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Points de vue

Affaire Tariq Ramadan : de la nécessité de faire preuve de prudence et de retenue

Rédigé par Saïd Daoui | Mercredi 21 Février 2018 à 11:45

           


Affaire Tariq Ramadan : de la nécessité de faire preuve de prudence et de retenue
Voilà plusieurs mois que la dénommée « affaire Tariq Ramadan » agite la société française et, en son sein, les musulmans.

Après une période de consternation lors de l’émergence de ladite affaire, plusieurs personnalités publiques musulmanes ont pris la parole à la suite de l’incarcération de l’intellectuel, dénonçant, à leurs yeux, l’injustice dont serait victime ce dernier du fait de ce qu’il représente. Un autre pan de la société française se réjouit du traitement réservé à Tariq Ramadan, utilisant une grille de lecture tout aussi essentialiste imputant les crimes présumés à l’identité musulmane du mis en cause.

Cette très forte polarisation des postures autour de ce cas est très inquiétante à bien des égards. Du coté des communautés musulmanes, si l'on peut légitimement condamner le traitement médiatique souvent orienté réservé à l'affaire (comme c'est le cas de beaucoup d'affaires judiciaires, rappelons-le), il paraît hasardeux de se lancer dans une défense inconditionnelle de l'homme public. La défense se fait essentiellement sur la base de l’appartenance musulmane de l’accusé : c’est, très souvent, le seul angle utilisé.

Lire aussi : Affaire Tariq Ramadan : en appeler à la justice en portant haut le combat contre les violences sexuelles

Jouer aux procureurs sans avoir accès au dossier complet est un jeu dangereux

Aucune des personnalités publiques musulmanes s’étant prononcé avec force ces derniers jours ne sait ce qu'il s'est passé (ou non) dans le cas d’espèce. C’est donc la prudence et le recul qui devraient s'imposer. Pourtant, beaucoup prennent une position ferme et vigoureuse sur le dossier pour analyser et commenter les décisions de la justice, principalement la détention provisoire. La défense, d’une part, de la notion d’un procès équitable et de la présomption d’innocence (donc essentiellement sur la forme) et, d’autre part, le déploiement d’une véritable plaidoirie s’appuyant sur des éléments du fond du dossier se confondent subrepticement dans ces prises de position.

Notons que, désormais, il n’est plus question du seul (et légitime, à mon sens) traitement médiatique de la question mais bel et bien de son traitement judiciaire. Tout cela, encore une fois, sans avoir connaissance des 600 pages de la procédure. Jouer aux procureurs sans avoir accès au dossier complet est un jeu dangereux. En effet, il légitime, par des analyses forcément tronquées, les discours les plus simplistes. Qualifier Tariq Ramadan de « prisonnier politique » relève, dans ce cadre, de l’irresponsabilité la plus totale.

Affaire Tariq Ramadan : de la nécessité de faire preuve de prudence et de retenue

La détention provisoire, un débat de fond qu'il eut fallu initier en amont

La justice française, comme toute institution humaine, n'est pas parfaite, loin de là ! Des faits divers démontrant ses failles sont hélas nombreux. Mais distiller l'idée, parmi les musulmans, qu'elle serait totalement et absolument voire ontologiquement partiale, surtout à l’endroit des musulmans, n'est pas sérieux. Les détenteurs d’une parole publique auprès des communautés musulmanes ont beau user de circonvolutions sémantiques en mettant en avant la défense de la présomption d’innocence, l'idée diffusée par la plupart des prises de positions publiques (et ainsi reçue par leur audience) est bien celle-ci : la justice française dysfonctionne totalement quand elle n'est pas carrément islamophobe ! Ne serait-il pas plus sage de laisser le soin aux avocats des parties déployer leur stratégie de défense dans l’arène judiciaire plutôt que de s’aventurer sur ce terrain glissant et forcément sujet à manipulations ?

Par ailleurs, s’il s’agissait bien de la dénonciation de la détention carcérale provisoire avant la tenue d’un procès au nom de la valeur de justice, pourquoi aucune de ces voix ne s’est élevée pour critiquer fondamentalement ce dispositif juridique présent dans la loi française depuis longtemps ? Pourquoi s’en offusquer maintenant ? Il y a pourtant matière à initier un débat de fond sur cette question. Or, ces responsables musulmans semblent découvrir le principe, très dur et souvent impitoyable, de la détention provisoire avant procès et s’en émouvoir depuis « l’affaire Tariq Ramadan », laissant ainsi la désagréable impression d’une réaction de défense purement communautaire…

Refuser de conforter les positions victimaires

Si critique des failles de l’institution judiciaire il doit y avoir (encore une fois, elles sont légions), elle doit effectivement se faire de façon globale, loin de toute considération partisane. Discréditer l’organe judiciaire de la sorte ne fera que renforcer la marginalisation symbolique dont souffre les musulmans dans l’imaginaire collectif : beaucoup parmi ces derniers trouvant ainsi la légitimation « officielle » de leur sentiment de frustration à l’égard de leur société. Les « leaders » musulmans confortent ainsi les positions victimaires. Est-ce leur rôle, si rôle il devrait y avoir ? Poser la question, c’est y répondre.

Quelle que soit l'issue de cette affaire, elle en dit long des tensions qui traversent la société française. Jouer avec ces tensions, de part et d’autre, est délicat pour ne pas dire irresponsable. Transformer une question judiciaire en un combat politique engageant toute une « communauté » ou carrément une religion c'est hystériser la société autour de questions identitaires. C'est ici que repose le véritable danger qui dépasse la personne de Tariq Ramadan (qu'on soit « pour » ou « contre » Tariq Ramadan, étant donné que nous en sommes à ce niveau).

Refuser de lier le sort de la procédure à celui du fait musulman en France

Cette attitude « d'hystérisation » périlleuse concerne autant les soutiens quasi-inconditionnels de l’intellectuel musulman qu’une partie des élites politiques et médiatiques. Les deux pôles lient l'affaire en cours avec l'identité musulmane du mis en cause. Indéniablement, il existe des stratégies empreintes de partialité manifeste de la part de médias et des politiques qui se délectent (pour des raisons idéologiques et/ou purement mercantiles) de la situation de l’intellectuel et cherchent à orienter l’opinion publique en sa défaveur.

Le danger de ces deux attitudes, telles les deux faces d’une même pièce, réside dans le fait qu’elles exacerbent des représentations excluantes : décidément, le fait musulman est intrinsèquement un problème pour la société. Cela dit, les responsables musulmans semblent là aussi découvrir le traitement parfois partial d’une partie des médias et confondent ces médias avec l’institution judiciaire. Cette naïveté frôle la faute dont les conséquences sont imprévisibles.

On peut s'émouvoir légitimement de la dégradation sanitaire d'un homme. Mais cette émotion ne saurait éclipser le souci de justice pour qui se dit attaché à ce principe éthique universel. Voir autant de procureurs sur les réseaux sociaux génère un sentiment de malaise et, encore une fois, d'inquiétude.

Que se passera-t-il effectivement quand la décision judiciaire, après un procès, penchera d'un côté ou de l'autre (la condamnation ou l'acquittement) ? Quelle forme va prendre l'affrontement des deux camps ? Les partisans du pire des deux bords vont se réjouir car la décision judiciaire va confirmer leur position commune : il n'est de place possible en France pour les « musulmans » ou ceux considérés comme tels. Où allons-nous ainsi ? Un mur est en cours d’édification avec un risque important de le prendre frontalement, et collectivement.

Face à ce tableau, chacun est désormais sommé, surtout si l'individu est musulman, de choisir son camp : pour ou contre Tariq Ramadan, glissant vers un « pour ou contre l'islam(isme) »... Exit la complexité et la nuance ! Les deux camps ont définitivement lié le sort de la procédure à celui du fait musulman en France. Pari risqué s’il en est tant les conséquences pourrait être désastreuses.

*****
Saïd Daoui est diplômé de science politique.

Lire aussi :
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Les musulmans face à l’urgence : jusqu'où penser la « solidarité fraternelle »?
Musulmans de France, ne tombez pas dans ce (nouveau) piège du foulard !




Réagissez ! A vous la parole.
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9.Posté par Isabelle le 21/02/2018 22:02 | Alerter
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Il y a essentiellement des arabes et des noirs en prison. Quantités de familles se mobilisent contre l'injustice qu'elle subissent, elles sont pourtant des lambdas. Si vous ne le voyez pas c'est que le monde qui vous entoure vous laisse indifférent.

8.Posté par Miamou le 21/02/2018 21:12 | Alerter
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Vous utilisez beaucoup le mot musulman dans votre article.
Il me semble que vous etes à coté.
Mais c'est le deux poids deux mesures que les gens relèvent surtout.
Pour un autre meme type d'affaire un traitement différent.
Quant à savoir pourquoi ceux qui le mentionnent ne s'en sont pas émus avant cette affaire,
ils le font tout le temps mais vous ne l'avez pas perçu avant aujourd'hui juste.
Le lambda ne peut rien, seule l'administration judiciaire elle meme le peut. Je commente aussi d'autres affaires mais je ne peux faire que cela, commenter.

7.Posté par Rafik le 21/02/2018 18:18 | Alerter
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Je ne pense pas que l'auteur de l'article s'est penche sur la position des deux camps. Beaucoup de voix intellectuelles (non musulmane) se sont levees pour demander un traitement equitable ainsi que la presemption d'innoncence, seulement l'auteur fait diversion en demandant de la retenue aux musulmans et les incite a etre bcp plus calculateur dans leurs position. En d'autres termes puisque Tariq Ramadan est musulman donc il ne faut pas que les musulmans denoncent les deux poids deux mesures. Une position de laches.
Au fond g lu l'article, le mesage n'est pas bien clair et l'auteur joues sur la neutralite passive.

6.Posté par majebli le 21/02/2018 14:37 | Alerter
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Merci pour l'article qui essaie de soustraire l'affaire de Tariq Ramadan du volet religieux. C'est un éclaircissement qui est salutaire et honorable.

Ceci dit, je crois que l'auteur met des affirmations sans pour autant les appuyer par des preuves.

J'ai suivi l'affaire depuis le début et ce qui j'avais constaté que les personnes dont l'auteur parle se sont tu longtemps, et c'était même un reproche fait à leur encontre par les médias qui se sont lancés dans le lynchage et le jugement de Tariq Ramadan avant son procès.

Maintenant ils commencent à s'exprimer et prendre position timidement.

Qu'est ce qu'ils disent en général: on veut un procès équitable et loin de toute orientation politique car l'affaire vire plutôt vers un procès politique au lieu d'être une affaire de droit commun.

Cette position vous pouvez la trouver poser par une personne qui déteste le "violeur" Tariq Ramadan (car c'est ça actuellement de quoi il s'agit). C'est Régis de Castelnau
https://www.causeur.fr/tariq-ramadan-prison-justice-politique-149553

Vouloir s'alarmer sur ce positionnement maintenant que des gens se mobilisent pour que la voie complètement inaudible de de Tariq Ramadan je la trouve un petit peu limite.

Je soutiens Tariq pour un procès équitable.

5.Posté par Sebastien Gonvin le 21/02/2018 13:51 | Alerter
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Laissons faire la justice et ses avocats et arrêtond le discours de victimisation permanent.

4.Posté par Lili le 21/02/2018 13:38 | Alerter
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ce que je me tue à dire, vous avez couché sur écran ma pensée exactement ! espérons que ces "leaders" comprendront enfin que leur attitude est irresponsable, en plus d'être contre-productive

3.Posté par Anton le 21/02/2018 12:48 | Alerter
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Said a beaucoup changé depuis sa Lettre à Dalil BOUBAKEUR....pour des raisons inconnues...

2.Posté par Patrick le 21/02/2018 12:27 | Alerter
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L’exercice n’était pas facile ! Félicitations à Saïd DAOUI.

1.Posté par Marie le 21/02/2018 12:21 | Alerter
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Solidarité totale avec Tariq

J'ai rien compris a l'article de "Saïd Levy-Cohen"

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