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Points de vue

Le Figaro veut utiliser Dounia Bouzar contre l’Islam

Rédigé par Ammar B. | Vendredi 28 Mai 2004 à 00:00

           

Dans son édition d’aujourd’hui, 28 mai 04, Le Figaro veut allumer le feu. Le combustible qu’il a trouvé est un rapport de Dounia Bouzar publié aujourd’hui par l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (IHESI). La technique est classique, un peu trop rodée : on prend un Musulman qui monte, on lui met un coup dans la tronche et on attend que les autres lui tournent le dos.



Dans son édition d’aujourd’hui, 28 mai 04, Le Figaro veut allumer le feu. Le combustible qu’il a trouvé est un rapport de Dounia Bouzar publié aujourd’hui par l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (IHESI). La technique est classique, un peu trop rodée : on prend un Musulman qui monte, on lui met un coup dans la tronche et on attend que les autres lui tournent le dos. On ne nous la fait plus ! Non, ça ne marche plus. Surtout qu’en cette occasion il s’agit de Dounia Bouzar. Chercheuse, anthropologue, Musulmane connue de presque tous les Musulmans de l’Hexagone parce que membre du Conseil Français du Culte Musulman (Cfcm).

La passion pour la recherche qui conduit à l’Islam

En tant que chercheuse, Dounia Bouzar a mené d’excellents travaux sur les jeunes musulmans de France. Elle en a tiré L’Islam des banlieues, un livre à lire pour ceux qui aiment la vérité. Puis, comme pour expliquer le foulard, elle a co-écrit L’une voilée l’autre pas avec Saïda Kada. Dounia est alors ' la pas voilée '. Ces deux livres sont incontournables pour comprendre ce qui se vit dans les ' banlieues ' françaises. Car Dounia est entrée en l’Islam par la porte de sa passion : la recherche scientifique. Ses premiers travaux portaient sur les jeunes musulmans de la banlieue de Lyon. C’est justement par la qualité de ces travaux de type universitaire, et sur recommandation du Cheikh Bentounès (membre du Cfcm et chef spirituel de la confrérie soufi Alawiya), que Nicolas Sarkozy l’invite à entrer au Conseil français du culte musulman en tant que personnalité qualifiée, indépendante de toute association. Mais avant d’accepter cette mission délicate, Madame Bouzar pose une condition : ' j’ai dit à M Sarkozy que j’entre au CFCM en tant que chercheuse '. Accord conclu. Elle est donc l’une de ces Musulmanes de France que l’on ne peut renvoyer à un pays étranger, encore moins à qui l’on peut reprocher son manque de niveau d’instruction et de culture. Autant dire une Musulmane qui dérange. Qui dérange d’autant plus qu’elle ne porte pas de Hijab et qu’elle défend le droit de le porter.

Conférencière appréciée, Dounia fait ainsi partie de la jeune génération de chercheurs musulmans de France qui se penchent sur les problématiques de leur propre communauté. Il paraît naturel que l’IHESI, institut officiel proche du ministère de l’Intérieur, lui commande une étude sur le milieu associatif musulman français, sa spécialité reconnue.

Pour mener son étude, la chercheuse enquête auprès de douze associations musulmanes. Et ses observations sont éloquentes : ' Pour tous les leaders interviewés, écrit-elle dans son rapport, l’Islam représente la référence principale qui justifie l’engagement associatif. Apparaît à travers leurs discours la volonté commune de définir un Islam universel moderne, au-delà des cultures spécifiques souvent dépassées, dans lesquelles un certain nombre de jeunes nés en France ne se retrouvent pas '.

Deux approches de l’Islam dans les associations

Poursuivant son enquête, elle dénote deux types d’approches de l’Islam qui se côtoient en France au sein des associations. Le premier type est un Islam que nous pouvons qualifier d’assimilé, intériorisé, que le Musulman vit quotidiennement sans besoin de s’y référer comme on se réfère à un code extérieur. Le second type est un Islam qui nous paraît en voie de maturation. C’est l’Islam vécu par de jeunes musulmans qui ont régulièrement recourt au Coran et au Hadith pour justifier le moindre de leurs faits et gestes. Dans ce second type d’approche, Dounia découvre que l’on rencontre beaucoup de jeunes musulmans nés en France qui ont du mal à trouver une place au sein de la société. Cette découverte de la chercheuse est l’épicentre du feu que Le Figaro tente d’allumer dans le paysage associatif musulman français.

En diversifiant les exemples pour illustrer ce bilan des interviews qu’elle a menées, Dounia Bouzar explique comment les deux relations à l’Islam diffèrent. D’un côté celles et ceux qui sont Musulmans et qui refusent d’être enfermés dans ce seul critère religieux, parce qu’ils n’ont pas de problèmes identitaires. De l’autre celles et ceux qui sont Musulmans mais qui veulent, en toute chose, aller puiser des justifications dans le Coran ou dans la Sunna, la vie du prophète et de ses compagnons, y compris les raisons pour lesquelles ils pratiquent une activité sportive. La conclusion de l’enquête montre que ces derniers sont souvent des jeunes musulmans Français, nés en France, qui ont grandi en quête de place et de mémoire. L’Islam est plus qu’une religion pour eux, c’est un support existentiel. Tout se présente comme s’ils ne passaient que par l’Islam pour se définir et exister. Là est l’unique aspect du rapport que Le Figaro a voulu retenir. Le journal s’arrête à l’enfermement de ces jeunes-là dans leur facette musulmane, et il ne va pas plus loin.

Pourtant Dounia s’interroge et nous interroge. Elle s’interroge sur les raisons qui font que, justement les jeunes nés en France voudraient absolument justifier tous leurs actes, même les plus banals, par des préceptes islamiques. Comme si, avant d’être des Musulmans, ils n’étaient pas simplement des Humains plongés dans un contexte social, avec des questionnements, une histoire personnelle sans cesse en construction dans leurs interactions avec la société française. Et l’anthropologue d’expliquer que ' l’interprétation religieuse est toujours le fruit d’un dialogue entre les êtres humains et leurs textes sacrés, entre ce qu’ils sont et ce qu’ils comprennent du message divin. Les hommes et les femmes ne sont jamais ' des cultures ' ou ' des religions ', mais toujours des individus en construction qui s’en sont appropriés différents aspects en constante évolution et interaction les uns avec les autres. Et même si la religion intervient dans les systèmes de pensée qui définissent les rapports ' hommes-femmes', elle évolue aussi en fonction d’eux : les religions s’interprètent et se vivent aussi en fonction de l’évolution des rapports hommes-femmes, qui eux-mêmes sont influencés par quantité d’autres facteurs. '

Le Figaro et l’AFP n’ont vraiment rien compris

Trop habitués à des chercheurs qui cassent du sucre sur le dos des Musulmans, Le Figaro n’a pas dû aimer ces analyses de Madame Bouzar. Conscient du fait qu’un rapport de recherche n’est tout de même pas un article de grand public, le quotidien a interviewé la chercheuse. L’interview en elle-même est fort curieuse. Les questions du quotidien laissent entendre que Dounia Bouzar est passée d’un Islam ' vecteur de citoyenneté ' à une vision de l’Islam avec ' un certain enfermement religieux '! Des propos que nous ne pouvons que rapprocher d’une dépêche diffusée la veille par l’AFP qui annonce d’entrée que ' Dounia Bouzar s’alarme du tout Islam des jeunes…'. Et la dépêche de se contorsionner pour insérer l’expression ' proche de l’intellectuel genevois Tariq Ramadan '. Rien à voir avec le sujet de la dépêche !

Les Musulmans de France connaissent la thèse de Dounia Bouzar depuis des années. Si elle avait changé d’avis nous nous en serions rendus compte ! Mais Le Figaro ouvre l’interview en laissant croire un changement de cette thèse. Or la lecture des réponses nous montre tout le contraire. Seule la formulation des questions présuppose un changement d’analyse là où l’anthropologue annonce un constat issu de son terrain de travail. Voilà comment certains journalistes nous piègent continuellement quand ils le décident. Car pour ceux qui connaissent Dounia Bouzar et qui ont lu l’Islam des banlieues, ou  l’une voilée l’autre pas mais aussi pour ceux qui l’ont souvent entendue en conférence, il n’y a aucun ' changement d’analyse ' ! Il y a une progression évolutive de plus en plus fine et de plus en plus poussée. Quoi de plus naturel pour une chercheuse qui sort de deux années de travail de terrain ?

Dounia a toujours soutenu qu’il y a danger pour les Musulmans à se définir uniquement par le seul paramètre religieux. Dans une interview qu’elle accorde au site Internet SaphirNet.info, le 7 mai dernier, à l’occasion du premier anniversaire du CFCM (http://www.saphirnet.info/article_1149.html), fidèle à elle-même, elle rappelle son analyse : ' les Musulmans sont des gens comme les autres. Il n’y a pas que leur religion qui les définit, il y a leur niveau économique, social, leur histoire, etc. Il ne faut pas réduire des individus à leur dimension religieuse. Et c’est pourtant comme cela que cela fonctionne. Soit l’on essaye de nier la dimension musulmane de quelqu’un, soit on la reconnaît mais on se met à définir le comportement de la personne uniquement en fonction du fait qu’il est Musulman. Tout va se lire à travers ce prisme : il dit ceci parce qu’il est Musulman, il fait cela parce qu’il est Musulman… Non, on doit être embauché en fonction de ses compétences professionnelles comme les autres. L’attitude de certains garçons de certains quartiers n’est pas le ' résultat de l’Islam ' mais de la politique sociale de ghettoïsation menée depuis des années. Et si le jeune lui-même met ' son Islam ' en avant pour justifier ses comportements, il faut se poser la question ' pourquoi ? '. De la négation du religieux, on définit tout par le religieux ! C’est très grave : cela réduit un individu à sa facette musulmane. Ca l’assigne à une définition toute prête… Cela empêche de se poser les ' bonnes questions ' '. Cherchez le changement d’avis ? Vous ne trouverez pas ! Cherchez un constat de chercheur, vous en trouverez, mais en lisant le rapport, tout le rapport.

La question que les travaux de Dounia nous posent

Reconnaissons à l’AFP d’avoir mentionné l’appel de Dounia Bouzar à la société française : ' La société dans son ensemble doit prendre conscience du danger à enfermer ces jeunes dans leur seule identité musulmane. Il faut désislamiser notre approche, sinon on va au clash. ' Mais la chercheuse ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle pose la vraie question  que chacun doit se poser : Pourquoi ? Oui , pourquoi les jeunes Musulmans nés en France sont-ils plus enclin à se trouver des références islamiques comme un refuge, à la différence des Musulmans nés hors de France ? En d’autres termes, comme le rapporte la dépêche de l’AFP, pourquoi cette ' vision 'englobante' de l'islam est particulièrement forte chez les jeunes nés en France, alors que ceux qui ont grandi dans leur pays d'origine reconnaissent souvent, au moins indirectement, une dimension 'extra-religieuse?'' C’est incontestablement la question que l’article de Dounia doit nous inspirer. Seulement, Le Figaro ne pousse pas son analyse aussi loin.

Mais l’on pourrait se poser une autre question. Car nous savons tous que les ' grands spécialistes ' de l’Islam en France sont rarement des Musulmans. Mais Tariq Ramadan, universitaire, Musulman (aussi !) a su ouvrir la voie en osant s’attaquer de front à la problématique de la présence musulmane en Europe. Il a immédiatement reçu une tonne de boulettes sur le nez. Mais il tient bon et il tiendra bon comme tous ceux qui défendent une cause juste. Car nous ne sommes pas dupes et nous saurons accueillir avec un esprit analytique les résultats des travaux de tous ces chercheurs, qu’ils s’appellent Tariq Ramadan, Dounia Bouzar, Rachid Benzine, Mohamed Mestiri et bien d’autres qui font leur chemin. Nous saurons nous y pencher même si ces résultats ne nous arrangent pas toujours.

Les Musulmans savent lire entre les lignes

La presse française ne peut plus durablement nous leurrer sur les intentions de celles et ceux qui, en contact direct avec la sévère réalité du terrain, luttent depuis des années en faveur de l’émergence de citoyennes et de citoyens, tous Musulmans, à jamais guéris du ' complexe du colonisé '. Notre expérience quotidienne nous enseigne que la presse de notre pays n’a pas encore atteint la pleine maturité nécessaire pour aborder le fait musulman sans dresser les citoyens Musulmans contre d’autres citoyens. Une timide réaction a été notée en février dernier lorsqu’une association a donné l’exemple en boycottant un pan entier de la presse nationale jugée islamophobe. La tradition journalistique aujourd’hui en France n’est pas encore de traiter le fait musulman avec la perspicacité que nous reconnaissons à nos journalistes sur d’autres questions. Trop d’équipes de rédaction continuent d’aborder l’Islam et les Musulmans sous le seul angle du conflit. Conflit ouvert, conflit larvé. Mais conflit quand même.

Une certaine presse nous expliquait, il y a quelques petites semaines, que ' l’intégrisme ' arrivait en France par avion, dans le discours de nos imams non français. Cette presse se voulait convainquante, le temps de nous faire avaler quelques couleuvres. Le refrain médiatique disait alors qu’il nous fallait des imams Bleu-Blanc-Rouge, assortis aux jeunes musulmans nés en France. Puis les mêmes journaux tentent maintenant de nous faire gober que nous devons nous ' inquiéter ' des jeunes musulmans nés en France. Et sans vergogne aucune, ils nous dépeignent ces vieilles vessies comme de nouvelles lanternes.

Cette distorsion des travaux de Dounia Bouzar pour dresser les Musulmans nés en France contre leurs coreligionnaires, contre leurs concitoyens, est une mascarade beaucoup trop grosse ! Cette dénaturation ne nous échappe pas. Nous ne sommes pas dupes. Il y a longtemps que nous ne nous reconnaissons pas dans les analyses d’une certaine presse nationale. Il en a fallu du temps, mais nous sommes de plus en plus nombreux à lire entre les lignes de nos journaux. Nous lisons là où, justement, ils n’ont rien écrit.





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