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Culture & Médias

Sézame, les clés pour lire le fait musulman

Un nouveau magazine franco-maghrébin

Rédigé par Amara BAMBA | Jeudi 5 Janvier 2006 à 09:34

           

Après le support internet, Sézame adopte la forme magazine. Le premier numéro est paru depuis la mi-décembre 2005. Dirigée par Hakim el-Ghissassi, la nouvelle publication est présentée comme une revue franco-maghrébine d'actualités qui s'intéresse à l'espace euro-méditérannéen.



Le fruit d'une longue expérience


Hakim el-Ghissassi, directeur de publication de Sézame, lance ce magazine après l'expérience de la La Médina. De 1998 à 2003, La Médina fut le seul magazine culturel français de grande diffusion spécialisé sur le fait musulman. Pour aborder des questions spécifiquement religieuses, l'équipe de La Médiana lança la revue Islam. Les deux publications ont cessé de paraître suite à des difficultés financières. La passion de M. El-Ghissassi pour le journalisme a survécu à l'épreuve. Car l'attente du public est réelle.

Sézame tente de coller à cette réalité. Ce nouveau magazine a emprunté à La Médina la qualité de ses illustrations en réorientant ses thèmes. Désormais, l'actualité politique française se dispute la première place avec l'actualité sociale marocaine. La question religieuse demeure en toile de fond. Lorsqu'elle est abordée, elle est traitée en profondeur.
Le dossier principal du premier numéro est consacré à « l'islam marocain ». Des entretiens d'acteurs de terrain complètent quelques reportages et analyses qui mènent le lecteur au coeur des mutations de la société marocaine dans son rapport au fait religieux. Un autre dossier d'enquêtes porte sur l'onde de revolte qui a enflammé les zones populaires des grandes villes françaises en cette fin d'année 2005. Sézame analyse les raisons de cette « colère » à partir d'exemples dont ceux de Bobigny (93) et de Grigny (91).

Le magazine tente de faire le lien entre les deux bords de la Méditerannée. Une série d'articles très ciblés traite de la question de la retraite des immigrés en France. L'exemple de l'émigration marocaine permet de tirer la sonnette d'alarme sur la situation générale des immigrés du Maghreb retraités en France. Sous le titre « immigrés, comment bien vieillir » un mini dossier cerne une question d'avenir qui mérite, à elle seule, un gros dossier.

Le défi d'un journal musulman en France


Le concept de Sézame est une nouvelle tentative d'approche médiatique du fait musulman en France. Les exemples du genre ne manquent pas. Mais les échecs sont nombreux. La disparition de La Médina et Islam n'est pas un cas isolé.
Le magazine féminin Hawwa-Magazine remis à flots en juillet 2004 en publiant son cinquième numéro après deux années de silence. Mais depuis... rien à l'horizon. L'équipe dirigée par Dora Mabrouk n'a pas pour autant perdu son enthousiasme. Elle espère toujours pouvoir convaincre des partenaires financiers autour de son projet qui ne manque pourtant pas de public.

Le schéma fut le même pour Réflexions, un tabloïd d'information lancé par le groupe Saphir-Médiation. Riche de l'expérience de son site Internet en croissance continue, l'équipe de Saphir-Médiation a lancé Réflexions-Reflets de l'islam en France. Le journal a tenu quatre numéros avant de toucher aux limites du bénévolat en se heurtant à la question du financement. La demande du public est réelle, Saphir-Médiation n'a pas encore refermé le dossier. Mais sans partenaires financiers, l'initiative semble bloquée.

Quant au magazine Colombus, orienté vers la jeunesse et la famille, il avait pris un excellent départ. En plus de la forte demande du jeune public musulman de France, d'un concept très porteur, le magazine bénéficiait du professionnalisme de son directeur de publication, Habib Affès, spécialiste de l'éducation islamique, auteur d'une méthode complète d'apprentissage de la langue arabe et à la tête d'une respectable maison d'édition orientée jeunesse (éditions jeunesse sans frontières). Mais Colombus aussi a cessé de paraître à partir du quatrième numéro.
Dans ce cimétière des journaux, on peut désormais dresser une stèle à Actualis, un magazine lancé par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF). Le concept était loin d'être classique, mais il suivait une ligne bien travaillée. L'accueil du public fut plutôt satisfaisant, le contenu en valait la peine. De plus, avec le soutien de l'UOIF, la question du financement ne devait plus poser problème. Mais le dernier numéro d'Actualis date de décembre 2004.

Une source d'islamophobie


Ces quelques exemples et bien d'autres encore permettent d'apprécier la mesure du courage (ou de la passion) de M. El-Ghissassi qui dirige la publication de Sézame. En observateur privilégié du fait musulman en France, depuis une vingtaine d'années, Hakim el-Ghissassi a certainement conscience du besoin d'un grand journal en français qui soit spécialisé sur le sujet. Ce besoin est une conséquence naturelle de l'évolution de la présence musulmane en France: aujourd'hui, la musulmane et le musulman de France savent lire. Leur expression sociopolitique ne peut pas forcément s'insérer dans le schéma classique droite/gauche. Comme tout produit de notre système éducatif, ils ont droit au plaisir de feuilleter un magazine, sans risquer de tomber sur un titre, ou une illustration qui les agresse dans leur sensibilité religieuse ou le heurte dans leur sentiment d'appartenance à la communauté nationale.

Dans la situation actuelle, hormis quelques journaux en ligne, aucun journal français n'a vocation à traiter du fait musulman. Par contre tous les journaux français se tiennent prêts à donner du fait musulman dans des situations exceptionnelles. Rien de plus normal. Néanmoins cela confine le lecteur musulman dans une posture de frustraction qui frise parfois la paranoïa. Car à force de lire des articles sur le fait musulman, sans rapport avec son vécu, il en arrive à soupçonner des intentions malhonnêtes, « le complot islamophobe », derrière toute critique de l'islam, y compris les erreurs d'appréciation les plus usuelles de certains confrères non musulmans.

Un tel sentiment devient possible parce qu'en dehors des « moments explosifs » « d'actualité brûlante », le fait musulman bénéficie d'un strapontin dans le train de la presse nationale. Cette semaine par exemple, l'avènement du mois de Dhul-Hijja, le début du Hajj, le pélerinage aux lieux saints de l'islam sont des sujets quasiment absents de nos journaux. Ils le resteront jusqu'à ce qu'une catastrophe vienne les propulser à la une. Ce qu'aucun musulman ne souhaite.

Le lecteur français qui s'en remet aux médias, ne peut connaître que les aspects spectaculaires et conflictuels du fait musulman. Cette ignorance biaise son rapport à ses concitoyens musulmans. On y trouve les germes d'une islamophobie souvent naïve, fondée sur des « vérités médiatiques ». Seul un journal spécialisé peut éviter cette dérive à laquelle la société française se conforme depuis de longues années. « Si je n'avais pas été musulmane, je crois que je serais islamophobe : il n'y a qu'à lire la presse tous les jours» déclarait Hayette, étudiante de 21 ans, lors d'un entretien accordé à Saphirnews.

L'équipe de Sézame arrive donc pour combler un vide. Les nombreux cas d'échec ont cependant miné le terrain en décevant les partenaires économiques susceptibles de soutenir un tel projet; faisant du lancement de ce journal un défi. Le relever demande du courage. Sézame prend le parti de le faire. Le prochain numéro est annoncé pour la mi-janvier 2006. Le premier numéro est toujours disponible sur le site Internet de la revue.





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