affirmé avoir déjà demandé, en vain, à une centaine de pays de bien vouloir accueillir ces prisonniers dont personne ne veut. "Ils ont tous peur de la colère de Pékin...", soupire Asgar Can.

Munich, elle, n'a pas peur. Encouragée par l'excellente intégration de cette communauté (essentiellement composée de diplômés - journalistes, politiques ou religieux - tous réfugiés politiques), la municipalité s'est portée candidate à l'accueil des Ouïgours de Guantanamo, le 5 février.

Mais c'était sans compter sur le ministère de l'intérieur - auquel reviendra la décision finale. Oui, le ministre Wolfgang Schäuble (CDU) a bien pris connaissance de la liste de neuf détenus ouïgours (le sort réservé aux 8 autres est inconnu à ce jour), que Washington lui a, début mai, officiellement demandés d'accueillir en Allemagne. Mais il rétorque : "Pourquoi les Etats-Unis ne permettent-ils pas à ces prisonniers de séjourner chez eux, s'ils ne sont pas dangereux ?"

Et de rappeler, dans le quotidien populaire Bild am Sonntag du 10 mai "Nous n'avons aucune obligation à cet égard." En réponse à la liste de Washington, Berlin aurait, d'après le Spiegel, adressé "un catalogue de questions concrètes" relatives aux détenus ouïgours, dont le profil sera étudié "au cas par cas".

La question divise le gouvernement de coalition d'Angela Merkel : soucieux de tendre la main à la nouvelle administration Obama sans provoquer l'ire de la Chine, et d'assurer la sécurité des Allemands, qui, selon le ministère de l'intérieur, seraient "potentiellement" menacés par le "danger diffus" que signifierait la présence des neuf Ouïgours sur leur sol.

"Ne croyez-vous pas que, si le tribunal militaire chargé de leur dossier avait eu la moindre preuve attestant de leur appartenance à un mouvement terroriste, il l'aurait aussitôt saisie ?" répond calmement Asgar Can. Le petit homme ne baisse pas les bras, ni d'ailleurs Ferdinand Muggenthaler, porte-parole d'Amnesty International en Allemagne, qui s'inquiète qu'"à force de faire des commentaires sur le prétendu danger que représentent ces innocentés, la peur soit attisée".

D'après Asgar Can, en contact avec leur avocate, les Ouïgours ne comprennent pas que personne ne veuille d'eux. "Qu'avons-nous fait ?, a demandé à cette dernière l'un d'entre eux. Pourquoi nous détestent-ils tant ?"



Auteure : Lorraine Rossignol
Source : LeMonde.fr




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