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Arts & Scènes

« Que viennent les barbares » : le théâtre politique et poétique de Myriam Marzouki

Rédigé par Huê Trinh Nguyen | Jeudi 21 Mars 2019 à 12:00

           

La France a été terre d’accueil pour James Baldwin, à l’heure où sévissait encore la ségrégation aux États-Unis. Elle se dit pays des droits de l’homme. Mais elle n’est pas exempte de traumatismes mal digérés qui fabriquent des citoyens de seconde zone. La pièce de Myriam Marzouki « Que viennent les barbares » nous plonge dans un télescopage historique et sociologique pour déconstruire les pensées mythiques fondant le racisme ordinaire d’aujourd’hui.



« Que viennent les barbares », de Myriam Marzouki. © Christophe Raynaud de Lage
« Que viennent les barbares », de Myriam Marzouki. © Christophe Raynaud de Lage
Bienvenue à l’Office national français et universel de l’intégration totale (ONFUIT). L’acronyme n’est pas anodin. Il fait explicitement référence aux multiples avatars de l’actuel OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), synonyme de parcours kafkaïen pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Et il plante le décor de l’une des scènes de « Que viennent les barbares ».

Succédant à « Ce qui nous regarde », qui traitait du voile des femmes musulmanes, cette pièce de théâtre, de Myriam Marzouki, aborde cette fois-ci la question de la citoyenneté. Qu’est-ce qu’être Français et qu’est-ce que « faire France », quand ses habitants ne sont pas tous « Blancs » ?

Ne craignant pas de télescoper les époques historiques et de rendre les anachronismes pertinents, la metteure en scène fait se rencontrer sur un même plateau la Prix Nobel de littérature Toni Morrison, l’écrivain et militant James Baldwin (1924-1987), le poète Jean Sénac (1926-1973) chantre de l’indépendance algérienne, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009), le révolutionnaire et premier député français noir Jean-Baptiste Belley (1747-1805).

« Que viennent les barbares », de Myriam Marzouki. © Christophe Raynaud de Lage
« Que viennent les barbares », de Myriam Marzouki. © Christophe Raynaud de Lage

Un théâtre à la fois politique et poétique

Dans un tourbillon de tirades et de références historiques, l’on plonge dans les entrechocs imaginaires et les contradictions de notre pays. Cette France, qui se veut « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », assurant l’égalité de tous les citoyens « sans distinction d’origine, de race ou de religion » (art. premier de la Constitution), comme le clame à l’envi la préposée administrative au guichet de l’ONFUIT.

Belley, vêtu de sa longue veste brocardée et de son jabot blanc du XVIIIe siècle, vient pointer à l’ONFUIT dans une ambiance digne des années 1970. Celui à qui l’on demande une masse de justificatifs pour prouver son identité ne manque pas de rappeler qu’il ne jouit que d’une seule plaque à son nom [place Jean-Baptiste Belley, inaugurée en 2017 dans la ville de Pantin, ndlr], alors que Napoléon, fêté comme un héros national, fut celui qui rétablit l’esclavage en 1802, pourtant aboli huit ans plus tôt.

Mêlant personnages historiques et personnages de fiction, Myriam Merzouki propose un théâtre à la fois politique et poétique, qui vise à déconstruire les mythes et les fantasmes qui font de l’Autre d’éternels « barbares » et « primitifs ». Mais n’est-ce pas au fond de nous qu’il nous faut détruire cette once de barbarie et d’instincts primaires pour mettre à bas xénophobie, racisme et identitarisme ?

« Que viennent les barbares », de Myriam Marzouki

Tournée 2019 :

Jusqu’au 23 mars, MC93, à Bobigny.

26-29 mars, La Comédie de Reims.

4 avril, La Passerelle, Saint-Brieuc.

9-11 avril, MC2, Grenoble.

23-26 avril, La Comédie de Béthune.

27-29 mai, Théâtre Dijon-Bourgogne.





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