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Le CCIF, un rempart contre l’islamophobie

Rédigé par Fouad Bahri | Mardi 28 Mars 2006 à 20:35

           

Réunis à l’espace Maurice Niles de Bobigny, sous la houlotte de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93), les membres du Collectif contre l’islamophobie en France ( CCIF ) ont présenté samedi 25 mars, le bilan de deux années de travail et de lutte contre la multiplication des actes d'islamophobie. Un rapport sur les effets de la loi du 15 mars 2004 confirme également la tendance déjà observée l’année dernière par le CCIF : 60 % des actes islamophobes observés sont le fait d’agents publics.



Le CCIF, un rempart contre l’islamophobie
Accablant. C’est le terme qui vient à l’esprit, à la lecture du dernier bilan du Collectif contre l’islamophobie en France, sur les effets de la loi du 15 mars 2004, présenté ce samedi 25 mars 2006 à Bobigny. Ce bilan, qui complète le rapport publié l’an dernier sur l’islamophobie en France, démontre ainsi l’étendue de cette discrimination, qui a dépassé le champ scolaire pour s’étendre à d'autres secteurs de la société.
Peu connu du grand public, le CCIF est né en 2004, après la vague d’islamophobie qu’a connu la France, suite à la médiatisation autour de la loi du 15 mars. Il est constitué de Samy Debah, militant associatif de Garges-les-Gonesse et actuel président du mouvement, de Lila Charef, chargée du pôle juridique, de Nasser Zitout, qui s’occupe du pôle observatoire, et d’un noyau composé de bénévoles.

Prévenir pour mieux guérir


L’objectif du CCIF est d’apporter un soutien et une assistance à la fois juridique et psychologique aux victimes de l’islamophobie. Une permanence téléphonique quotidienne est ainsi ouverte de 15h à 18h. Chaque mercredi, les victimes ont la possibilité d'être reçues en consultation juridique. Un site internet existe aussi.
Ces différents outils permettent au CCIF de recueillir des plaintes, de constituer des dossiers et d’établir des statistiques sur la réalité de l’islamophobie en France. Grâce à un réseau d’avocats, ces dossiers sont évalués et qualifiés juridiquement pour déterminer le bien fondé d’une action en justice. Le CCIF compte à son actif une moyenne de 230 sollicitations téléphoniques et 80 dossiers traités.

La grande majorité des cas islamophobiques concernent des affaires de voiles, et pas seulement à l’école. « Les victimes qui nous consultent sont de trois types différents. Celles qui se confient pour avoir un soutien psychologique et des informations. Celles qui recherchent une assistance juridique pour résoudre un problème et trouver un arrangement à l’amiable. C’est le cas le plus répandu. Nous avons eu, par exemple, le cas d’une femme exclue d’une formation professionnelle alors que son dossier avait été accepté, à cause de son foulard. Un règlement intérieur illégal stipulait l’interdiction de tenues non européennes et de signes à caractères religieux. Nous avons rencontré les responsables de ce centre de formation, qui ont été convaincus de notre argumentation, et ont réintégré cette femme et modifié leur règlement intérieur. En cas d’échec, la justice est alors saisie.
Enfin, les victimes d’une grande discrimination qui ne peuvent trouver de résolution à l’amiable et qui veulent intenter une action en justice. »
Lila Charef, qui connaît bien le profil des victimes, nous expliquent également les difficultés à leur faire comprendre la longueur et la complexité des procédures. « Notre but n’est pas d’intenter des procès mais de lutter contre l’islamophobie. Une action en justice requiert un examen préalable, une vérification de tous les éléments qui doit aboutir à une qualification juridique des faits. Il nous faut des éléments de preuves pour établir la clarté des faits. Cela suscite souvent l’incompréhension des victimes par rapport à la longueur de cette procédure mais aussi des frais financiers qu’il faut sortir. Pour les personnes les plus démunies, nous apportons néanmoins un soutien financier. »

Des dizaines d'étudiantes ont été descolarisées par la loi du 15 mars 2004.
Des dizaines d'étudiantes ont été descolarisées par la loi du 15 mars 2004.

L’Etat, première source de l’islamophobie en France


A l’instar du rapport 2004/2005 sur l’islamophobie, cette nouvelle étude sur les effets de la loi du 15 mars 2004 révèle donc la persistance de l’institutionnalisation de l’islamophobie à la française. Il ressort que pratiquement toutes les institutions publiques sont concernées par cette forme de discrimination. En première ligne, figurent les écoles publiques.

D’après l’étude, paragraphe 1.2.2, la phase de dialogue recommandée par la circulaire n’a pas été respectée : « Les élèves étaient exclues des salles de classe et assignées au Centre de Documentation et d’Information ou dans une autre salle (…) en fonction des besoins du service. », « le suivi pédagogique individuel n’a été réalisé que très partiellement lorsqu’il n’était pas inexistant », pire encore, « les mesures prises iront jusqu’à interdire aux élèves concernées par la procédure disciplinaire de rencontrer et de discuter avec leurs camarades ».

Le rapport dénonce par ailleurs les violences psychologiques et le harcèlement des établissements sur les élèves et les parents d’élèves. « Les parents eux-mêmes ont parfois fait l’objet d’un véritable harcèlement de la part du chef d’établissement afin qu’ils fassent pression sur leurs enfants pour qu’elles abandonnent leur scolarité ou retirent leur couvre-chef (…) Certaines déclarations des chefs d’établissement ou de leur adjoints visant les élèves, à l’égard desquelles une procédure disciplinaire avait été engagée, ont été particulièrement cruelles ».

Mais les exclusions et les harcèlements, loin de se limiter aux collèges et lycées, tel que prévu par la loi, se sont étendus. Le bilan rapporte des actes islamophobes dans les universités (universités parisiennes, faculté de la région Midi-Pyrénées, université de la Loire), dans des écoles d’infirmières franciliennes, dans des écoles maternelles et primaires (Nanterre), des mairies (refus de rendez-vous à Bagneux, refus de fourniture de pièces administratives à Châtenay-Malabry, refus de mariage à Lyon), des cantines (à Villefranche-sur-Saône, menace d’exclusion d’enfants refusant de manger la viande de l’établissement), dans des centres de formations professionnels comme le GRETA ou les Ateliers de Pédagogie Personnalisée (APP) et des préfectures (Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis) refusant la remise de décrets de naturalisation (paragraphes 2.1.1 à 2.1.6).

La plupart des actes islamophobes relevés par le bilan ont été justifiés par leurs auteurs, par le fait que des femmes portaient un foulard. Ces éléments confirment les résultats du rapport 2004/2005 qui soulignait que 60 % des actes islamophobes en France étaient le fait de l’Etat et de ses agents.
Le secteur privé n’a pas été épargné. Auto-écoles et banques ont également exclu des femmes voilées, en violation des lois en vigueur, souligne l’étude (p. 2.2.1 à 2.2.3).
L'on note des cas de violences physiques. Le bilan rapporte ainsi le cas d’agression d’une femme voilée par des pompiers, au cours d’une intervention en Ile-de-France, en septembre 2004. A Strabourg, une autre femme arrêtée et maltraitée par les forces de police, aurait subi des violences physiques.

Une loi contre l’islamophobie ?


Pourtant, deux ans après sa création, tout n’est pas sombre dans le travail du CCIF . Des résultats apparaissent, des luttes sont remportées, des médiations aboutissent. Et certains décrets illégaux sont retirés. « A Montreuil, un défilé de mode organisé par des femmes musulmanes devait se tenir. Après un courrier de l’Union des Familles Laïques et une certaine propagande, le maire a voulu interdire ce défilé, parfaitement légal, au moyen d’un décret nullement motivé et infondé, car il n’y avait aucun trouble à l’ordre public. Sur ce constat, le juge a condamné la mairie à verser 750 euros de dommages et intérêts et a annulé le décret. »
Même chose pour les victimes qui relèvent la tête. « Les victimes étaient perdues, désemparées. Aujourd’hui, nous constatons qu’elles sont motivées et réagissent à l’islamophobie. »

Mais le CCIF sait que le combat est encore long, qu’il faudra des années pour que l’islamophobie soit reconnue et combattue par l’ensemble de la société. Samy Debah en est persuadé. « Il faudra un jour qu'on revienne sur cette loi du 15 mars, discriminatoire et d'exception. Il faudra aussi qu'on comprenne qu'avec l’islamophobie, nous ne sommes plus dans la critique mais dans l’atteinte des personnes. Cette situation nous rappelle la France et l’Europe de l’entre-deux-guerres. Souvenez-vous des caricatures. »

Dès lors, le combat n’est plus national mais se situe à l’échelle européenne. « Nous avons rencontré, au cours de la dernière réunion de l’OSCE, à Varsovie, le délégué britannique chargé de rapporter à Mr Baroso, l’état des discriminations en France. Il a été désagréablement surpris de nos révélations (…) Pour nous, l’enjeu du combat contre l’islamophobie est international. Seule une coopération entre toutes les structures de luttes contre le racisme permettrait de démontrer les liens qui existent entre des groupes politiques d’extrême droite et des intellectuels américains et européens qui défendent la thèse du danger d’une forte présence musulmane en Europe. »

Interrogé sur l’opportunité d’une loi contre l’islamophobie, projet défendu par l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis, co-organisateur de la rencontre, le CCIF se montre sceptique. « Quel serait l’intérêt d’une loi contre l’islamophobie ? Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de lois spécifiques contre l’antisémitisme. Il n’y a pas de véritables nécessités. Si l’outrage et l’offense à la religion n’existent pas juridiquement, il existe d’autres textes de lois et d’autres dispositifs de lutte contre l’islamophobie. Par ailleurs, une telle loi, compte-tenu de la tradition laïciste française, passerait difficilement. »

Alors, un an après son explosion dans l’hexagone, l’islamophobie est-elle en recul ou en progrès ? Réponse prudente du président. « Nous finissons d’établir un rapport sur l’état de l’islamophobie en France, sur l’année 2005/2006. Le rapport nous montrera si l’islamophobie persiste ou pas. »





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