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Points de vue

Maîtriser la langue pour mieux vivre ensemble

Rédigé par Youssef Chems | Vendredi 6 Avril 2007 à 14:38

           

L’Académie Française annonce 10 000 mots dans son dictionnaire étalon. Un bourgeois assez cultivé en utilise plus de la moitié. A un citoyen basique, 4 000 suffisent tandis qu'un « jeune de banlieue » n’en connaît que 500 (sms compris). Le frein de l’intégration est là. La fausse culture des cités entretenue par ceux qui ne veulent pas d’assimilation appauvrit la connaissance du français et par la création d’une nouvelle langue enferme toutes ces forces de vie dans un définitif ghetto, celui de l’exclusion.



Maîtriser la langue pour mieux vivre ensemble
Cet argot affaibli et sans relief passe pour être la « langue de l’âme », intellectuels et médias s’extasient sur rap, hip hop, tag, slam… mais ils ne vivent pas dans les cités de Montfermeil ou de La Courneuve eux. Ils fréquentent Lipp et Flore et écoutent cette musique et ces paroles des banlieues comme des ethnologues qui enregistreraient le chant des baleines ou les musiques sacrées hottentotes.

Le culte de l'inculture

L’insécurité linguistique détermine le destin social de nos enfants. Nos filles et nos fils sont tout aussi compétents et avides de savoir que tous les autres adolescents. Ils veulent apprendre encore et encore, ils savent tous que l’école est le seul vecteur de progrès social et d’installation dans une vie que nous nous devons de leur offrir. Alors, que doit on faire ? Vers qui se tourner ? Qui va nous écouter ? Avant tout et surtout les profs, les maîtres d’écoles, ceux qui dès le premier âge nous encadrent affectueusement et nous offrent avec tout leur cœur le partage d’une culture, celle de la France. Encore faut-il qu’un haut niveau de l’enseignement de la lecture et de la parole soit enfin imposé à ceux qui sont autorisés à enseigner.

Un citoyen sans réelle faculté linguistique n’aura jamais la distance nécessaire à l’analyse pour entamer sa propre réflexion. Il deviendra à coup sûr plus perméable aux textes et aux discours sectaires et intégristes, qui le séduiront avec des réponses simples. Les exégèses basiques et arbitraires lui suffiront et le nourriront d’une vision manichéenne et dichotomique du monde. Cette simplicité machiavélique lui donnera l’impression de transcender les frustrations du quotidien et par excès de crédulité, toute vigilance et résistance personnelle annihilées, il se mettra de lui-même en situation d’exclusion, croyant simplement avoir tout compris.

Les as du marketing l’ont bien assimilé en faisant une cible facile et complaisante de ces balbutiants adolescents aux jeans trop larges et aux casquettes tordues. Ils sont désormais des produits, des objectifs et surtout des part de marché pour les majors des grandes compagnies de disques ou les circuits de fast-food. Les voila consommés, avalés et programmés, sans qu’ils ne s’en rendent compte une seule seconde. Bravo l’artiste… Un sous-prolétariat se crée ainsi, discrètement. Laissons-les donc s’amuser avec leur culture « si pleine d’âme », faisons couler les dollars sur quelques uns d’entre eux bien représentatifs et surtout serviles sur les marches des tribunes électorales. Pendant ce temps-là, ils n’entreront pas dans notre culture bien à l’écart sur un terrain de chasse très privé.

Illettrisme en France

Cette année les Centres de la Journée d’appel à la Défense ont constaté l’illettrisme total de plus de 50 000 jeunes de moins de vingt ans. Par ailleurs, l’Association de Formation Professionnelle des Adultes a reçu 200 000 personnes et notant que plus de 150 000 d’entre elles n’avaient même pas le savoir de base indispensable à une formation les a rejetés dans la précarité et la mise à l’écart.

Autre terrible constat, plus de 60 000 adolescents illettrés sortent chaque année du système scolaire. Ils témoignent d’un handicap définitif social et professionnel. Un jeune sur dix comprend mal un texte simple et court, il ne déchiffre pas le moindre document administratif, ne sait pas lire un mode d’emploi et pas davantage un plan ou une consigne de sécurité. Imaginez la suite ! 20 % d’entre eux lisent mal et écrivent plus mal encore. Ils iront jusqu’au bout de leurs obligations, ne tireront aucun bénéfice de leurs études et seront laminés par un secondaire où ils n’ont été intégrés que par bienveillance. Pour eux, le bac est une chimère qui ne garantit plus rien et ils seront alors enfournés dans des modules d’apprentissage plus ou moins techniques... no future. Beaucoup d'entre eux resteront dans l’échec, toute une vie.

L’école se retrouve alors devant une nécessité, prouver sa propre légitimité. Elle ne correspond plus vraiment aux attentes et doit faire sa révolution, changer de peau et redevenir compatible avec cette nouvelle génération issue des ex-colonies, fils ou petits fils de l’enseignement du Maghreb, d’Afrique ou plus loin encore. Comment être fier d’un tel fiasco lorsqu’on a régné si longtemps et qu’on reçoit aujourd’hui des cargos entiers d’analphabètes. Qu'a-t-on fait pendant 130 ans en Algérie par exemple ? Quelques promotions de normaliens ont fonctionné avec courage et dévouement. Mais loin d’être suffisantes, elles ont laissé sur le carreau des villages entiers de montagnards kabyles et oublié dans les arrières cours des douces propriétés de la Mitidja des norias de petites filles maintenant retournées à l’analphabétisme le plus sordide.

Il faut sauver Fatma, Mouloud, Paco et Zoran

On ne peut se préoccuper que d’élégance, de style ou de normes. L’urgence est ailleurs, il faut donner à chaque citoyen les moyens de transmettre aux autres sa pensée, d’une façon juste. Il faut qu’il sache s’ouvrir à l’autre avec compréhension. Et ainsi parviendra-t-on, peut-être, à rompre l’infernale poussée des violences. Alors enseignons-leur tous le langage du monde afin qu’ils n’en arrivent jamais à l'inconcevable et se souviennent toujours que « lorsque l’on n’a plus de mots, alors les coups arrivent… ».

Lutter contre l’illettrisme en particulier est déterminant pour éviter la marginalisation sociale. La qualité médiocre des travailleurs de certains secteurs (bâtiments, hôtellerie, métallurgie…) ne leur permet pas de s’adapter au changement pour améliorer leur salaire. Ils sont le plus souvent incapables de suivre un stage de formation continue et les employeurs le savent bien lorsque leurs restructurations dressent les listes de licenciements secs. Ce sont eux les premiers sur le pavé, toujours.

Des réformes dures et pérennes sont indispensables. Des associations relaient avec courage les faiblesses des administrations responsables. Des écoles comme l’IESH de Paris ont depuis longtemps inscrit dans leur cursus des cours de français mais aussi de civilisation et d’expression écrite et orale, voire même depuis octobre dernier des initiations à l’instruction civique. Elle sait que ses futurs imams devront maîtriser la langue et la culture française. Elle sait encore que sans cela les intégrismes les plus sournois s’infiltreront et terniront l’image de notre Islam tolérant et de notre Foi respectueuse des beaux enseignements des fidèles compagnons de Médine. Elle fait donc du « tutorat » avant l’heure et forme ainsi jeunes gens et jeunes filles dans la maîtrise des connaissances de base, théologiques bien sûr mais aussi essentielles à une belle intégration, ou plutôt à une assimilation méritée parce que voulue.

Téléculture et désaffection de l’intellect

L’abêtissement culturel général se constate chaque jour davantage. Le premier ennemi de l’école reste la télévision, pas tant celui de la pornographie ou de la violence, qu’il est simple de brider, mais celui plus insidieux du « formatage » de l’intelligence qui dissuade nos enfants de toute analyse et de tout effort de découverte. Tout est conçu pour digérer l’information à leur place.

L’imaginaire est écrasé, l’on anticipe ses jugements, l’on dissèque les quelques rares réflexions intelligentes par crainte qu’ils ne passent à côté. L’effort d’apprendre est amputé et finalement rien ne s’imprime dans leurs neurones. Trop facile, on zappe et on passe à autre chose. De l’eau tiède rien d’autre.


Pacte de résistance

Bien des enfants arrivent à l’école avec une langue orale fort éloignée de celle qu’ils vont rencontrer pendant leur apprentissage de la lecture et de l’écriture. Ils parlent souvent même une langue étrangère et les difficultés vont être considérables. Vont-ils parvenir à les surmonter ? Il sera nécessaire aux enseignants d’inventer une pédagogie qui ferait passerelle entre la culture scolaire et familiale.

Résister c’est tout faire pour que les deux traditions ne s’opposent jamais, mais au contraire se complètent pour s’enrichir mutuellement. Voilà toute la synergie positive des métissages issus directement des Droits de l’Homme. A bon entendeur, salut.

L’école doit prendre conscience de la famille, s’appuyer sur elle, en faire son alliée. Les parents doivent rencontrer les enseignants les yeux dans les yeux, expliquer à ces derniers comment l’on vit à la maison, comment il est parfois délicat de mêler les deux mondes. Alors seulement les avancées d’une bonne compréhension s’installeront et permettront sans problème des cohabitations encore trop souvent aléatoires et utopiques. Quand on a moins de vocabulaire, on s’exprime avec moins de mots et on a plus de difficultés à lire et, bien évidemment, à communiquer. Les lexiques de chacun correspondent trop souvent à de vrais drames sociaux déclinés dans les ghettos scolaires des banlieues les plus pauvres. Le langage des cités se fabrique là alors que les enfants sont tout aussi intelligents qu’ailleurs. (Il suffit de voir la réussite magnifique des étudiants de Sciences-Po Paris, arrachés aux ZEP par la volonté envers et contre tous d’un directeur à moitié suisse, une leçon. H.E.C suit et encourage aussi ces nouveaux arrivants).

Dans les pédagogies modernes on joue trop avec l’enfant. L’école a perdu son sens de l’autorité et de la rigueur, donc du respect. Les activités se multiplient, on se ballade, on s’amuse et on n’accumule pas les mots qui vont permettre de mieux comprendre et se faire comprendre. François Bayrou vient de nous dire justement que, « si l’on n’a pas la maîtrise de l’écriture et de la lecture en 6e, on ne rattrape jamais ». Les parents travaillent trop et trop loin, alors ils ne peuvent plus tenir le rôle de pourvoyeurs de mots et, pour se faire entendre, ils finissent par adopter les mots de leurs enfants. Un monde à l’envers, les parents ne jouent plus leur rôle, ne sachant peut-être plus quel est vraiment ce rôle. Par contre les catégories sociales aisées ont un vocabulaire riche, précis et structuré. Alors que les jeunes de banlieues s’enferment, dans un univers sans lecture, sans échange si ce n’est pour l’essentiel, survivre.

Apprendre à lire, n’est pas savoir lire

La lecture doit devenir inconsciente pour ne s’intéresser qu’au plus profond du texte, aux idées. Le geste du sculpteur est automatique, il ne regarde plus sa main, il est œuvre finie. Les opérations de décodage s’automatisent avec les lectures fréquentes et le sens va jaillir du texte lui-même. Se cultiver est à ce prix. L’identité d’un mot ne relève pas du peut-être, l’on a juste ou l’on a faux. Rien entre les deux. Un écrit n’est pas une simple juxtaposition de phrases. Il y a des relations de cause à effet très cohérentes qui ne sont pas toujours faciles à décrypter.

Le stock lexical de tous nos enfants doit être nourri chaque jour, c’est là que doit se gagner le combat de l’assimilation aux civilisations qui, par leurs richesses, ont attiré des vagues successives d’immigrants. La mission des parents est essentielle et les enseignants qui copinent trop avec leurs élèves oublient par facilité la distance nécessaire. Les mots de la rue remontent trop vite et ceux qui sont déjà en difficultés y resteront pour de bon, une fois pour toute. Les jeunes ne s’adresseront plus qu’à ceux qui utilisent le même langage qu’eux et s’enfermeront dans un communautarisme dont ils ne sortiront encore une fois que par la violence.

Pour conclure, aidons les jeunes gens, préparons-les aux carambolages de la vie en leur offrant une belle et forte faculté d’adaptation par le langage mais aussi par une meilleure connaissance de l’environnement social dans lequel ils vont évoluer. Cessons d’être les « citoyens en devenir » de l’Occident. Nous sommes là, déjà fortement intégrés. Ils ne doivent plus voir notre communauté qu’avec « un ballon dans les pieds et un balai entre les mains », mais aussi se souvenir qu’elle a offert à la France des contingents entiers de combattants, de chercheurs, que la majorité des hôpitaux tournent avec des médecins du Maghreb aussi compétents que dévoués, que la plupart des infirmières sont de là-bas, du Maroc, d'Algérie, de Guadeloupe ou de Guyane… et qu’enfin chacun peut s’il travaille, s’il a un toit et de quoi nourrir sa famille, enrichir le pays qui l’accueille et dont il a depuis longtemps la nationalité. Alors courage !

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Youssef Chems est écrivain.





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