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Points de vue

Les Françaises musulmanes : les grandes oubliées des luttes féministes occidentales ?

Rédigé par Noura Ben Hamouda Jaballah | Jeudi 8 Mars 2012 à 09:56

           


À l’occasion de la Journée internationale de la femme, j’ai été invitée par la Ligue française de la femme musulmane (LFFM) à intervenir à son premier colloque annuel sous le thème « Les Françaises musulmanes : les grandes oubliées des luttes féministes occidentales ? ».

Tout d’abord, je regrette l’absence de féministes à ce débat. En effet, dans une société démocratique et multiculturelle, il est indispensable et fort utile qu’il y ait un véritable échange sur les valeurs communes et sur des questions essentielles telles que l’égalité hommes-femmes. Ce débat nuancé devrait en effet aller au fond des choses et aider les personnes à mieux se comprendre et à se faire leur propre opinion.

Un débat interprétatif aurait ainsi été très enrichissant, car l’absence de dialogue laisse la place aux préjugés et aux stéréotypes qui conduisent et justifient des lois liberticides et qui privent des citoyennes de leurs droits humains et civiques. Je fais, par exemple, référence aux dégâts occasionnés par les lois interdisant les signes religieux dans l’espace public et même privé dans le cas des « nounous ».

Des lois d’exclusion qui interdisent l’accès à l’instruction et au travail

La série des lois liberticides à l’encontre des musulmanes portant le foulard présente plusieurs paradoxes : juridique, psychologique et social.

En effet, ces lois sont supposées garantir la liberté de chacun. Or, en réalité, elles privent les personnes qui voudraient mettre en pratique leurs convictions religieuses de leurs droits.

Paradoxe social, puisque, au nom du féminisme et des droits des femmes, on renvoie ces femmes à leur foyer et c’est ainsi que le patriarcat est renforcé par le féminisme.

Paradoxe psychologique désastreux, puisque ces femmes se trouvent obligées de choisir entre leurs convictions et leur vie sociale : pour être acceptées dans la société, elles doivent nier leurs convictions profondes ; et pour rester fidèles à leurs convictions, elles subissent la marginalisation et l’exclusion.

C’est pourquoi au lieu de parler « des grandes oubliées des luttes féministes occidentales », je préfère parler « des grandes trahies du féminisme réduites au silence médiatique et politique », car les discours féministes se renouvellent aujourd’hui contre les femmes musulmanes voilées.

En fait, il ressort de ces considérations qu’on se sert du féminisme pour justifier le racisme et le sexisme à l’encontre des femmes voilées. On peut en effet constater que ce n’est pas l’islam ni la tenue de la femme musulmane qui la marginalisent et l’écartent de la vie sociale mais c’est plutôt cette loi lui interdisant l’accès à l’instruction et au travail pourtant nécessaires à son épanouissement.

Pourquoi imposer un modèle unique de libération ?

Pourquoi les mouvements féministes adoptent-ils cette attitude envers les femmes musulmanes ?

Tout d’abord, à cause de l’ambiance islamophobe qui règne en France. On observe un profond malaise dans la société française fragilisée par la crise économique et traversée par une crise identitaire. Au lieu de prendre leur responsabilité et de répondre aux vrais défis, certains politiques font diversion et cherchent un bouc émissaire. L’islam et les musulmans sont ainsi présentés comme une menace supplémentaire pour la France et ses valeurs et servent de catalyseur de la peur et de la haine de l’Autre.

Si tel n’était pas le cas, pourquoi un État laïque, qui, par définition, ne privilégie et ne s’ingère dans aucune religion, se permet-il à maintes reprises de se focaliser essentiellement sur l’islam, de dénoncer ses pratiques et de le juger incompatible avec la laïcité ?
Voulu ou non, cet acharnement stigmatise les musulmans et monte l’opinion publique contre eux.

Les lois d’exception à l’encontre de la femme musulmane portant le foulard ne représentent qu’un symptôme d’un profond malaise au sein de notre société et un moyen d’exprimer le rejet d’un islam fantasmé et accusé d’opprimer la femme et de l’aliéner.

On a pu, par ailleurs, constater que toutes les voix cherchant à dénoncer le statut de la femme en islam se sont tues à l’occasion du Printemps arabe lors duquel les femmes musulmanes sont venues bousculer les stéréotypes et déconstruire les préjugés les concernant.

Elles ont démontré au monde entier que ce statut ne les enfermait pas chez elles mais que, bien au contraire, il les a propulsées dans les hautes sphères de la démocratie à l’image de cette ambassadrice yéménite de la paix, Tawakkul Karman, Prix Nobel de la paix, qui se distingue par son combat en faveur des droits des femmes. Notons par la même qu’elle fut reçue par Alain Juppé à l’Élysée mais qu’aucun grand média français n’a relayé cette information.

Ensuite, l’attitude des féministes envers les femmes musulmanes peut également s’expliquer par un manque de dialogue. L’ambiance que je dénonce en amont empêche le débat, crée une sorte de fracture et rend impossible un rapprochement entre les femmes musulmanes et les féministes. Pire encore, chaque groupe se retranche dans son camp et se radicalise de plus en plus dans ses positions.

Enfin, on observe une sorte de standardisation à travers les modes de consommation et de la manière d’être. Ainsi, les femmes se voient imposer un modèle unique de libération et une conception unique de l’égalité hommes-femmes, qui ne peut se réaliser qu’en dehors du cadre de la religion, comme si, aujourd’hui et en dehors de ce cadre, tout était acquis pour les femmes.

Féminisme : intégrer des paramètres et un schéma de pensée nouveaux

Face à ce constat, peut-on entrevoir des pistes de réconciliation? Quelles recommandations émettre pour défendre et préserver les droits ?

Tout d’abord, il faut continuer le combat et ne pas baisser les bras. Il faut agir et participer aux diverses actions promouvant une société plus ouverte, plus inclusive et plus respectueuse des droits et des différences. Il faut combattre toutes les formes de racisme et de discrimination, défendre la justice, la liberté, la tolérance et le respect de l’Autre, garder l’espoir d’un avenir meilleur. Pour que le monde change, il faut y croire et agir à son échelle.

Ensuite, il faut construire des ponts et se positionner dans une logique d’échange et de dialogue, permettant de déconstruire les préjugés et les idées préconçues. Pour avoir un jugement juste et éclairé, il faut pouvoir se faire sa propre opinion en discutant avec l’Autre avant d’émettre tout jugement, en essayant de comprendre ses motivations, sa conception des choses ainsi que les tenants et les aboutissants sa démarche. Si celle-ci est motivée par des valeurs que l’on partage, on se doit de la soutenir et de l’encourager. Et s’il existe un désaccord, il faut pouvoir se donner la chance d’en débattre.

Par ailleurs, les musulmans ont également le devoir de rendre compte de la réalité de leur religion. Loin des fantasmes et des comportements excessifs de certains musulmans contraires à l’esprit et aux finalités de l’islam, il leur revient d’expliquer la conception islamique du rôle et du statut de la femme tel que, par exemple, l’origine commune exposée dans ce verset coranique: i[« Ô humains, craignez votre Seigneur qui vous a créé d’un seul être […]. »]i

En effet, dans cette conception, l’homme et la femme partagent beaucoup d’éléments de similitude de par leur essence commune mais présentent des caractéristiques singulières enrichissantes, qui ne diminuent en rien la valeur de l’un ni de l’autre.

Ces différences naturelles qui existent ente eux expriment une diversité et une complémentarité. Celles-ci :
• favorisent l’attirance entre les deux sexes pour fonder ainsi le lien conjugal dans le cadre du mariage, où la femme et l’homme peuvent donner libre cours à leur capacité de séduction ;
• favorisent la complémentarité et l’entraide au sein de la société et c’est d’ailleurs pour réglementer cette attirance et pacifier cette relation qu’ils sont appelés, homme et femme, à travailler ensemble et à observer certaines codes de comportement en société.

Ainsi, toutes les normes réglementant la vie familiale sont purement d’ordre organisationnel et visent la stabilité et l’équilibre des familles, garants de l’équilibre de la société en général.

Pour conclure, la question du voile en France a contribué à faire resurgir la question féministe en France. Elle réinterroge les fondamentaux de la pensée féministe et lui demande d’intégrer des paramètres et un schéma de pensée nouveaux. Au lieu de s’opposer à un débat d’idées et de nier l’évolution de la société, les mouvements féministes devraient se saisir de cette problématique afin de questionner et d’évaluer le sens et la portée de leur engagement.


* Noura Ben Hamouda Jaballah est présidente de l’EFOMW (Forum européen des femmes musulmanes).





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