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Points de vue

Sur les pas d’Obama

Par Réda Didi*

Rédigé par Réda Didi | Lundi 26 Avril 2010 à 00:11

           


Réda Didi est président de Graines de France, premier cercle de réflexion à destination des quartiers populaires.
Réda Didi est président de Graines de France, premier cercle de réflexion à destination des quartiers populaires.
Rêve et pragmatisme ! Si je devais résumer mon voyage aux États-Unis, il tiendrait dans ces deux mots... Les États-Unis ont réussi ce mélange subtil qui leur permet d’avoir une mixité totale dans toutes les sphères d’influence et d’être la première puissance mondiale.

Pour ma part, j’ai vécu un rêve. Aller à la rencontre des Américains dans les pas du premier Président noir des États-Unis et tenter de comprendre comment un pays, qui était encore ségrégationniste il y a à peine cinquante ans, a réussi à élire un candidat issu d’une « minorité ». Quels ont été le parcours et les outils du candidat Obama ? Quelles différences existe-t-il entre nos deux pays pour que la France peine tant à mettre en œuvre la représentativité politique de ses minorités ? La situation en France est-elle comparable avec celle des États-Unis ? Dans quelle mesure ?

C’est avec l’ambition de répondre à toutes ces questions que j’ai embarqué pour Chicago le 17 février dernier, en compagnie de sept autres jeunes militants.

Le séjour − organisé par l’ambassade des États-Unis, à l’invitation de William Burns (directeur de campagne d’Obama) − a été intense. Formations autour du Community Organizing (l’art d’organiser sa base), du pouvoir, de la gestion de groupe, des qualités d’un leader... Le programme du séjour a permis d’aborder l’ensemble des pratiques politiques.

Le séjour a aussi été l’occasion de se confronter à la réalité du terrain. Lors de la formation, nous étions au cœur du South Side, un quartier pauvre de Chicago, exclusivement habité par la minorité noire. Ici, point de melting-pot comme on aurait pu s’y attendre dans le pays à l’origine du concept !

Anecdote révélatrice du climat de méfiance généré par cette forme de ségrégation : la méfiance des habitants à l’encontre des étrangers au « quartier ». Pour preuve, les encadrants étaient harnachés de pancartes sur lesquelles il était écrit : « Ne nous tirez pas dessus, nous sommes une organisation humanitaire. » Irréel ! En fait, c’est CeaseFire, une association née à Boston et qui milite pour l’arrêt des meurtres dans les quartiers, qui faisait une campagne contre les armes à feu avec Target Area. Nous-mêmes, nous portions tous des tee-shirts Target Area CeaseFire pour rendre visible cette campagne.

La différence entre les quartiers populaires américains et ceux que nous connaissons en France est saisissante. En France, il existe des quartiers populaires avec une forte concentration de minorités mais pas à la même échelle. Le South Side, quant à lui, s’étend sur des kilomètres. Comme l’a montré Loïc Wacquant, sociologue français qui exerce aux États-Unis à l’université de Californie, à Berkeley, la plupart de nos banlieues sont assez homogènes socialement, mais totalement hétérogènes ethniquement.

Aux côtés de responsables d’associations, d’ONG, de personnalités du monde politique et plus généralement de l’élite de Chicago, nous avons beaucoup échangé au cours de dîners, dans le cadre d’une atmosphère qui a laissé peu de place à la langue de bois. Nous avons pu débattre librement de la possibilité − ou de l’impossibilité (temporaire) − de transposer en France le « miracle Obama », de la situation générale de notre pays mais également des différences existant entre les deux modèles.

La France peut être fière du système social mis en place, de la mixité ethnique qui se manifeste notamment par le nombre des mariages mixtes. Elle peut également être fière de la renommée de ses illustres citoyens tels qu’Alexis de Tocqueville ou Albert Camus, dont les noms nous ont régulièrement été cités. Nous avons toutefois fait le constat malheureux que la République du mérite a du mal à s’imposer et que nos dirigeants manquent de pragmatisme et de courage en la matière. Ces échanges ont été extrêmement enrichissants et valorisants.

Enfin, nous avons achevé notre voyage par la visite d’une église, où nous avons pu assister à une représentation de gospel et à un prêche, mêlant religion, business et politique ! Impensable en France ; mais aux États-Unis, la religion est un moyen comme un autre de fédérer une base, même à des fins politiques.

Ce voyage m’a beaucoup appris. Si les outils politiques sont quasi les mêmes en France et aux États-Unis − des échanges existent depuis plus de quarante ans sur le sujet −, pour autant il existe aux États-Unis une énergie et un pragmatisme que nous ne connaissons pas ici. J’ai eu l’occasion de constater que dans la sphère politique, médiatique et dans le monde du travail en général, des gens de toutes origines se côtoient : beaucoup d’Afro-Américains, mais aussi des Latinos, des Asiatiques, etc., et ce à tous les niveaux.

En réalité, et pour des raisons historiques, c’est l’inverse de la France : une société encore largement ghettoïsée de fait, mais qui a introduit la mixité à tous les étages des institutions publiques ou privées, même à des postes stratégiques. Là-bas, ce qui compte, c’est ce que chacun peut apporter au groupe, peu importent le milieu social, la couleur, le sexe ou l’appartenance à tel ou tel réseau. Et surtout, les Américains ont encore des rêves, et c’est certainement ce qui leur a permis de porter Barack Obama au pouvoir.

Depuis une dizaine d’années, je milite et œuvre pour une meilleure reconnaissance du mérite et le renouvellement de l’élite de notre pays. Mon action s’est concrétisée par la création d’un cercle de réflexion, Graines de France, spécialisé dans les thématiques liées aux quartiers populaires, dont le but est de centraliser la réflexion des chercheurs et d’élaborer des outils d’analyse, à travers l’organisation de colloques, la rédaction d’ouvrages, etc.

C’est d’ailleurs alors que j’intervenais dans le cadre d’un colloque en tant que président de Graines de France que j’ai rencontré William Burns, directeur de campagne de Barack Obama lors des élections sénatoriales. Nos échanges se sont vite intensifiés et approfondis, et j’ai eu la chance d’être invité à participer à ce voyage initiatique sur les traces du Président Obama, qui devait me permettre de comparer les pratiques politiques françaises et américaines.

Depuis mon retour, je tente de mettre en application ce que j’ai appris, grâce à diverses actions menées dans le cadre de Graines de France.


* Réda Didi est président de Graines de France, premier cercle de réflexion à destination des quartiers populaires.







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