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Religions

Les enjeux de la formation privée des imams en Allemagne (2/2)

Rédigé par Vincent Goulet | Vendredi 26 Février 2021 à 11:00

           

Le gouvernement allemand favorise la mise en place d’un enseignement public de la théologie et de la formation des imams. Ce faisant, il cherche aussi à influencer les formations privées à l’imamat, qui sont déjà nombreuses en Allemagne. L’objectif est de favoriser l’émergence d’une « culture musulmane allemande ».



Les enjeux de la formation privée des imams en Allemagne (2/2)
Lire le premier volet de la contribution : Comment l’enseignement public forme des imams en Allemagne

Comme en France, la plupart de ces musulmans et musulmanes (estimés à environ 4,5 millions de personnes) ont des racines géoculturelles bien précises, principalement turques, mais aussi bosniaques, marocaines ou autres. Et comme en France, l’influence des États d’origine des anciens migrants est forte. C’est en particulier le cas du DITIB (Union des affaires culturelles turco-islamiques), l’organisation qui dépend directement de la Présidence des affaires religieuses turque et qui représenterait 70 % des musulmans résidents en Allemagne.

Il existe d’autres importantes fédérations d’origine turque, d’autres fédérations « nationales », mais aussi des fédérations qui se déclarent indépendantes comme le Zentralrat der Muslime in Deutschland (ZMD), ou des associations proches des Frères musulmans comme la Deutsche Muslimische Gemeinschaft, des communautés alévis ou encore ahmadis avec la Ahmadiyya Muslim Jamaat (AMJ).

Ces fédérations gèrent la plupart des mosquées du pays et recourent à des imams formés dans le pays d’origine, souvent envoyés et payés par les gouvernements de ceux-ci. Alors qu’en principe c’est à chaque communauté religieuse de choisir son imam selon des critères qui lui sont propres (un peu à la façon des paroisses protestantes), dans les mosquées où les imams sont des fonctionnaires détachés turcs ou marocains, le processus de sélection des candidats à l’imamat échappe aux membres de la mosquée. En 2004, on comptait en Allemagne, selon le Frankfurter Rundschau, 1 250 imams salariés et environ 1 000 imams bénévoles. 90 % des salariés étaient des fonctionnaires d’Etat « acheminés » (« eingeflogen »), principalement de Turquie, mais aussi du Maroc ou d’Iran.

Afin de favoriser un islam allemand, la Conférence allemande sur l'islam (DIK) et le ministère fédéral pour l’Enseignement et la Recherche (BMBF) ont encouragé la création d’enseignements théologiques dans les universités publiques allemandes, puis plus récemment celle d’une formation professionnelle pratique spécifique à l’imamat, l’Islamkolleg d’Osnabrück. Jusqu’à aujourd’hui cette formation pratique relevait des fédérations musulmanes, qui avaient chacune leur centre de formation.

Les enjeux de la formation privée des imams en Allemagne (2/2)

Anciennes et nouvelles formations privées à l’imamat

Le premier centre a été fondé dans les années 1980 par le Verband der Islamischen Kulturzentren (VIKZ) à Cologne. Il consiste en trois années d’études à temps plein et une année de formation pratique et s’adresse aux hommes comme aux femmes ayant au moins la Mittlere Reife (l’équivalent du Brevet des collèges) ou ayant terminé leur temps d’instruction obligatoire. Les diplômés intègrent le réseau des communautés du VIKZ comme salariés ou bénévoles.

La Ahmadiyya Muslim Jamaat forme des imams (uniquement masculins) à Francfort depuis 2008. En 2012, elle a ouvert un Institut für die Ausbildung von deutschsprachigen Imamen de 120 places à Riedstadt, dans le sud du Land de Hesse. La langue d’enseignement est principalement le urdu, l’arabe, parfois l’allemand. Les deux tiers des diplômés sont intégrés à la communauté au niveau mondial, une trentaine des 71 diplômes (jusqu’en 2019) travaillent en Allemagne comme imam ou théologien.

Le Islamrat für die Bundesrepublik Deutschland (IRD) forme avec la Islamische Gemeinschaft Millî Görüş (IGMG) depuis 2014 des imams au sein d’un cursus comprenant une formation de base puis une formation spécialisée (« Berufsfachschule für muslimische Führungskräfte », BeMuF, pour les hommes) à Mayence et une « Bildungsakademie » (pour les femmes) en Rhénanie du Nord-Westphalie. La formation dans ces deux derniers établissements dure quatre ans avec des phases pratiques. Les cours sont dispensés en allemand, turc et arabe. Selon les responsables de cette formation 23 des 30 diplômés ont trouvé un contrat de travail auprès des mosquées de ce réseau.

De plus en plus d’imams sont donc formés sur le sol allemand, mais dans des centres qui restent sous l’influence des grandes fédérations. Le gouvernement cherche à généraliser l’usage de l’allemand au sein de ces formations privées, ce qui correspond d’ailleurs aux aspirations des apprenants, désormais souvent plus à l’aise avec la langue allemande qu’avec la langue de leurs parents ou grands-parents, ou encore l’arabe.

Le cas du DITIB

Jusqu’alors les imams des mosquées du DITIB étaient des fonctionnaires religieux directement envoyés par Ankara (ils sont 800 sur les 2 000 imams en exercice en Allemagne). Les imams de cet « islam consulaire » pouvaient se considérer comme des quasi-diplomates et des représentants de l’Etat turc dirigé par l’islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan.

Après que le DITIB ait refusé de participer à la création de l’Islamkolleg d’Osnabrück, un compromis a été trouvé avec le gouvernement turc. Depuis janvier 2020, le DITIB commence à former une partie de ses imams sur le sol allemand de façon à éviter de les envoyer depuis la Turquie (22 élèves viennent d’intégrer une nouvelle école située dans un village du Eifel, près des frontières luxembourgeoise et française). Le ministre de l’Intérieur, Horsten Seehofer, s’en est félicité en novembre 2020 lors de sa conférence de presse :

« L’envoi de personnel religieux depuis les pays d’origine était sans aucun doute important aussi longtemps qu’il n’y avait pas de possibilité de formation à l’imamat en Allemagne. Après plus de 30 ans de présence du DITIB en Allemagne, cela n’est plus adapté à la situation, y compris selon l’avis de beaucoup de musulmans de la deuxième ou troisième génération. »

L’enseignement sera dispensé par des enseignants privés ou invités mais aussi par des professeurs et des chargés de cours des universités allemandes. Tous les enseignants devront disposer d'une licence au moins ou d'une longue expérience dans une mosquée.

L’offre de « formation continue » pour les imams

Depuis 2011, le gouvernement allemand cherche aussi à proposer aux imams en exercice des modules de formation continue en langue allemande, connaissance de la société allemande et de sa diversité, des lois sur les rapports entre État et religions, dialogue interreligieux, travail social envers les jeunes et les femmes. Les fédérations ont accepté cette offre de formation en insistant sur son caractère volontaire : « Il nous semble important que l’offre reste une offre et ne soit pas présentée comme une mesure obligatoire aux personnels religieux. »

Cette offre de formation est élaborée en lien avec les collectivités territoriales et les autres organismes locaux en charge de la vie associative et de l’intégration. Ainsi, les responsables et animateurs religieux des mosquées sont invités à s’intégrer dans le tissu de la société civile allemande.

Les enjeux de la formation privée des imams en Allemagne (2/2)

Une méthode pragmatique mais résolue

La méthode empruntée par le gouvernement allemand pour instituer un « islam allemand » apparait plus pragmatique et concrète que la française. Elle s’appuie sur des structures d’enseignement religieux déjà existantes (en particulier universitaires) pour tenter d’acculturer l’islam au modèle chrétien dominant dans le pays.

Sur la délicate question de la formation pratique des imams, le gouvernement a créé de toute pièce une formation publique complète, avec le soutien de quelques fédérations musulmanes, afin de contraindre les autres grandes fédérations à faire de même et à « germaniser » elles-aussi leurs ministres du culte. Même le « secteur privé » de la formation des imams est en quelque sorte stimulé par la politique gouvernementale en faveur d’un islam national.

Cette politique des « petits pas » peut ainsi permettre, à terme, d’ancrer la formation des théologiens et des imams exerçant en Allemagne dans les standards universitaires et éducatifs allemands, tout en permettant un certain contrôle sur les contenus des formations privées. Dans ce jeu d’influences, l’initiative appartient aux pouvoirs publics allemands, qui imposent leur tempo et créent des institutions qui ne peuvent que s’imposer au sein de l’islam allemand, tout en évitant de mettre frontalement en demeure les fédérations musulmanes à se conformer à leurs desiderata.

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Vincent Goulet, docteur en sociologie, est étudiant du Master Etudes interreligieuses de l'Université de Strasbourg.





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