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Points de vue

2005, centenaire de la promesse universelle de liberté de pensée

Rédigé par Bouzar Dounia | Samedi 8 Janvier 2005 à 00:00

           

| Par Dounia BOUZAR |
Nous voici à l’aube de l’année qui va fêter le centenaire de la laïcité. En tant que femme, chercheuse, de confession musulmane, tout juste démissionnaire du seul poste féminin de personnalité qualifiée du CFCM (je n’avais aucune raison de rester dans cette instance de « l’islam de France » où il n’est jamais question de musulmans nés en France, dans la mesure où c’est pour ces compétences précises que j’y avais été cooptée- Voir interview dans Libération du 6 janvier), je me dois de rappeler que la laïcité n’est pas un concept occidental, comme voudraient nous le faire croire tant les islamistes que les « islamophobes », mais un idéal universel à atteindre pour tous ceux qui défendent la liberté de penser.



par Dounia Bouzar,

 

Démissionnaire du CFCM, anthropologue,

Chargée d’études à la Protection Judiciaire de la Jeunesse

Rédactrice à Respect Magazine

 

Nous voici à l’aube de l’année qui va fêter le centenaire de la laïcité. En tant que femme, chercheuse, de confession musulmane, tout juste démissionnaire du seul poste féminin de personnalité qualifiée du CFCM (je n’avais aucune raison de rester dans cette instance de « l’islam de France » où il n’est jamais question de musulmans nés en France, dans la mesure où c’est pour ces compétences précises que j’y avais été cooptée- Voir interview dans Libération du 6 janvier), je me dois de rappeler que la laïcité n’est pas un concept occidental, comme voudraient nous le faire croire tant les islamistes que les « islamophobes », mais un idéal universel à atteindre pour tous ceux qui défendent la liberté de penser. Et n’en déplaise aux autres, je ne deviens pas un « ennemi de l’intérieur », je ne détruis pas l’héritage culturel de l’islam en défendant la laïcité, je le respecte et je le revivifie, dans la pure lignée d’Averroès et de tous ceux qui ont lutté pour le rationalisme, l’esprit critique, la rigueur scientifique, l’indépendance politique.

 

La laïcité, lorsqu’elle respecte la liberté de conscience, est une nécessité pour résister aux modes de penser autoritaires. Lorsqu’on étudie la situation de l’islam de France, ce que j’ai fait dans Monsieur Islam n’existe pas (Hachette Littératures, 2004), un aspect essentiel apparaît : l’histoire de la laïcité crée dans notre pays des conditions d’émergence d’une nouvelle religiosité puisque les musulmans de France ne peuvent plus trouver de réponses à leurs questions en se tournant vers les pays étrangers. Qu’est-ce qu’être musulman dans une société laïque ? Où et comment faire la séparation entre le profane et le sacré ? Comment faire la différence entre les principes religieux et les formes historiques que ces derniers ont pris au fil des siècles dans les différentes sociétés musulmanes? Le contexte de pluralisme démocratique laïque français oblige ainsi les musulmans, comme cela a été jadis le cas pour les autres croyants, à réorganiser leur manière d’exister et de croire, à partir de cette nouvelle expérience. Ce n’est pas par le biais de grandes théories que les croyants réinterprètent leurs textes sacrés, mais par l’expérimentation, le vécu.  Car la laïcité, c’est aussi la liberté de culte.

 

Pourtant, cette nouvelle religiosité musulmane de France a du mal à émerger. Et le débat sur la place et la fonction de l’islam reste encore affectif, idéologique et/ou politique. Malgré ma critique du discours de certaines institutions, de certains médias, de certains politiques - de gauche comme de droite, me voilà accusée de  « vision institutionnelle, étatique, voire policière » par certains des musulmans interviewés dès lors que j’interroge leurs propres discours (voir « Madame Douce France n’existe pas non plus » sur Oumma.com)… Quant aux critiques journalistiques, l’aspect qui les intéresse le plus, c’est la couleur de l’étiquette à coller sur le front de chaque musulman. Entre le « prêt à penser islamique » et le « prêt à penser médiatico-politique », besoin de respirer… Y a-t-il encore quelqu’un pour penser lorsqu’il s’agit de l’islam ?

La laïcité propose justement un cadre intellectuel pour que l’on réfléchisse tous ensemble. Quelle plaisanterie d’entendre que les musulmans n’ont pas besoin de la laïcité ! A travers le monde entier, depuis longtemps, les intellectuels qui utilisent des méthodes rationnelles sont accusés de trahir le patrimoine culturel musulman. La seule façon de rester fidèle consisterait à se limiter aux raisonnements des pieux ancêtres ou à s’inspirer directement des Textes sacrés. N’est-ce pas, en vérité, parce qu’ils invitent à la critique, à la vérification des a priori ? Parce qu’ils constituent des dangers pour ceux qui veulent détenir le pouvoir par le monopole de la production de symbolique religieuse ?

 

Il serait temps de faire le tri entre ce qui relève de la réappropriation par les musulmans de leur identité culturelle/cultuelle et ce qui relève de la névrose et de la manipulation dans cette réappropriation. Oui, je questionne fortement cette sorte « d’extase islamique », ce fameux « complexe du Hamdoulilah (merci mon Dieu) », ce retour à l’islam par l’abstraction, parce qu’il fonctionne par anachronisme, parce qu’il consiste à penser que des solutions toutes prêtes existeraient dans le texte divin, qu’il y aurait un « vrai islam » qui détiendrait par avance les solutions détaillées pour chaque nouveau problème. Aucune méthode n’est envisagée pour examiner l’Histoire islamique, l’utilisation politique des textes de l’islam, les diverses formulations données, selon les temps et les lieux, à la théologie, etc. En sacralisant des productions humaines et sociales (féminisme, citoyenneté et j’en passe), ce type de déclaration contourne par le même mouvement la dimension « historique » des valeurs. Plus besoin d’étudier les différents maillons de la chaîne de transformation des sociétés – orientales et occidentales - puisque de toutes façons, l’islam aurait tout régenté.

Mais il y a aussi ces nombreux croyants qui réfléchissent à ce que le Coran peut leur apporter à partir de leur situation concrète pour articuler une nouvelle éthique religieuse au domaine de l’action sociale.

Ceux qui étudient la dynamique dans laquelle s’inscrit la Révélation - dont seule l’étude peut expliciter le message de l’islam- pour prendre en compte l’importance de l’interactivité des hommes avec leurs textes et montrer comment les normes émanent aussi de processus sociaux, politiques et historiques…

Ceux qui s’enrichissent des autres visions du monde et des sciences modernes pour affiner leur compréhension du message de l’islam…

Ceux enfin pour qui la possibilité de « se montrer musulman » a pu constituer la preuve qu’ils étaient « ici chez eux », mais qui se rendent compte du danger de se laisser réduire à leur facette religieuse, par certains pouvoirs publics qui les assignent à une problématique et à une place pré-définies  en les désignant comme ‘musulmans’!

Ceux qui refusent que l’« islamisation du lien social » devienne le prisme à partir duquel tout se comprend et se décide, et dispense les pouvoirs publics d’utiliser les procédures démocratiques de droit commun, de consultation, de concertation et de participation !

 

C’est justement la sécularisation qui apparaît fondamentale à travers toute cette recherche : socialisés dans une société plurielle, les musulmans de France font des expérimentations et introduisent le principe de vérification dans leur processus de construction identitaire. Le « faire » des hommes, « l’agir partagé », interrogent certaines interprétations et provoquent de nouvelles significations.

Alors ne serait-il possible, à l’aube de cette nouvelle année symbolique de 2005, de sortir des prêts à penser pour penser tous ensemble… La laïcité n’est pas une idéologie de combat contre les religions, ni le produit de circonstances historiques particulières,  mais une promesse universelle contre toute pensée arbitraire.





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