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Points de vue

La guerre du Rif (1921-1926) : une guerre coloniale emblématique

Rédigé par Mehdi Benchabane | Jeudi 11 Juin 2015 à 06:00

           


Abdelkrim rejetant les Espagnols, en 1921, bataille d'Anoual, lors de la guerre du Rif. (Archives nationales d'Outre-Mer)
Abdelkrim rejetant les Espagnols, en 1921, bataille d'Anoual, lors de la guerre du Rif. (Archives nationales d'Outre-Mer)
En 1921, Abdelkrim al Khattabi et ses troupes rifaines écrasent l’armée coloniale espagnole à la bataille d’Anoual, au nord du Maroc. 14 000 soldats espagnols meurent, 1 000 sont fait prisonniers, des milliers d’armes passent entre les mains de la résistance anticoloniale.

Cette victoire d’un chef militaire et politique marocain face à une armée européenne coloniale supérieure techniquement obtient un retentissement international. En Europe, cela est vécu comme un affront opéré par les « Indigènes » souhaitant mettre à mal la civilisation occidentale. Tandis que le Parti communiste français célèbre cette victoire contre l’impérialisme, Abdelkrim fait la une du Times au Royaume-Uni.

Le monde musulman voit, quant à lui, dans ce personnage le symbole de la lutte contre la mainmise coloniale : Abdelkrim refait naître l’espoir d’une libération après la défaite de l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale. L’élite nationaliste algérienne incarnée par le jeune Messali Hadj s’empare de ce combat héroïque à travers la création de l’Étoile nord-africaine en 1926.

L'armée coloniale en déroute

En réalité, la bataille d’Anoual constitue l’épisode le plus célèbre de la guerre du Rif. Né en 1882, Abdelkrim poursuit durant sa jeunesse une formation universitaire islamique à Fès, où il découvre et s’imprègne du réformisme musulman (la Nahda). Dès 1906, il travaille comme rédacteur pour le journal espagnol Telegramma del Riff, à Melilla, avant de devenir qadi, en 1914, au service des bureaux indigènes.

Déjà très marqué par les idées anticoloniales, il est emprisonné en 1917. À sa sortie, Abdelkrim quitte son poste puis mène un travail afin de réunir sous son autorité les tribus du Rif, à commencer par la sienne. L’objectif est atteint en avril 1921, les tribus font la bay’a (serment d’allégeance) au Jebel el Qala pour en finir avec ce qui est vécu comme une intrusion et une domination étrangère.

La même année, constatant la progression espagnole, Abdelkrim prévient le général Manuel Fernandez Sylvestre que le franchissement du fleuve Amekran impliquerait une intervention des troupes de l’émir Abdelkrim... Les Espagnols ne s’en soucient guère, s’ensuit la victoire d’Anoual du 21 juin 1921.

Celle-ci est une surprise pour tous les États européens de l’époque, elle met un coup d’arrêt à l’idée selon laquelle les « indigènes » ne sont pas formés pour la guerre moderne. Au même titre que la défaite de la Russie contre le Japon, à la bataille de Tsushima en 1905, Abdelkrim montre que l’ingéniosité militaire n’est pas l’apanage de l’Occident.

La République du Rif

Profitant de cette défaite de l’adversaire, Abdelkrim crée la « République du Rif » en février 1923 sur le modèle d’un État moderne à l’européenne. Comme le dit Daniel Rivet, c’est le mot « Ripublik », et pas celui de « Joumouriyah » en arabe qui est utilisé pour qualifier une entreprise politique à la hauteur du personnage. Cependant, cette initiative ne plait guère au sultan marocain, selon lui une menace pèse sur l’unité du Maroc. Abdelkrim doit être stoppé, Moulay Youssef ne veut pas de cet opposant venu de nulle part.

Pendant ce temps, la jeune République met sur pied un ministère des Finances, un ministère de la Justice, un ministère des Affaires étrangères, un ministère de la Guerre. Le frère du chef rifain, Mohamed, obtient la Délégation générale, Abdelkrim devient président de la République. Cet État fait beaucoup parler de lui en Europe, Abdelkrim entretient une correspondance avec les gouvernements étrangers comme celui de Londres. Il doit aussi prendre en compte le modèle tribal qui imprègne fortement la société rifaine et marocaine pour imposer une nouvelle donne administrative. L’armée rifaine profite de l’avantage du terrain mais aussi de sa mobilité pour contrecarrer les intrusions espagnoles.

Peu inquiète au départ, la France prend conscience du danger de cette République hors du commun : c’est une menace directe sur son protectorat marocain, mais aussi sur l’Algérie voisine. Si rien n’est fait, les Maghrébins pourraient se soulever en masse contre l’autorité coloniale. En 1924, le maréchal et résident général Hubert Lyautey accompagné de Pétain décident de mener une offensive en collaboration avec le général Primo de Rivera pour arrêter Abdelkrim, et mettre fin à l’humiliation espagnole.

Guerre chimique au Maroc

Au cours de l’année 1925, Abdelkrim fait face à environ 400 000 hommes réunis pour l’abattre, qui sont appuyés par une artillerie lourde et des renforts aériens. Devant une telle armada, le leader rifain et ses troupes sont défaits. L’année suivante, en 1926, il se rend à la « coalition coloniale », afin d’épargner ses coreligionnaires civils. Il n’en est rien, l’aviation ennemie bombarde de nombreux villages de la région pour écraser toute résistance. L’Espagne met la main sur le Rif dans sa totalité.

Cette dernière n’a pas hésité avec le soutien français à utiliser des armes chimiques pour entériner toute rébellion : le fameux gaz moutarde fait des ravages, l’année 1924 constitue le pic des bombardements espagnols. Les civils sont directement visés, cela émeut l’opinion internationale de l’époque. Ces actes renforcent l’image d’Épinal autour d’Abdelkrim, vaillant résistant face à l’écrasante machine de guerre européenne.

Abdelkrim est exilé à La Réunion, transféré en France durant l’année 1947, il parvient à s’échapper en Égypte durant le trajet, où il décède en 1963. Jusqu’à sa mort, il soutint l’indépendance du Maghreb.

Retrouvez un documentaire de qualité s’appuyant sur des documents d’archives pour illustrer le propos ici.

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Mehdi Benchabane, professeur d’histoire-géographie, est notamment l’auteur de L’Émir Abdelkader face à la conquête française de l’Algérie (1832-1847), Edilivre, 2014. Il anime la page Facebook Histoire du Maghreb contemporain





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