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Religions

Gilles Couvreur : je ne lui ai pas écrit, je ne lui ai pas téléphoné

Rédigé par Malika B. | Samedi 10 Juin 2006 à 03:12

           

Au début du mois de mai, en classant mes papiers, je suis tombée sur une carte poste de Gilles Couvreur. C’était un petit mot pour prendre des nouvelles. Un de ces petits mots d’encouragement comme il prenait le temps d’écrire régulièrement. J’eus une pensée à ce moment-là : lui écrire, lui téléphoner…avant qu’il ne soit peut-être trop tard. Je savais son âge avancé et j'étais au fait de ses soucis de santé. Drôle d’intuition ! Étrange pensée ! Je ne me suis pas écoutée. Emportée dans le tourbillon de ma vie d’épouse, de mère et d’enseignante, je ne lui ai pas écrit, je ne lui ai pas téléphoné. J’ai remis ça à plus tard.



Gilles Couvreur (1927-2006)
Gilles Couvreur (1927-2006)
Un mail d’une amie commune m’apprit la triste nouvelle : « Tu sais pour Gilles ? » m’écrivait-elle. Non je ne sais pas... Disons que je le savais au fond de mon coeur. Je n'étais pas surprise. Cette intuition de fin de vie était aussi forte que pénible. C'est ainsi que par le doux euphémisme interrogatif de mon amie, j’appris que Gilles s’était éteint au début du mois de mai.

Je ne lui ai pas écrit, je ne lui ai pas téléphoné mais je sais qu’il nous a quitté après une vie bien remplie à servir Dieu. En homme de foi qu'il était, Gilles Couvreur a longtemps accompagné les musulmans en les côtoyant. En cela, il est un pionnier de la question de l’islam en France ou de France. Il s’y intéressait déjà à un moment où la question de l’islam n’était pas si problématique, si passionnelle en France. Prêtre ouvrier, peintre en bâtiment, il a connu l’univers de ces primo migrants, nos pères, avec leur islam de piété et de simplicité. Ils l’aimaient bien et l’avait surnommé « le chibani (le vieil homme) ». Ces dernières années, Gilles fut aussi le compagnon de route des nouvelles générations de musulmans, porteuses d’un islam renouvelé et bien plus complexe.

Il me laisse en souvenir la richesse de nos échanges où nous évoquions les Lettres persanes de Montesquieu en nous amusant de la situation des personnages. Nous riions en comparant leurs anecdotes à mes difficultés à être musulmane dans ce pays… qui est pourtant le mien. On me renvoyait toujours la question sous de multiples formes : « Comment peut-on être persan (comprenez musulman) ? » Idée saugrenue en effet que d’être porté à la spiritualité et par celle-ci en cette fin de siècle finissant, de nourrir une vision du monde verticale quand tout vous invite à une vision terre à terre, horizontale. Notre foi commune en Dieu créait une connivence qui nous permettait d’en rire : lui avec dérision et bienveillance, moi avec ironie.

Homme de foi certes mais aussi homme de conviction, Gilles a été le compagnon de route de beaucoup parmi nous, sachant réserver à chacun suffisamment d’attention et d’intérêt pour construire ce difficile équilibre du « vivre ensemble ». Nous partagions cette conviction forte et patiente que vivre ensemble au-delà de nos différences est possible si chacun dépasse ses a prioris… au nom de Dieu.

Le « chibani », comme il aimait à se désigner lui-même, n’est plus. Il a quitté la route si difficile du vivre ensemble que peu de gens osent emprunter, préférant faire tournoyer au-dessus de nos têtes d’étranges épouvantails sur le fantasmé choc des civilisations.

Je ne lui ai pas écrit, je ne lui ai pas téléphoné et le « chibani » nous a quitté. Mais dans mon cœur, dans mon souvenir il est toujours à la place qu’il a toujours occupée: un ami dans la foi, un jalon précieux sur ma route.





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