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Points de vue

Combattre le racisme antimusulman : enfin un « made in France » inclusif ?

Rédigé par Michaël Privot | Jeudi 19 Janvier 2017 à 09:00

           

La France s’est spécialisée dans le développement d’une forme d’islamophobie de gauche, réussissant le tour de force de justifier des mesures d’exclusion à partir d’un cadre universaliste d’inclusion, établissant un arc idéologique commun avec la droite, voire l’extrême droite. Comment sortir de ce cauchemar éveillé pour les victimes du racisme antimusulman ?



Combattre le racisme antimusulman : enfin un « made in France » inclusif ?
La France est loin d’être le seul pays confronté aux défis de l’égalité véritable et de l’inclusion de ces concitoyen-ne-s musulman-e-s ou supposé-e-s tel-le-s, car cette forme complexe de racisme ne prend pas pour cible uniquement des signes apparents d’islamité, mais croise cela avec le sexe/genre (les femmes sont largement plus victimes que les hommes, de 50 % à 400 % selon les pays), l’origine ethnique (en particulier d’ascendance arabe, africaine ou sud-asiatique), l’âge (les jeunes et les personnes d’âge moyen plus que les seniors) ainsi que la classe sociale (les classes moyennes supérieures étant moins exposées que les personnes à faible revenu).

Pour faire face à cette forme de plus en plus décomplexée de racisme, l’Union européenne avait organisé son premier colloque sur les droits fondamentaux sur le racisme antimusulman, conjointement avec la question de l’antisémitisme. C’était une première reconnaissance politique et symbolique forte de l’existence du phénomène, l’ensemble des Etats membres, y compris la France, étant de la partie. Un coordinateur européen a été désigné à cette occasion pour renforcer les efforts de l’UE dans ce domaine, comme pour l’antisémitisme. Mais cela n’a pas suffi à l’heure où ce ne sont pas seulement les capitaux qui se globalisent, mais aussi les haines : de nombreux rapports ont montré l’existence de réseaux transatlantiques qui produisent et s’échangent leurs pires pratiques en matière de propagation d’une islamophobie à portée systémique, tels que Stop Islamisation of Europe/America, au sein desquels se côtoient les populistes de droite des deux continents.

Sortir des approches idéologiques du phénomène islamophobe

Pour tenter de faire face à cette coordination dont on constate l’impact sur le terrain, l’UE, les Etats-Unis, le Canada et une délégation de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) ont organisé un premier forum transnational mardi 17 janvier au siège des Nations Unies. Cela démontre qu’il existe des dirigeants politiques qui comprennent la menace sur la cohésion sociale que constituent tant la manipulation de discours stigmatisant, voire haineux, pour polariser nos sociétés en vue de gains politiques immédiats, que le déni manifeste de droit et l’entaille à nos valeurs démocratiques fondamentales que représente le refus de combattre sérieusement cette forme de racisme. Car ceux qui tirent les marrons du feu, c’est Daesh et ses avatars, trop heureux de pouvoir embrigader dans sa propagande le sentiment d’aliénation et d’abandon que ressentent de nombreux musulman-e-s face au déni, de la part de leurs Etats, d’une protection concrète contre la haine, la discrimination et la violence auxquelles ils/elles font face au quotidien.

Ce racisme étant complexe, les solutions à apporter seront complexes, ce qui ne manque pas de refroidir de nombreuses autorités. Mais il faut toujours un temps 0 à partir duquel on peut construire, en commençant – et c’est particulièrement le cas pour la France – par sortir des approches idéologiques du phénomène qui consistent à s’asseoir sur deux décennies de recherche académique internationale sur le sujet, en ramenant l’islamophobie à des histoires de mollah ou de recherche d’interdire toute critique de l’islam. ENAR, le Réseau européen contre le racisme, insiste sur le pragmatisme de l’approche inductive : partir du vécu des gens, de ce que dit le terrain.

Le rôle des Etats est primordial

En France, tant les données officielles que celles de la société civile indiquent une augmentation des actes islamophobes. Au Royaume-Uni, il y a eu un déferlement d’incidents racistes, y compris contre les communautés musulmanes, suite au vote en faveur du Brexit en juin 2016. En Belgique, la Ligue des droits de l’homme signale une augmentation des contrôles au faciès ciblant les jeunes hommes d’origine nord-africaine et africaine depuis les attaques terroristes à Paris et Bruxelles. Le racisme antimusulman est donc une réalité très concrète dans la vie de millions d’Européens, musulman-e-s ou supposé-e-s tel-le-s, d’autant plus que ces données ne sont que la partie émergée de l’iceberg que des associations ou institutions arrivent à capter.

Le rôle des Etats est donc primordial : documenter les faits, soutenir les victimes, protéger l’ensemble des citoyens, mettre en œuvre des mesures répressives à la hauteur des enjeux, y compris pour les employeurs voyous qui s’obstinent à discriminer, former et évaluer les professionnels de la justice et la police, former et évaluer les enseignants et professionnels de l’inclusion sociale dans leur mission de lutte contre les inégalités. La liste des mesures à prendre pour mettre en acte une société véritablement inclusive et respectueuse est encore longue.

Combattre le racisme antimusulman : enfin un « made in France » inclusif ?

Construire des coalitions au-delà de ses intérêts sectoriels

De son côté, la société civile ne doit pas rester les bras ballants : construire des coalitions au-delà de ses intérêts sectoriels pour établir des plateformes communes de revendications transverses qui rassembleront un bien plus large soutien. C’est ce qu’ENAR et ses membres se sont engagés à faire au travers du projet "Forgotten Women" dans plusieurs pays, dont la France : créer des synergies entre les luttes féministes et antiracistes, pour que le racisme antimusulman soit pris en compte parmi l’ensemble des formes de violence contre les femmes, et que l’égalité des femmes et des hommes soit portée par tous les secteurs du mouvement antiraciste. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra couper l’herbe sous le pied des islamophobes qui instrumentalisent l’émancipation des femmes pour en exclure d’autres.

C’est cette voix que nous avons porté dans ce forum global. En espérant que la France rejoigne le concert des nations qui s’engagent dans la lutte contre le racisme antimusulman, à l’instar des autres formes de racisme: antisémitisme, afrophobie, antitsiganisme, racisme anti-asiatique et anti-immigrant. De producteur spécialisé de racisme antimusulman, la France reprendrait alors sa place de catalyseur d’égalité et d’inclusion. Ce serait le plus beau ‘made in France' dont l’Europe pourrait rêver.

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Michaël Privot est islamologue et directeur du Réseau européen contre le racisme (ENAR).






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