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Points de vue

Je suis musulman, même si ça ne se voit pas

Sur le chemin d'un converti

Rédigé par Bilal Ibn Mîkhael | Lundi 12 Juin 2017 à 10:53

           


Je suis musulman, même si ça ne se voit pas
À mon sens, il y a deux types de convertis. Le premier n’a aucun mal, au lendemain de sa conversion, d’assumer sa foi au point d’en faire un étendard identitaire dans chaque lieu qu’il traverse. Sa foi, il peut la brandir par un nouveau style vestimentaire, de nouvelles expressions incluant « Allah » ou tout simplement en se présentant comme tel.

Et puis il y a le deuxième type dont je fais partie. Ce converti a épousé l’islam de tout son cœur mais il n’a pas rompu avec sa vie précédente. De fait, il sait l’image que la société actuelle a des musulmans pratiquants. Donc à moins de lui demander s’il est musulman, il évitera de déballer sa foi à tort et à travers.

En réalité, d’une certaine manière, les seconds types de convertis envient les premiers. Ils envient leur capacité à assumer leur foi et à la revendiquer publiquement. Peu importe le lieu, ils n’ont aucune gêne de demander « où est-ce qu’ils peuvent prier ». Quand de la viande est servie à table, ils n’ont aucun mal à demander si c’est halal.

Cette espèce de pudeur à propos de ma foi, je l’explique premièrement par une crainte, peut-être infondée, de voir le regard des gens que je côtoie au quotidien changer. En premier lieu, mes collègues de travail ou mon entourage de militant associatif. Quelque part, revendiquer ma foi et ma pratique musulmane signifierait invariablement à leurs yeux que je suis passé du côté obscur de la force : celle des réactionnaires homophobes, opposants farouches à la laïcité et à la République.

Je suis musulman, même si ça ne se voit pas

Vis ma vie de prof converti

Mettons carte sur table, je suis prof. Je n’évolue donc pas dans le milieu le plus simple vis-à-vis de la religion. Ces dernières années, l’islam s’est retrouvé plusieurs fois au cœur des débats de la salle des profs. Dans les deux établissements que j’ai fréquentés ces dernières années, il y a un élément commun au sujet de ces discussions : les professeurs modérés et médiateurs ont cédé le pas aux plus vindicatifs, souvent islamophobes.

Tout débute généralement de la même façon. Un événement extérieur à l’établissement ou un incident qui s’est passé en son sein place l’islam au centre des discussions. Les premières prises de parole sont apaisées et tentent d’établir une base de discussion : « Faisons intervenir un sociologue ou un historien pour nous éclairer » ; « Soyons tous d’accord sur le fait qu’il faille maintenir un dialogue avec les élèves concernés. »

Puis, d’autres prises de parole déchirent l’assemblée : « De toute façon, ils nous e******** avec leur religion moyenâgeuse » ; « L’islam, c’est une p***** de religion sexiste et rétrograde ! » À ce moment-là, systématiquement, la grande majorité du premier groupe se tait. La violence des propos, leur radicalité ne laissent plus aucune chance au débat.

Et, moi, je suis au milieu, ne sachant pas vraiment comment intervenir, l’estomac noué par tant de haine et de vision caricaturale. Surtout, j’ai le sentiment que dévoiler ma foi ferait perdre de la consistance à mon propos. Je deviendrais nécessairement partisan. Les raisons de mon engagement contre les lois islamophobes à l’école et mes prises de parole en faveur d’une gestion apaisée des conflits de laïcité seraient naturellement vues comme celles d’un musulman qui cherche à prendre la défense de sa religion, et non plus comme un collègue lambda.

Au Ramadan, les masques tombent

Mais ma situation devient ridicule. À la cantine, je suis le végétarien qui mange du poisson. Aux heures de prières, j’attends de longues minutes à proximité des toilettes pour être sûr de pouvoir faire mes ablutions discrètement, mais j’en ressors le visage et les manches humides sous les yeux surpris de mes collègues. Le lieu de prière est un véritable parcours du combattant. Je ne compte plus les fois où, après m’être caché furtivement dans une salle vide, j’interromps ma prière une ou deux fois en entendant frapper à la porte ou des bruits dans le couloir. Parfois, à force de recommencer, la sonnerie résonne et je n’ai pas terminé ma prière.

Puis arrive le Ramadan. Généralement, c’est à ce moment-là que « les masques tombent ». Je suis dévoilé. Ironiquement, je constate un changement d’attitude que je n’avais pas prédit. Mes collègues semblent bienveillants, m’interrogent sur l’islam et les règles du Ramadan. Lorsqu’un nouveau débat prend place, je sens une réelle retenue du fait de ma présence.

Toutefois, ils ont aussi besoin d’être rassurés, et je comprends bien le double sens de leur question : « Ta femme, elle est Algérienne, c’est ça ? »

Que Dieu nous facilite.

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Bilal Ibn Mîkhael est enseignant.

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