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Arts & Scènes

La guerre d’Algérie : trous de mémoire, jeunesse perdue et retrouvée

Rédigé par | Mercredi 2 Avril 2014 à 14:47

           


Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, la création 2014 d'Ahmed Madani (Photo : François Louis Athenas)
Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, la création 2014 d'Ahmed Madani (Photo : François Louis Athenas)
Je marche dans la nuit par un chemin mauvais. C’est par un alexandrin de Lamartine qu’Ahmed Madani nous convie au 2e volet de son projet « Face à son destin ». Après Illuminations superbement interprété par 9 jeunes amateurs du Val-Fourré de Mantes-la-Jolie, cette nouvelle pièce poursuit son interrogation sur la transmission de la mémoire d’une génération à l’autre.

La guerre d’Algérie est ici au cœur de ce spectacle, où deux personnages qui ne se connaissent que très peu vont apprendre à se côtoyer : Pierre, le grand-père bourru au cœur tendre, au crépuscule de sa vie, et Gus, le petit-fils, un jeune homme à peine sorti de la paresse de l’adolescence, qui en l’espace de quelques semaines passées auprès de son aïeul deviendra homme.

À la suite d’une violente altercation avec son père (Brahim), Gus se met au vert pour 3 mois en habitant chez son grand-père veuf, en pleine campagne. Se lever tôt le matin plutôt que de lézarder avec des jeux vidéo, manger de la soupe plutôt que d’avaler du coca, débroussailler le jardin et suer au grand air, voilà qui nous change la vie de Gus, renâclant tout d'abord, mais qui peu à peu finira par s’amadouer. Car, au fil du temps, une complicité va naître entre ces deux solitaires.

Au contact de son petit-fils, l’aïeul se remémore sa jeunesse, l’amour de sa vie – la grand-mère de Gus, seule femme qu’il n’ait jamais aimée et avec qui il s’est fiancé juste avant de partir au front.

De là, peu à peu, émergent les souvenirs et tombent les lourds secrets qui ont pesé soixante ans durant dans la mémoire de Pierre. Car à 20 ans, comme 1,3 million de jeunes de sa génération, Pierre a fait partie de ces appelés qui participeront au « maintien de l’ordre en Afrique du Nord ». C’est ainsi que l’on nomma la guerre d’Algérie, qui ne fut reconnue comme telle qu’en 1999.

Entre souvenirs douloureux, cauchemars, sentiment de culpabilité et mémoire blessée, Pierre va défricher son cœur meurtri comme Gus finit par défricher le jardin de son grand-père vaille que vaille. Une « mise au propre » qui permet à chacun de se réconcilier avec soi-même et de nouer une relation tendre et complice avec son autre.

« Cette pièce, c’est la souffrance de deux hommes mais aussi la naissance de deux hommes », explique Ahmed Madani, lors du débat donné à la suite de la représentation. « Pierre se réconcilie avec lui-même avant de mourir, et Gus va avancer solidement car il lui est confié un secret, qui est un trésor à la fois terrible et beau. »

Pour écrire cette pièce, Ahmed Madani s’est inspiré des confidences d’un ami, Pierre, qu’il avait recueillies en 1992, qui lui avait raconté sa guerre d’Algérie et les horreurs auxquelles il avait pris part. Ahmed Madani est aussi allé à la rencontre d’ex-trouffions de la guerre d’Algérie, tous devenus grands-pères, qui lui ont raconté leur quotidien, donné à lire des lettres écrites à leurs fiancées, montré leurs photos souvenir… Tout en prolongeant son travail sur la jeunesse, entamé avec Illuminations : « J’avais envie de réfléchir à la promesse de la jeunesse. Celle que l’on a offerte aux appelés du contingent a été violente. Ils doivent faire la pacification (apprendre à lire, à soigner…) et en même temps faire la guerre. C’est de la schizophrénie. Ils sont revenus dans une espèce de drame qui les a endigués par la suite. »

« Je me suis rendu compte qu’en traitant de la jeunesse, c’est un vrai beau sujet, plus que de parler de la guerre d’Algérie, qui ressemble à toutes les guerres… », explique le metteur en scène. « J’ai voulu comparer deux jeunesses à deux moments différents : qu’est-ce qu’on transmet à un jeune qui se construit dans une filiation, quelles mémoire et histoire le conduisent à pouvoir se projeter en avant ? »

Dans un décor dépouillé, Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, interprété avec sobriété et humour par Vincent Dedienne et Yves Graffey, nous invite dans l’univers tout à la fois sensible et grave d’Ahmed Madani. Du théâtre que l’on pourrait qualifier de généreux : « Mon art n’a de sens que dans l’altérité : le partage avec l’autre. Je peux être singulier à partir du moment où je reçois l’autre et l’autre me reçoit. »


Je marche dans la nuit par un chemin mauvais
Texte et mise en scène : Ahmed Madani
Avec Vincent Dedienne et Yves Graffey
Scénographie : Raymond Sarti
Durée : 1 h 15, spectacle tout public, à recommander à partir de 13 ans.

Jusqu’au 13 avril, au Théâtre de la Tempête, à Paris
Le 18 avril, à l’Opéra Théâtre, à Saint-Etienne
Les 29 et 30 avril, au Théâtre Eurydice, à Plaisir


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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