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Points de vue

« Non, je ne suis pas Charlie » : lettre ouverte au peuple français

Rédigé par Nina S. | Vendredi 16 Janvier 2015 à 06:05

           


Depuis le 7 janvier 2015, des représentants autoproclamés de la communauté musulmane en France ainsi que des individus voulant lui inculquer la manière de penser la plus adéquate en ces jours de deuil se sont exprimés en mon nom. À tous ceux-là je dis : « Not in my name. » En vain, les discours continuent de fleurir pour faner aussitôt qu’on en saisit le sens. Alors, fatiguée d’être assimilée aux mots des autres dans lesquels je ne me reconnais pas, je prends la plume.

Née dans le Sud-Ouest de la France il y a de cela 25 ans, je suis un pur produit de l’enseignement laïc et républicain ainsi que des belles-lettres de la pensée française. Pourtant, je n’ai pas pris part au rassemblement national du dimanche 11 janvier.

Récapitulons : 17 morts dans plusieurs attaques, dont 12 contre Charlie Hebdo. Qui pourrait ne rien ressentir et ne pas éprouver de tristesse pour les familles des victimes ? Personne de sensé, nous sommes d’accord. Mais ce drame ne justifie pas tout et son contraire. Je ne m’aventurerai pas ici dans la comparaison de cet événement aux drames internationaux, je ne me permettrais pas de relativiser la souffrance ressentie par des familles aujourd’hui endeuillées.

Je me contenterai simplement de décrire les raisons de l’indignation qui m’anime en tant que jeune femme française de confession musulmane se sentant insultée par les voix scandalisées d’une nation qui ne comprend pas sa position.

Voilà plusieurs jours que le journalisme français est en deuil. Je suis triste pour l’humain, mais je n’accepte pas que l’on porte les idées des défunts journalistes comme un étendard universel qui, s’il n’est pas soutenu par mes mains, me range dans le « camp » des « mauvais ».

L’idée du journalisme que se fait Charlie Hebdo ne me correspond pas, et je suis ravie de vous apprendre que cela ne fait pas de moi une extrémiste, contrairement à ce que les médias laissent croire. L’Homme a la mémoire courte et a oublié que, depuis des années, le journalisme est à l’agonie. Le métier se meurt parce que l’émotion a remplacé l’information, le sensationnel a surpassé le véridique. La vérité ne paie pas, la justesse non plus. Il faut du choc : on réclame de l’extrême, que ce soit dans les larmes ou dans le rire.

Qui prend aujourd’hui du recul quand, face à son écran ou à son journal, des images choquantes et des phrases terrifiantes tournent en boucle ? Quand la vulgarité s’érige comme maîtresse absolue de tout humour qui veut être médiatisé ? Qui prend le temps d’en prendre, du temps, et de refroidir son cœur pour mettre son esprit critique en marche ? Au nom de ce dernier, je clame haut et fort ce message : « Non, je ne suis pas et je ne serai jamais Charlie. »

Française, je suis musulmane et ouverte – n’en déplaise aux sceptiques – au débat, aux échanges et à l’Autre, quel qu’il soit. Je n’ai pas pour vocation d’imposer une religion à quiconque. Au nom de ces valeurs qui sont miennes, je n’accepte pas qu’un être humain puisse mourir pour ses idées, pour un dessin ou pour un avis divergent sur notre sol. Mais je ne mélange pas mon humanisme avec ce que je considère comme une hypocrite mascarade autour de la liberté d’expression.

En effet, les valeurs incarnées et diffusées par ce journal ne seront jamais, à mon sens, représentatives d’une liberté d’expression digne d’une France qui respecte ses concitoyens. L’unité nationale, d’accord, mais alors il faudra d’abord se mettre d’accord sur la notion si controversée du vivre-ensemble.

Je suis profondément française, et réellement choquée par un acte dément qui a fait du mal à toute la nation. Mais d’aucuns prétendent que devenir Charlie est nécessaire, que dis-je, OBLIGATOIRE pour diffuser une image positive et défendre l’islam, ou du moins pour se défendre d’appartenir à une pensée terroriste et sanguinaire. Je ris à ces arguments creux.

Donner une image positive doit se faire en total accord avec soi, au quotidien, dans les actes les plus simples. Pas dans la défense d’idées prônées qui ne seront jamais miennes. Et je n’ai pas à me défendre d’appartenir à quoi que ce soit, si les gens sont assez limités intellectuellement pour faire des amalgames, qu’ils les fassent. Aussi, si défiler à la marche républicaine revient à dire que je cautionne l’irrespect qui m’a été fait il y a de cela huit années, alors c’est un argument de plus sur ma balance. Je ne le cautionne pas, mais je ne cautionne pas non plus l’événement du 7 janvier 2015. Si les gens ne savent pas faire cette différence, comme triste est la France.

Ma position ferme se nourrit aussi du respect que je porte à mes amis chrétiens, aux femmes – parce que les caricaturistes y allaient d’un bon coup de crayon misogyne, n’en déplaise à leur amie Caroline Fourest – ainsi qu’à toutes les personnes ayant été insultées par ces dessins, bien que je ne sois pas pour leur interdiction, mais pour la considération de la sensibilité du récepteur.

Cette marche n’a rien à voir avec la pure défense de la liberté d’expression, et quand bien même elle ne serait destinée qu’à ça, l’amalgame médiatique, et donc populaire, sera vite fait entre la liberté d’expression et l’acceptation de caricatures irrespectueuses et d’une ligne éditoriale immorale. Je ne donne pas mon aval en défilant pour le droit de blesser autrui. Il ne faut pas interdire la liberté de dire, écrire, dessiner mais, malheureusement, la décence et l’empathie n’existent plus de nos jours, les limites ne sont plus vues comme du respect mais comme un carcan.

À ceux qui s’empresseraient de sauter sur l’occasion de me contredire, il va sans dire que je condamne tout autre acteur social de la même manière : non, on ne rit pas de tout. Alors je refuse de faire partie d’un mouvement qui, au nom d’une pseudo-liberté, scandera que tout peut être bafoué. Au-delà des caricatures touchant l’islam, la liberté s’arrête où commence le mal fait aux autres. Au-delà même des religions, c’est ici d’humanité dont il est question.

Caricaturer des femmes qui vivent une horreur et en rire, ça ne se fait pas. À Charlie Hebdo, je dirai donc : « Pas en mon nom. » À ceux qui trouveront ma pensée simpliste et quelque peu naïve je répondrai : « Si je caricaturais l’assassinat et l’agonie sanglante de Charb et de ses compères au nom de la liberté d’expression et du droit de rire de tout, je n’ose même pas imaginer quelle serait ma sentence sur la place publique. » Tiens, l’humour aurait donc des limites ? Qui les fixe si ce n’est le tort qui est fait à la personne qui est heurtée par le message diffusé ?

Je me fiche de savoir que la satire est une tradition française, le respect, lui, est censé être universel et une marque de « civilisation »… Ces rassemblements pour Charlie Hebdo portent donc des idéaux que je ne partage pas. De plus, ils ne sont pas juste une manière de crier son refus du terrorisme mais sont une acceptation du mépris social pour tout ce qui relève du Divin – qui est, selon moi, une atteinte à la liberté de culte – en accordant une légitimité morale aux caricatures.

Charlie Hebdo n’a jamais été le symbole de la liberté d’expression en France. Et je refuse d’être de ceux qui l’aideront à s’ériger en héros, martyr de cette liberté. Je garde en tête que celui qui pense que ma présence à ces rassemblements de soutien à Charlie Hebdo est indispensable à ma bonne conception de cette notion pense mal, parce qu’il me demande de prouver mon patriotisme mais aussi que ma religion n’est pas « ça ». Mais qu’ils le veuillent ou non, je n’ai pas à entrer dans leur rang pour être à ma place. Alors non, je ne suis pas Charlie.

Je suis musulmane et française, je n’ai à m’excuser ni à me désolidariser de rien. Je ne représente personne d’autre que moi-même. Pourquoi, du jour au lendemain, devrais-je me sentir obligée de porter la responsabilité et les conséquences d’un acte qui n’est lié à moi ni de près ni de loin ? C’est ce qui m’est pourtant demandé, explicitement ou non, lorsqu’il est demandé aux musulmans de France de défiler et d’être Charlie pour « contrer les actes meurtriers ».

Cet argument est insensé, et les mots de Tareq Oubrou l’alimentent. « Le silence des musulmans est mal compris par la société française. Vous ne pouvez pas vous taire, sinon on vous verra comme des complices. Vous n’avez pas le droit de vous taire », se permet-il de nous dire. À cet homme m’intimant l’ordre de parler la langue du politiquement correct, je répondrai qu’il est grand temps pour la société, mais surtout pour les musulmans eux-mêmes, d’accepter que nous sommes français, que nous aimons notre pays et que nous n’avons rien à prouver à personne.

Le jour où l’autoculpabilisation et le complexe du colonisé immigré auront disparu de nos rangs, les choses évolueront sans doute. Pour l’heure, ma pensée respectueuse de tous et anti
terroriste, je la défends tous les jours à ma manière et sans me trahir. Je refuse de participer d’une manipulation émotionnelle qui, même si je ne la cerne pas encore précisément, nous enserre déjà bien fort.

La surmédiatisation et l’exposition d’idées séparant les Français musulmans de la société française elle-même sont dangereuses. Elles sous-tendent qu’ils sont, du fait de leur croyance, une catégorie distincte ne faisant pas partie du Tout républicain.

Aussi, à tous ceux qui pensent que j’ai tort de penser que demander aux musulmans de France de s’élever contre ce crime au nom de ce qu’ils « représentent » est anormal, je dis : vous refusez le communautarisme en France, mais en agissant de la sorte vous tombez dans son piège le plus grand, l’exclusion par stigmatisation.

Sachez que l’individu le plus sage est celui qui parvient à garder son calme au cœur de la tempête et de l’orage nocturnes. Il sera le seul à réussir à reprendre la route vers le refuge lumineux et parviendra à ramener l’accalmie. Soyons donc celui-là…

*****
Nina S., française d’expression libre





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par christian coste le 16/01/2015 08:46 | Alerter
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Bonjour, J’étais au PS !
Je connais beaucoup de choses sur les secrets du PS ! Ces vrais objectifs jamais dévoilés !
Vous perdez votre temps à discuter sur leurs faux sujets !(Ils ricannent)
Autant discuter avec le Diable en personne !
Heureusement j’ai trouvé la foi !Je parle de cela avec mon voisin Abdel
Cordialement Je suis overt à toutes discussion !
Christian Coste

2.Posté par Guern le 16/01/2015 11:41 | Alerter
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J'ai lu votre profession de foi avec intérêt, mais il me semble qu'il y a quelque chose que vous n'avez pas compris ou que vous faites semblant de ne pas comprendre... La liberté d'expression, c'est le droit de dire (ou de dessiner) ce que l'on pense. Tout le monde a le droit de critiquer Charlie-Hebdo (et ne s'en prive pas !). Mais personne n'est obligé de l'acheter et de le lire. Si vous n'aimez pas, vous ne regardez pas, il me semble que c'est assez simple comme concept. Et personne ne s'est présenté chez vous avec une kalachnikov pour vous obliger à aller manifester pour Charlie, ni même pour vous tuer parce que vous êtes musulmane, française, humoriste, juive, etc.(parce que les assassins de Charlie tuent aussi les musulmans !). Je lis Charlie depuis des années, avant même qu'il ne s'appelle Charlie et je suis aussi féministe. Cherchez l'erreur ! Il faut un minimum de subtilité pour comprendre l'humour : ne pas prendre tout au pied de la lettre et je crains que c'est bien cela que vous faites...
P.S. : je suis tombée sur votre blog par Google en cherchant "humour musulman"...J'ai surtout trouvé de l'humour qui se moque des musulmans (surtout la burqa).

3.Posté par Anita le 16/01/2015 19:58 | Alerter
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Je partage votre point de vue Nina ; je ne veux pas moi non plus être transformée en mouton de Panurge par l'émotion du moment. Je redoute le formatage des jeunes esprits à l'école entre autres... Votre jeunesse et votre intelligence me donne l'espoir d'un avenir possible dans ce pays malgré tous les obstacles qui se dressent sur le chemin.
Anita - 60 ans

4.Posté par SALIM le 17/01/2015 11:20 | Alerter
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assalam 3alaykom wa rahmatoullah wa barakatouh

Je tiens a feliciter notre sœur NINA pour ce courageux article qui dépeint la souffrance qui est la notre en ces périodes de fitna.

Notre seul exemple est le prophète MOHAMMAD salla allah 3alayhi wa salam et non pas ce mahomet qu'ils ont inventé de toute pièces en croyant lui nuire.

Mais je veux souligner à ces ignorants qu'ALLAH jalla wa 3ala lui même s'est engager à protéger son Prophète en dépit de la Haine que peuvent en avoir les incrédules.

Lorsque le prophète subissait une agression de la part de ses ennemis qui, du reste n'épargnaient aucun moyen pour lui nuire, il réagissait en toute miséricorde et avec bonté et patience.
Ce qu'il nous manque c'est la patience justement.

Qu'Allah nous accorde la patience inchallah

5.Posté par jeanloup le 17/01/2015 15:03 | Alerter
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je suis catho, et je partage ce que dit NINA S.

la liberté de chacun s'arrete ou commence celle d'autrui.non, non, moi aussi je ne suis pas charlie.

Mais, mais le monde musulman a un gros effort général à faire et à s' harmoniser et à ne pas tuer; et incendier des eglises à chasser les populations chretiennes dans tous les pays. la paix commence par là aussi...
et c'est surtout l'AMOUR voulu par le tout puissant envers tous les hommes; à méditer par vous freres musulmans,oui ,vu que nous croyons au meme DIEU

6.Posté par sarah le 17/01/2015 17:17 | Alerter
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bravo et merci pour cet article

7.Posté par aymen le 18/01/2015 00:12 | Alerter
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Il est fatigant, en effet, de voir beaucoup de responsables de mosquées parler en nos noms et s'associer à au mouvement "Je suis Charlie".
Les musulmans, tout comme les non musulmans d'ailleurs, ne sont pas dupe et comprennent qu'il s'agit d'une position éminemment politique.

http://jenesuispascharlie.over-blog.com/2015/01/charlie-hebdo-journal-satirique-au-service-d-une-ideologie.html

8.Posté par Marie le 18/01/2015 12:27 | Alerter
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Nina,

Votre réflexion est remarquable de profondeur, plus qu'une réflexion, c'est une analyse.
Tant de français ou belges ou citoyens de la terre ne" se sentent pas" Charlie aujourd'hui.

Les médias nous imposent aujourd'hui cette pensée unique. Ils rabâchent. Ils font juste la même chose que ce ce qu'ils condamnent.

La liberté d'expression: oui, lorsqu'elle apporte quelque chose au monde, qu'elle oeuvre au bien commun (avez-vous lu les mots du Pape François lors de la conférence de presse dans l'avion qui le menait aux Philippines ?).

Ceci n'enlève rien à l'effroi que nous avons tous ressenti.

Très cordialement.

9.Posté par Mehdiz le 18/01/2015 15:37 | Alerter
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slm,
Article fleuve où l'on lit les états d'âmes de l'auteur. Et moi ceci, et moi cela : que de mots pour pas grand chose. Un peu de concision chère Nina S., vous y gagnerez en clarté !

10.Posté par paris le 27/04/2015 21:30 | Alerter
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Pour compléter l 'article , un texte illustrant les dégâts occasionnés par le " je suis Charlie" chez des musulmans d ' Afrique noire :


http://www.les-crises.fr/charlie-et-lafrique-temoignage-dun-general-francais-de-retour-du-mali/
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