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Psycho

Hinda : « Il va falloir faire le deuil de ma famille alors qu'elle est encore vivante »

Rédigé par Lalla Chams En Nour | Samedi 2 Juillet 2022 à 08:30

           


J’ai 30 ans et je suis marocaine et comorienne née en France. Après avoir souffert pendant des années du mal que les hommes m'ont fait, j'ai enfin trouvé chaussure à mon pied, d'une gentillesse et d'une attention incroyables. Il respecte très bien le fait que je sois musulmane, il n'a absolument aucun problème avec ça car lui est chrétien.

Ma mère n'accepte pas du tout cette relation, elle est beaucoup dans le jugement des autres. Elle me parle de sa réputation, de son « honneur », mais n'entrevoit pas un seul instant mon bonheur, mon avenir ou autre. J'ai toujours cédé à ma maman car c'est comme ça et que, dans l'islam, l'obéissance aux parents n'a pas de limites. Depuis ma plus tendre enfance, dès que je veux penser à moi ou faire quelque chose qui me plaît, je culpabilise car je pense à ce que va penser ma maman et je m'oublie automatiquement.

Sauf que cette fois-ci, j'ai envie de vivre comme j'en ressens le besoin car, même si j'aime ma mère de tout mon être, même si je lui suis reconnaissante de la mère qu'elle a été et qu'elle est toujours, même si je n'oublie pas qu'elle m'a donné la vie, j'ai envie de m'écouter, de ne pas laisser la religion prendre le dessus sur ma vie et mon avenir.

Quand on parle comme ça, on passe pour une fille indigne, ingrate et non reconnaissante alors que pas du tout ! Comme je l'ai dit précédemment, ma mère restera ma mère, je l'aime et je l'aimerai toujours.

Nous avons avancé dans notre relation, mon compagnon a même accepté de faire un hlel (un mariage religieux, ndlr). Al-hamdoulilah, tout s'est bien passé. Malheureusement, cela a signé la rupture avec ma famille. On me prend de très haut, on me voit comme l'égoïste sans cœur, la pourriture et la honte de la famille.

Depuis que le Bon Dieu m'a donné la vie, on m'a dit qu’il faut obéir à ses parents, que le Paradis se trouve sous les pieds de la mère mais je ne m'y retrouve plus. Je pense qu'il va falloir que je fasse le deuil de ma famille alors qu'elle est encore vivante ; il ne me reste qu'un protecteur, Allah. Je laisse tout entre ses mains, je garde foi en lui car il est le seul à pouvoir aider et faciliter les choses.

J'aurais préféré que les choses se passent autrement, j'aurais voulu que le fait d'être l'aînée ne me pèse pas autant. Même ma petite sœur me prend de haut et me rappelle que c'est elle qui a la tête sur les épaules alors que moi, je suis restée une enfant. Je passe par une phase très douloureuse, qui plus est dans une période où le Ramadan n'était vraiment pas loin… Je suis peut-être fautive mais je pense que je mérite un tel ressentiment de la part de personne avec qui je partage un nom de famille et surtout le même sang.

Lalla Chems En Nour, psychanalyste

Chère Hinda,

Vous touchez là un thème qui tourmente nombre de musulmans. Jusqu’où doit aller le respect que l’on doit aux parents et de quelle manière l’exprimer au plus juste sans nuire à son propre chemin de vie ? Certes, nos parents nous donnent la vie, comme eux-mêmes en ont hérité des leurs…

« Votre enfant ne vous appartient pas », dit Khalil Gibran, le poète libanais auteur du Prophète. Si les enfants sont des dons de Dieu, le rôle des parents est alors de leur donner les moyens d’évoluer correctement dans la société humaine. Les aider à devenir eux-mêmes. Ce sont des passeurs. Ils font ce qu’ils peuvent, selon leurs moyens, mais en aucun cas, la vie de leur enfant ne leur appartient. Et si l’on doit respect aux parents, eux doivent respecter leur rôle de transmetteur en donnant à l’enfant les meilleures conditions de développement possible.

Hélas une certaine tradition a oublié le sens profond du don de la vie. Tout n’est devenu que devoir, obligation, conformité. Et l’on en est arrivé à des sociétés musulmanes où l’épanouissement d’une personne compte moins que le respect des règles déformées. Je constate auprès de mes patients musulmans combien il leur est difficile d’exercer leurs droits de sujet. Pouvoir dire « je », comme vous tentez de le faire, est la preuve que l’amour pour cet homme vous permet de trouver la force de quitter « l’ancien monde », la « tradition ».

Il vous reste à trouver peu à peu les mots pour montrer à votre entourage que leurs préjugés coupent les relations, vous empêchent de partager cette belle expérience du couple où l’amour est là. C’est toujours douloureux le changement. Même s’il vous est nécessaire de vous éloigner quelque temps pour établir votre nouvelle vie, viendra un moment où vous retrouverez vos proches.


La rubrique « Psycho », qu’est-ce que c’est ?

Des psychologues et psychanalystes répondent à vos questions. Musulman(e)s du Maghreb ou de France, professionnel(le)s actif(ve)s exerçant en cabinet, ils réfléchissent à votre problématique et tentent de vous éclairer à travers leur expérience professionnelle et leur pratique spirituelle. Ils peuvent vous aider à y voir plus clair en vous-même ou à mieux décrypter le comportement des personnes de votre entourage.
Ils ne sont pas médecins, même si on les désigne parfois comme des « médecins de l’âme », mais leur rôle est de vous aider à trouver en vous-même la meilleure réponse à vos interrogations sur vos relations aux autres, votre conjoint ou conjointe, vos parents, vos frères et sœurs, vos amis, vos collègues de travail, vos voisins...
Alors, n’hésitez pas, interrogez-les, ils tenteront de vous répondre en s’éclairant des plus belles pensées de l’islam.
Contactez-les (anonymat préservé) : psycho@saphirnews.com





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