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Points de vue

Armes chimiques en Syrie : pour une réaction à la mesure de la gravité du mal

Rédigé par Dominique Reynié | Jeudi 19 Septembre 2013 à 06:00

           


Armes chimiques en Syrie : pour une réaction à la mesure de la gravité du mal
Le régime syrien est confronté à une grave crise politique qu’il croit pouvoir surmonter par un recours aux armes. Agissant sans retenue ni discernement, au préjudice des populations civiles, ce pouvoir s’était placé dans une situation déjà inacceptable alors même qu’il utilisait des armes dites conventionnelles. Le recours aux armes non conventionnelles correspond au franchissement des dernières étapes dans l’ordre de la gravité. Toutes les armes ne se valent pas. C’est la raison d’être de la distinction entre les armes conventionnelles et non conventionnelles. Les armes chimiques, biologiques et nucléaires entrent dans la catégorie de ces armes qui donnent au recours à la violence un caractère particulier en raison de la nature des dommages qu’elles produisent. Le débat à propos de la situation en Syrie n’a pas assez insisté sur les effets propres à l’arme chimique.

Des secours empêchés

La première singularité de l’arme chimique est dans le fait qu’elle réduit dramatiquement la possibilité de venir en aide aux victimes, d’abord par les effets directs, qui sont mortels ou incapacitants, sur les équipes des services de secours et d’urgence ; ensuite parce que la zone devient durablement inaccessible, ou très difficilement, en raison de la contamination liée à la dispersion des substances ; enfin, parce que le matériel de secours peut être partiellement ou totalement contaminé et donc inutilisable.

Des dommages immédiats, mais aussi différés

Deuxièmement, les dommages infligés se distinguent de ceux produits par les armes conventionnelles : il y a les dommages immédiats qu’ils entrainent, tels que les brûlures, notamment des yeux, ou l’asphyxie, que les armes dites conventionnelles peuvent aussi produire. Ces dommages immédiats s’accompagnent de dommages différés, plus particuliers en raison de leurs effets cancérogènes. Ces cancers surgissent de nombreuses années plus tard, et les spécialistes s’accordent à dire qu’ils sont particulièrement difficiles à soigner, notamment parce qu’ils appartiennent à des formes rares. Celles et ceux qui échappent à la mort au cours d’une attaque chimique ne vivent plus que dans une perpétuelle incertitude. Certaines personnes verront surgir une maladie souvent mortelle, succombant finalement aux conséquences de l’attaque.

Des dommages transmissibles

Troisièmement, à côté de ces dommages directs, immédiats ou différés, l’arme chimique produit ce que l’on pourrait appeler des dommages transmis. Ce sont les dommages communiqués à travers les victimes à d’autres individus qui deviennent à leur tour des victimes. On pense ici aux effets tératogènes, c’est-à-dire ceux qui sont à l’origine de malformations congénitales. Ceci implique que les dommages concernent aussi des individus qui ne sont pas encore nés, voire qui n’existent pas au moment de l’usage de l’arme. Donc, par l’effet des malformations congénitales, des personnes viennent au monde en étant déjà, à la naissance, de graves blessés de guerre, supportant toute leur vie, et peut-être leurs enfants aussi, les traces physiques, les souffrances physiques et psychologiques, les troubles neurologiques et psychiatriques qui peuvent découler, d’une attaque à l’arme chimique antérieure à leur venue au monde

La destruction des ressources nécessaires à la vie humaine

Quatrièmement, l’arme chimique se caractérise par les dommages environnementaux qu’elle entraine. Les réserves d’eau et les sols sont contaminés, devenant inexploitables, parfois pour longtemps. Il s’agit moins de souligner les effets désastreux sur l’environnement en lui-même que sur la destruction de ressources naturelles qui contribuaient à la vie d’une communauté humaine. Les dommages environnementaux menacent donc les survivants qui habitent dans le périmètre de l’attaque, en raison de la toxicité des produits propagés, et peuvent les contraindre à quitter les lieux.

Une arme de portée génocidaire

Cinquièmement, l’arme chimique affecte la fécondité des survivants. Elle peut même entraîner leur stérilité. Ceci autorise à parler de dommages irréparables. Des vies qui auraient dû advenir ne sont pas. L’arme chimique empêche donc le retour de la vie, en retenant ainsi l’avènement des nouvelles générations, celles qui devaient avoir la charge de reconstruire et de réconcilier. Par cette caractéristique, l’arme chimique révèle sa portée génocidaire.

Un nombre de victimes inconnu. Des (futurs) malades persécutés

Pour toutes ces raisons, nul ne peut dire quel est le nombre des victimes de l’attaque chimique. Enfin, et sixièmement, il est impossible de dire aujourd’hui ce que deviendront tous les malades et les futurs malades qui porteront les marques physiques et psychologiques de l’attaque, lorsqu’ils chercheront à se faire soigner, demain ou dans quelques années, signalant et rappelant à un pouvoir toujours en place qu’ils appartenaient à un groupe qui fut la cible d’une furieuse répression. En Syrie, l’usage de l’arme chimique condamne les survivants à une insécurité politique permanente et probablement à l’exil.

Conjurons le chaos

La proscription des armes chimiques a été plusieurs fois proclamée. On peine donc à en empêcher tout à fait l’usage, comme on a pu le voir au cours de la guerre irano-irakienne, entre 1980 et 1988 ou à Halabja, en mars 1988. C’est pourquoi une Convention signée à Paris, en 1993, interdit la mise au point, la fabrication, le stockage et l’utilisation des armes chimiques. La Syrie, qui n’est pas signataire, est le premier pays à recourir à l’arme chimique depuis cet accord. L’humanité ne peut pas prendre le risque de voir une telle arme glisser dans la catégorie de fait des armes employables, et avec elle les armes biologiques et nucléaires, qu’il s’agisse de la conduite de la guerre ou qu’il s’agisse de l’organisation d’opérations terroristes. La détermination montrée par la France et par le président François Hollande, quelles que soient les divergences d’appréciation tactique, est légitime ; elle appelait un large soutien de la classe politique comme de l’opinion, qui, hélas, aura fait défaut.

Sans égard pour ses alliés, Barack Obama accepte une porte de sortie à peine honorable offerte par la Russie de Poutine. La fracture occidentale, entre les Etats-Unis et l’Union européenne, Royaume Uni compris, s’affirme davantage. Il faudra y remédier. Pour l’heure le premier objectif essentiel, de portée universelle et à destination des générations futures, est d’abord de faire aboutir le mouvement diplomatique capable de contraindre la Syrie à reconnaître l’interdiction des armes chimiques consacrée en 1993 par la Convention internationale ratifiée par 188 pays, dont la Chine et la Russie ; c’est ensuite d’obtenir le démantèlement des stocks d’armes chimiques dispersés sur le territoire syrien ou dissimulés à l’extérieur ; c’est enfin de rechercher les responsables du bombardement chimique du 21 août dernier et de les traduire devant le Tribunal pénal international pour des actes qui revêtent une gravité si grande qu’ils doivent rester inadmissibles si nous voulons échapper au chaos.

Dominique Reynié est professeur des Universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).






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