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Points de vue

La sainteté, ultime antidote aux nihilismes ambiants ?

Conscience soufie

Rédigé par | Vendredi 5 Octobre 2018 à 16:22

           


Sanctuaire du Cheikh 'Abd al-Salâm Ibn Machîch, montagnes du Rif, Maroc. (photo © Fondation Conscience soufie)
Sanctuaire du Cheikh 'Abd al-Salâm Ibn Machîch, montagnes du Rif, Maroc. (photo © Fondation Conscience soufie)
La sainteté ? Le mot est sorti de notre lexique, de notre horizon. Dans ce qu’il est convenu d’appeler la postmodernité, où la fin des certitudes instaure une précarité à l’échelle planétaire, dans le matérialisme religieux ambiant, quelle présence pour la sainteté ?

Chez ceux pour qui le terme a encore quelque résonance surgira d’évidence la question : « Votre ‘‘sainteté’’ n’est-elle pas un luxe pour l’humanité actuelle, un privilège réservé à quelques nantis de l’Esprit – ou qui se prennent pour tels ? » Il semble bien, pourtant, que plus le nihilisme gagne en vigueur, plus le remède doit être souverain.

« La philosophie est sans réponse, disait l’écrivain roumain Cioran. Face à elle, la sainteté est une science exacte. Car elle apporte des réponses positives et précises aux interrogations auxquelles les philosophes n'ont pas eu le courage de s’élever. » Aïe ! Dans notre pays qui place la philosophie au pinacle de la conscience humaine, le propos dérange.


Bien sûr, il y a loin de la philosophie initiatique des Grecs anciens à notre parodie moderne de la « raison », prisonnière pérenne du mental. Bien sûr, l’intellect (‘aql) est un don divin, comme en témoignent maints versets coraniques, mais d’autres versets décrivent le dévoiement auquel les humains que nous sommes soumettent cette faculté.

Alors faudrait-il être plus modeste, et se contenter du terme « spiritualité », qui est assez flou pour faire l’objet d’un consensus, jusque chez les athées ? En réalité, la sainteté est beaucoup plus tangible en nous, car elle est consubstantielle à notre humanité.

Pour l’islam, tout être humain est par nature potentiellement un saint, puisqu’il naît consacré, est investi par le Divin et participe à Son intimité : tels sont les sens du terme arabe walâya, équivalent du français « sainteté ».

Le soufisme dégageait, à côté de cette « sainteté générale », une « sainteté particulière », réservée à des élus. Mais les paradigmes changent très vite de nos jours : la sainteté la plus abrupte entre désormais dans l’horizontalité, comme pour nous dire : saisissez cette arche de Noé, car si la sainteté est niée en l’homme, c’est le but même de la création de l’humanité qui est biaisé. Ou bien l’on admet que l’on va changer d’humanité : clonage, post-humanisme, manipulation du génome humain vont dans ce sens.


Mais où sont les saints ? Ne trouve-t-on pas dans un hadîth qudsi (Parole divine, qui ne fait pas partie du texte coranique) : « Mes saints sont abrités sous Mes coupoles ; nul autre que Moi ne les connaît » ? Et un cheikh du XIIIe siècle ne disait-il pas qu’il est plus difficile de connaitre le saint que de connaitre Dieu ? Le saint, de fait, est dans la transparence ontologique.

Que nous vivions une époque de « ténèbres » ou non importe peu en définitive, car Dieu compense : il est bien connu que c’est au plus fort des ténèbres que jaillit la lumière et, certes, c’est dans le désert que l’absolu s’impose souverainement. Dans notre nouvel espace-temps caractérisé par l’immédiateté, l’instantanéité et la simultanéité, Dieu n'a sans doute jamais été aussi immanent.

Vivons-nous dans le « dernier tiers de la nuit » au cours duquel, selon une parole du Prophète, Dieu descend jusqu’à ce bas-monde ? La nuit symbolise, bien sûr, la durée de vie du cosmos et de l’humanité. Pour Ibn ‘Arabî comme pour l’émir Abdelkader (Kitâb al-Mawâqif, Damas, 1963, II, 919), Dieu est plus proche de nous durant cette période et, par voie de conséquence, la science spirituelle de la communauté muhammadienne y serait plus accomplie qu’elle ne l’a jamais été.

Et l’humanité ne vit-elle pas de nos jours des défis tels qu’ils devraient l’amener à réaliser un surcroit de conscience ? C’est une question de vie ou de mort. « Si les sages sont (actuellement) des exceptions, dans le futur le processus de la réalisation spirituelle de l’homme se généralisera : ‘‘La terre sera l’héritage de Mes serviteurs saints’’ (Coran, s. 21, v. 105). »*

Note
* Cheikh Bentounès, L’Homme intérieur à la lumière du Coran, Albin Michel, 1998, p. 98.


*****
Président de la Fondation Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du soufisme, professeur à l‘université de Strasbourg. Il travaille également sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a notamment publié L’islam sera spirituel ou ne sera plus (Le Seuil, 2016) ; Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014) ; Le Soufisme (Eyrolles, 2013).

La Fondation Conscience soufie organise une pérégrination « Visages de la sainteté soufie au Maroc », du 27 octobre au 3 novembre 2018. En savoir plus ici.


Éric Geoffroy
Président de l'association Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du... En savoir plus sur cet auteur


Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Gaillac le 14/10/2018 15:47 | Alerter
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Un vrai croyant devrait etre contre l'institution, le clergé. Ils sont les ennemis des religions.
Les institutions se compromettent avec le monde.
Et c'est un athée qui parle.

2.Posté par Bouboule le 14/10/2018 16:05 | Alerter
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Lisez le philosophe chrétien Kierkegaard.
Il était contre l'institution.
Il était très radical.

3.Posté par Artisan le 14/10/2018 16:12 | Alerter
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Kierkegaard. Un croyant jusqu'au boutiste qui est allé jusqu'à gacher sa vie au nom de sa foi.
Un croyant trop croyant.

4.Posté par Ajeeb le 14/10/2018 16:25 | Alerter
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Kierkegaard est un saint. La façon qu'il à de concevoir sa foi est divine.

5.Posté par Aayen le 19/11/2018 17:49 | Alerter
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Kierkegaard voulait se consacrer à ce qu'il estimait etre son travail, sa conception de ce que devrait etre la foi en passant par l'écriture. Il a fait l'impasse sur sa vie et été trop absolu.
Son amoureuse s'est sentie abandonnée, l'a d'ailleurs été et ne l'a pas compris. Il l'aimait mais lui a préféré ce qu'il estimait etre plus essentiel. Sa conception de ce que devrait etre la foi.
Quand quelques temps plus tard il a su qu'elle allée se marier avec un autre il a tenté de l'en dissuader en vain. Elle s'est sentie abandonnée par lui, humiliée et il l'a perdue.
Il ne voulait pas s'engager pour pouvoir se consacrer à son travail mais ne s'est jamais remis de cet amour. Il revait d'absolu, il était contre puis s'est aperçu mais trop tard qu'il était pour s'engager. Kierkegaard, un incompris.


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