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Points de vue

Le Conseil français du culte musulman : l’heure du renouveau

Rédigé par Touré Cheikh | Dimanche 19 Juin 2005 à 00:00

           

Deux ans après son élection, et après bien des « morts partielles », le CFCM se prépare au renouvellement de ses membres. C’est l’occasion pour cette institution controversée de se refaire une santé voire de repartir sur de meilleures bases. Etude de cas : CRCM-PACA



Deux ans après son élection, et après bien des « morts partielles », le CFCM se prépare au renouvellement de ses membres. C’est l’occasion pour cette institution controversée de se refaire une santé voire de repartir sur de meilleures bases. Etude de cas : CRCM-PACA

 

Une république laïque est d’un point de vue sèchement islamique un Etat où la décision religieuse n’est pas halal dans les affaires publiques. L’esprit de toute loi coranique étant que « la nécessité autorise l’interdit » (Edharouratou toubihou-l-moumtanâa), la France n’a pas eu de mal à imposer à son islam un scrutin électoral. Une procédure aussi étrangère au modèle décisionnel islamique qu’elle est anticonstitutionnelle au regard la république française. Du côté du monothéisme mouhamétan, la relation à Dieu est non seulement individuelle et privée, mais encore ne souffre-t-elle nul intermédiaire : pas de prêtre ni église ni Vatican ni concordat. Et du point de vue du droit français, l’article premier de la constitution de1958 et l’article second de la loi 1905, dont le centenaire fait moins de bruit que le « voile » qui le couvre, restreignent la diversité des lectures à ce sujet.

 

Malformation congénitale

 

Au terme de deux décennies de tranchées « conciliabulaires », les résistances de la foi ont plié sous le poids de ses lieux d’exercice. Et les mosquées, désespérant de devenir cathédrales, ont obtenu le statut d’électrices en se substituant aux croyants qui les peuplent. Pour doter le culte islamique d’interlocuteurs élus, les juristes des ministères de tutelle ont trouvé là une légitimité pour notre controversé CFCM : les mosquées désignent leurs délégués qui élisent des conseils régionaux. Lesquels à leur tour forment des bureaux locaux, puis une Assemblée et un bureau nationaux. Jusque-là, du point de vue de la procédure légale, il n’y a pas d’aberration notable qui fait oublier le besoin criant de musulmans « officiels » que professent les institutions publiques. A tort d’ailleurs, puisqu’elles n’ont pas vocation à tenir compte de la religion de leurs usagers.

Mais il reste cette double malformation congénitale, sur les plans laïque et théologique, qui  n’a pas fini de pénaliser le CFCM dans ses éventuelles actions. Pour en atténuer les effets indésirable, ce dernier a prévu d’intégrer des personnalités cooptées au sein de ses instances. Conçu pour tout accepter, il s’est attaché à ses tutelles par un cordon régalien qui veille sur le choix de ces délégués d’«exception ». Dont la mission première reste de fournir aux  assemblées un personnel « compétent ». Quand il ne s’agit pas de parer aux  éventuels

malaises au sein d’une population qui, de notoriété publique, ne vit pas plus dans ses mosquées que d’autres communautés habitent dans leur église ou leur synagogue. Mais ce principe originel du système électoral islamique de France trahit des insuffisances de taille, et dont l’examen et la prise en compte n’auraient pas permis la création du CFCM.

 

Un système de grands électeurs

 

En effet, le code électoral de l’islam français relève plus de la phénoménologie mal appliquée que de la démocratie ouverte. Une mosquée étant avant tout une bâtisse, qu’elle soit une simple salle de prière ou un cossu dérivé de cathédrale, elle ne peut donc pas avoir d’opinion par elle-même. D’ailleurs personne ne prétend le contraire, et tout le monde répond qu’ils s’agit d’associations gestionnaires de lieux de culte qui nomment leurs délégués. Moins nombreux sont ceux qui veulent se rappeler qu’une mosquée est d’abord la « maison de Dieu » (beyt Allah). Par conséquent n’y peut on subir la moindre prérogative humaine, Dieu n’ayant besoin de personne pour administrer son domaine.  La réalité lui donne a souvent raison depuis l’invasion avortée de la Mecque par Abraha en 570 jusqu’à l’actualité plus incendiaire de notre pays. Les habitués de ces lieux savent qu’ils y entrent sans contrôle, et qu’il est agréable d’y admirer la discipline de « gens » très agités partout ailleurs. Dans la majorité des cas, c’est un(e) fidèle plus inspiré(e) qui se charge du nettoyage de l’endroit. Seule contrainte dans la vie du lieu avec les factures d’EDF, de police d’assurance ou France Télécom. Largement pourvues par les dons que les associations ramasse tous les Vendredis et les Zakat (aumônes) régulièrement adressées aux pauvres de Dieu et aux palestiniens par de pieux « chibanis » sans fortune.

Ce système d’inspiration divine fait qu’une association peut aisément régner sur la destinée d’une mosquée sans avoir de lien direct avec ses entrants et sortants. Lesquels ne sont là que pour prier Dieu, et n’attendent aucun retour des largesses qu’ils font pour la seule face de Dieu : Ibtiqa’a mardhatillah. Le restant de leur temps étant partagé entre le travail, la famille, ou l’ANPE (vu leur taux de chômage), les offices HLM( vu le taux de mal logés) et les institutions publiques ou associatives plus standard ( vu l’exclusion sociale). 

Cette réalité-là fait que la base effective de ces « grands électeurs » se réduit le plus souvent au nombre de membres requis pour la déclaration préfectorale d’une association établie sous le régime de la loi 1901. Il n’est donc pas rare de voir le nombre de délégués d’une mosquée dépasser celui de ses membres. La superficie du lieu primant sur son taux de fréquentation  et le rôle qu’elle peut jouer dans la vie des croyants et leur intégration à la communauté nationale. Dans ce cas de figure, la pêche aux « délégués manquants » se fait au gré des mécanismes générateurs du consensus : cette arme de destruction massive de l’opinion islamique. Le plus souvent, le recours vise un membre de la famille ou de la tribu, du pays ou consulat qui tient le lieu. Ainsi va d’une mosquée de la région marseillaise, « investie » par une association de sept personnes, qui se trouve à la tête d’une coquette équipe de quinze grands électeurs. Ce n’est pas pire qu’une autre voisine qui n’existait pas, il y a peu, et se retrouve avec un cheptel de neuf grands électeurs. 

Même si le système électoral tente de limiter les dérives, les divers acteurs ont très vite contracté des réflexes de parade. Aussi le plafond de délégués institué pour endiguer l’hégémonie des structures riches ou soutenues par leurs pays ou leurs mairies. Ces dernières sont loin d’être « hors du jeu » dans un système fondé sur « le communautarisme en plein ».

 

Un génocide électoral

 

Cette maigre batterie de clauses dissuasives n’a pas de réel impact sur le processus en cours. Les personnalités cooptées ne parviennent à s’exprimer que dans les médias, et finissent toujours par présenter une démission que tout le monde attend. Tout comme le nombre de délégués vient d’augmenter considérablement. Dans la seule région Paca, leur effectif est passé de 314 à 487 en deux ans, soit près de 60%. De même, le système n’a rien pu faire contre les discriminations qui s’abattent sur l’islam négro-africain (Afrique noire, Dom-Tom..). Sans soutien sur le plan national et international, cette partie de notre population est entrain de vivre les prémisses d’une éradication annoncée voire un génocide spirituel ou électoral. Réputé très tolérant, cet islam n’a pas trouvé de place dans une logique régie par la loi de la confrontation permanente. Logés dans des foyers de travailleurs, ses fidèles tendent à constituer une nouvelle classe de musulmans d’en bas. Quand un maire leur accorde une salle(Marseille), les services électoraux de l’islam ne les reconnaissent pas. Les cas ne sont pas rares où leurs droits vont à des concurrents moins publiquement reconnus, mais plus soutenus. Très significatif de cette discrimination reste l’absence de représentant de cet islam-là au sein de la future fondation chargée du financement du culte. Est-il lieu de rappeler le sort réservé aux harkis qui ont pourtant participé à toutes les consultations préalable à la naissance du CFCM ?

 

Un autre débat, un autre système

 

Le but n’est pas, ici, de pointer les aberrations qui ont mené la fille aînée de l’église à aller à confesse auprès de l’abbé Bournisien de Madame Bovary. En s’interdisant de toucher au dogme, le conseil islamique français s’est ouvert le chemin des irresponsabilités. Pas besoin de définir ce qu’est une mosquée ni de penser l’identité du croyant du point de vue de l’islam. Et pourquoi s’embarrasser d’une légitimité puisque la pensée reçue veut que le « musulman » vienne fermer sa gueule dans la mosquée, et si possible, s’enter une barbe dans la physionomie. De telle sorte que les traditions partagées puissent gouverner les versets coraniques instituant une stricte et opérante égalité entre les croyants et devant Dieu.

C’est dire qu’il ne peut se faire d’islam français qui ne parle pas à l’ensemble des musulmans et qui ne s’ouvre pas à l’intérêt de tous les citoyens. Pour cela, l’adhésion des associations doit être ouverte à tous les fidèles des lieux de culte ou selon l’adresse de résidence. Autrement, le CFCM, tel quel aujourd’hui, n’a d’avenir que dans l’outillage diplomatique du pays : l’expérience récente des otages français a donné des signes allant dans ce sens. Tant  l’islam , en tant que question de politique intérieure, appelle un autre débat et un autre système. Et qui sait, si au final, tel système ne s’avérera pas être ce même « état des choses » qui conditionne tout ce qui relève d’une république laïque.  Pour l’instant, la dynamique qui prévaut risque d’enraciner le communautarisme sinon dans la société française, pour sûr au sein de la Oumma de ses musulmans.

Le fait ne vient pas plus du système choisi pour gérer l’islam que de notre système républicain général. Lequel ne laisse pas de place à la décision religieuse quoiqu’en laissent présumer les aménagements concordataires. Les élites religieuses sont traditionnellement un « punching ball » pour des esprits affranchis de « l’ordre moral ».

Pourtant l’islam, plus que les autres branches du monothéisme, souffre de discriminations et ne demande qu’une amélioration nette des arbitrages publics et citoyens. La simplicité de la foi islamique et l’indépendance qu’elle garantit au croyant tendent à l’inscrire plus dans le processus de socialisation laïque qu’elles ne le condamnent à un échafaudage cultuel d’exception.

Cette première épreuve du renouvellement se déroule, pour le CFCM, sous la tutelle de son promoteur premier. Puisse notre commandeur des croyants réexaminer sa copie en tirant l’islam vers un modèle plus franco-occidental. Histoire de mieux prendre en charge les réalités de l’Islam dans une Europe du Sud plutôt catholique, et de rentabiliser les héritages de leur histoire commune.  Un tel modèle officiera mieux que ne le peuvent des structures  standardisées par un modèle anglo-saxon dans son rapport à un islam plus oriental.  





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