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Société

La France face à ses musulmans

Rédigé par Nadia Sweeny | Dimanche 26 Mars 2006 à 16:42

           

Les revendications émeutières et jihadistes émanant principalement des quartiers français défavorisés seraient le résultat d’une crise de la représentation politique des populations issues de l’immigration et d’origine musulmane. Ce sont les conclusions de l'International Crisis Group dans son rapport du 9 mars 2006 intitulé « la France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation ».



La France face à ses musulmans
Le Crisis Group est une organisation à but non lucratif, non gouvernementale et indépendante. Son conseil d’administration est composé de personnalités du monde politique, diplomatique, des affaires et des médias, qui s’engagent à promouvoir les rapports et recommandations auprès des décideurs politiques du monde entier.

Essoufflement de l'islamisme


Contrairement aux idées reçues, la montée du radicalisme musulman en France et particulièrement dans les « quartiers », n’est pas due à une surpolitisation de l’islam. Cette mais, au contraire, à un manque total de représentation politique et sociale d’une majeure partie de ces populations. En l’absence de relais politiques efficaces, islamiques ou laïques, «La revendication de la reconnaissance tend à se positionner dur le terrain de la violence, qu’elle soit jihadiste ou émeutière » lit-on dans le rapport.

Ainsi, selon le Crisis Group, la majorité des « représentants musulmans » n'est pas efficace dans les banlieues de France. Il souligne l'inefficacité des organisations comme le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’Union des organisations islamiques en France (UOIF) et l’Union des jeunes musulmans (UJM). Même l'action de l'universitaire Tariq Ramadan, dont le crédit est indiscutable, pêche par son efficacité dans les banlieues françaises.

Pour exemple, le rapport mentionne les émeutes de novembre 2005 au cours desquelles aucun de ces représentants ou organismes n’a pu rétablir le calme dans les cités. Ce qui prouve que l’islamisme politique n’a pas de fondement profond dans ces quartiers. Les habitants ne s'y reconnaissant pas. Car, explique le Crisis Group, ces organismes se sont détachées de la population défavorisée. Elles s’adressent particulièrement à un public de musulmans beaucoup plus éduqués, plus socialement intégrés, ne rencontrant pas les mêmes problèmes que dans les quartiers. Leur discours s'est « embourgeoisé » pour devenir moins accessible et moins contestataire.

Il est, par exemple, reproché au CFCM sa trop grande proximité avec le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy. L’UOIF étant épinglé pour sa complaisance avec la politique du gouvernement, son approche du conflit israélo-palestinien étant trop humanitaire et pas assez politique, sa politique générale qualifiée de trop « blédarde ». Autant de raisons qui signent l’éloignement d’une grande partie des jeunes musulmans. De cette analyse du rapport émane un sentiment fort de délaissement, de trahison : c’est la crise du militantisme associatif.

L'étude indique que le religieux ne fédère plus. A sa place on assiste à une sorte de sécularisation de la militance des jeunes musulmans qui ne veulent plus être reconnus pour leur religion mais bien pour leur appartenance politique. L’exemple du parti des Verts est frappant : en banlieues, Les Verts fédèrent de plus en plus de musulmans au détriment des groupes dits « islamiques ». Le mouvement des « Indigènes de la république » par exemple, recadre la revendication religieuse parmi d’autres. Cette religiosité n’est plus l’enjeu essentiel. Ce qui manque donc c’est une réponse à un militantisme accru chez certains jeunes musulmans. Sans cette réponse politique, une sorte de frustration se crée, appuyée par l’exclusion, la ghettoïsation, les mesures ultrasécuritaires prises par le gouvernement, le démantèlement de la police de proximité, les bavures policières… C’est dans cette atmosphère que recrute le plus souvent le radicalisme religieux.

Tabligh et salafistes dans les quartiers


Ce rapport du Crisis Group fait état d’une concurrence dans la « course à l’islamisation des quartiers » où il signale que deux mouvements « occupent » principalement les cités : les Salafistes et les Tabligh. Tous deux ont une lecture littérale des éléments sacrés de l’islam, mais ont une approche générale sensiblement différente. Les Tabligh étaient jusque-là le premier acteur de réislamisation. Cependant, souffrant d’une image dépassée, le mouvement Tabligh est devenu le meilleur bastion de recrutement du mouvement Salafiste.

Selon les services de renseignements français, le courant salafiste serait le plus dynamique en France depuis la fin des années 90. Il canaliserait le quart des conversions. Mais le Crisis Group divise les salafistes en deux types de mouvements : le salafisme shaykhiste et le salafisme jihadiste.

Les shaykhistes sont reconnaissables à leur « expression d’une religiosité dégagée de la fascination du politique et de l’Etat ». Autrement dit, un groupe apolitique et qui revendique une vision non violente de l’islam. Le shaykhisme rationalise un rapport de retrait et d’évitement avec la société française et avec tout ce qui n’est pas strictement musulman, un repli sur soi. Il n’y a donc pas, dans ce groupe, de véritable engagement civique. L’espace national ne l’intéresse pas. Du coup, il vit une sorte de rupture avec la société française. Pour autant ce groupe ne se revendique ni de l'anticonsumérisme latent, ni même d'un antiaméricanisme. Un état des lieux que le rapport estime « parfaitement en phase avec la réalité sociale des banlieues ».

Le salafisme jihadiste est nettement différent. Car il découle d'une revendication ayant trait à une cause nationale en parallèle avec différents conflits (Algérie, Liban…). Aujourd’hui ce groupe est néanmoins globalisé. Il est sorti de l’appartenance à une origine pour s'adresser à une « oumma » (communauté des croyants) globale. Contrairement au shaykhisme, le salafisme jihadiste est extrêmement politique. Et le type de radicalisation qu'il manifeste n'est pas lié à un durcissement de la religiosité. Selon le Crisis group, il s’agit d'une « islamisation d’un nouveau tiers-mondisme où l’islamisme reprend les modes d’action et les cibles de l’anti-impérialisme de l’extrême gauche des années 1970. » Et l'étude montre qu'il n'existe aucune passerelle possible entre les salafistes shaykhistes et les jihadistes. Ces derniers n'étant pas liés à un islam réfléchi, mais plutôt impulsif. Le passage à l’activisme est rapide et fait l’impasse sur un approfondissement de la théologie, estimant que « la primauté est bien accordée aux mobiles politiques ».

Financé par des trafics en tous genres, y compris par des opérations de grand banditisme, ce jihadisme recruterait dans les milieux défavorisés ayant connu l’injustice, l’exclusion, la galère, la précarité, la délinquance et même parfois la prison, propres à favoriser la radicalisation des jeunes. Khaled Kelkal, l’un des auteurs présumés de l’attentat du RER B (Paris, 1995), définissait le mépris des politiques envers les banlieues et « l’énorme mur », qui sépare les cités du reste du monde. Il était lui-même originaire de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue Lyonnaise.

Le paradoxe français


« Le modèle de l’enclave musulmane est une construction imposée et non choisie » affirme le Crisis Group qui décrit l’ordre social en France comme un ordre ethnique. En résulte un paradoxe car la logique de ghettoïsation est menée par ceux-là même qui dénoncent la communautarisation comme un fait dangereux pour la République. De plus les politiques ont coutume d’utiliser ces mêmes communautés comme grille de lecture. Une grille de lecture obsolète, dans la mesure où domine l’individualisme au sein de ces populations dont les demandes envers l’Etat ne cessent de croître. Le rapport estime ainsi qu'il existe un paradoxe français qui s'exprime par un communautarisme, mais un communautarisme républicain.

Pour le Crisis group, il incombe à la France de s’ouvrir à ces populations qui sont en son sein. Leur ouvrir les portes du militantisme, de la politique et de l’intégration. Mettre fin à la «stigmatisation à partir d’un islam cible d’un nouveau racisme […], violences policières, ségrégation sur le marché de l’emploi … » Le rapport finit sur un appel aux dirigeants français, européens et occidentaux en général, pour un dénouement aux drames politico-humanitaires, dont les jihadistes se nourrissent, notamment le conflit israélo-palestinien et la guerre d’Irak.





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