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Religions

La formation des imams, le nouveau défi de l'Islam en France

Rédigé par | Jeudi 12 Juin 2003 à 00:00

           

« L’imam est un fonctionnaire employé dans une mosquée pour diriger la salat. » Cette définition est valable dans les pays d’islam mais pas en France.



Avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’imam de France ne peut être un fonctionnaire. Sur les 1 500 imams de la communauté, 90 % sont étrangers. Quelques centaines sont rémunérés par l’Algérie par l’intermédiaire de la Grande Mosquée de Paris, d’autres reçoivent leur salaire du Maroc. Certains autres sont payés par des institutions islamiques basées hors de France.

Mais la grande majorité des imams de France sont au RMI, quand ils ne vivent pas de la générosité de leurs fidèles ou de l’association gestionnaire de leur mosquée. D’où le lot d’obstacles qu’ils rencontrent au moment de renouveler leur titre de séjour en France. Plus que ces tracasseries administratives, la formation de ces guides de la communauté figure parmi les premières priorités du Conseil français du culte musulman (CFCM).

Islam de France, imams d’ailleurs

Dans les pays du Maghreb, certains cursus universitaires préparent à la fonction d’imam. En plus d’une bonne connaissance du Coran, du hadith et de la vie du Prophète, ces instituts forment leurs étudiants à un large panel de sciences de la religion, allant de la jurisprudence à la mystique en passant par de l’exégèse.

De nombreux imams en France ont suivi de tels cursus au Maghreb ou en Arabie Saoudite. Cependant, ces savants sont socialement en décalage par rapport aux réalités françaises. En 2001, une enquête du ministère de l'Intérieur révélait que plus de 90 % des imams en France sont de nationalité étrangère. Dans une précédente enquête datant de 1994, ils étaient 96 %. Selon cette enquête, 40 % des imams seraient Marocains, 24 % Algériens, 15 % Turcs, 6 % Tunisiens et 6 % originaires d'Afrique noire ou du Moyen-Orient.

Ce fossé culturel entre les guides et leurs fidèles est dénoncé par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, dans une interview accordée au quotidien Libération le 21 février : « Je ne vois pas ce que la République aurait à gagner à continuer à recevoir des imams qui ne parlent pas un mot de français et qui défendent un islam incompatible avec nos valeurs. »

Un mois plus tard, devant 250 imams de France réunis en congrès le 29 mars à la mosquée Tarik Ibn Ziyad des Mureaux (Yvelines), le ministre de l’Intérieur a reconnu que la formation des imams est « un vrai problème ». Nicolas Sarkozy s’est fait plus précis le 18 avril, lors du congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), en déclarant : « Je crois indispensable que les imams aient un statut pour pouvoir vivre dans des conditions décentes. Je sais que ce n’est pas toujours le cas actuellement. Trop d’imams sont Rmistes. Ce n’est pas le signe d’une bonne intégration. »

Il y a plus de dix ans, en 1992, l’UOIF a créé l'Institut européen des sciences humaines (IESH) à Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre), avec la vocation de contribuer à la formation des imams de France. Premier institut du genre en France, l’IESH accueille environ 170 étudiants, garçons et filles, de France, d'Allemagne, de Belgique et de Grande-Bretagne. Si les programmes ne manquent pas d’ambition, il demeure que cet institut privé d’enseignement supérieur, qui espère former des imams de France, prodigue un enseignement très arabophone. Son budget de fonctionnement est largement dépendant de donateurs généreux d’Arabie Saoudite. Mais, depuis les événements du 11-Septembre, ces fonds se sont faits plus rares. Et l’IESH est confronté à des difficultés financières au point de ne pouvoir payer les salaires d’une partie de son personnel dont la restriction s’impose actuellement.

De son côté, la Grande Mosquée de Paris a aussi ouvert en 1993 un institut supérieur de théologie qui n’a pu véritablement conduire des activités de formation.

A Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Didier Ali Bourg, enseignant français converti à l’islam, a lancé l’Institut d’études islamiques de Paris en octobre 1993. Cet institut, connu aujourd’hui sous le nom de CERSI (Centre d’études et de recherches sur l’islam) accueille environ 150 étudiants et propose des cours du soir et du week-end. Mais le CERSI, malgré la qualité et la diversité de ses enseignements, n’a pas vocation à former des imams.

Il y a deux ans est né l’IFESI, l’Institut français des études et sciences islamiques. Situé à Boissy-Saint-Léger, dans le Val-de-Marne, ce nouvel institut ambitionne aussi de contribuer à la formation des imams de France.

Sous le charisme du cheikh Dhaou Meskine, le Conseil des imams de France fut fondé en 1992. Au cours de son quatrième congrès, le Conseil reçut la visite du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Ce fut l’occasion pour Dhaou Meskine de préciser les difficultés des imams : « Nos problèmes concernent notre statut et notre formation d’imams. Auprès de l'administration, nous ne sommes pas reconnus, nous n'existons pas. Même si, dans les banlieues, on fait souvent appel à nous pour ramener le calme. »

Selon Mohamed Bechari, recteur de la mosquée d’Evry et président de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), « la plupart des imams en France n'ont pas de statut juridique légal ni de salaire régulier. Ils vivent souvent de l'aumône des fidèles. Leur situation est vraiment précaire. » Une condition qui met souvent l’imam à la portée des intérêts de l’association gestionnaire du lieu de culte.

De l’imamat au califat

Historiquement, le Prophète de l’islam fut le premier imam de sa communauté. Il détenait le pouvoir religieux et le pouvoir politique. Les quatre califes qui suivirent le prophète sont appelés les « bien guidés », les califes rachidûns : Abou Bakr (632-634), Omar (634-642), Othman (642-652) et enfin Ali (652-656). A l’image du Prophète, ils bénéficièrent autant du pouvoir spirituel que du pouvoir temporel.

Mais sous le califat d'Ali, apparut le premier conflit sérieux qui scinda la communauté en deux groupes. Ce fut la naissance des « sunnites » et des « chiites » autour des désaccords sur le mode de désignation de l’imam. Les chiites estimèrent que le chef temporel et spirituel de la oumma ne pouvait être qu’un descendant du Prophète.

Les sunnites renoncèrent à la notion de l’imamat pour adopter la notion de califat, ce qui favorisa l’installation de dynasties : omeyyade (656-750), abbasside de 750 jusqu’à la prise de Bagdad en 1258 par les Mongols, et aussi le califat de Cordoue (750-1492). La question de l’imamat souleva des violentes polémiques dans l’empire ottoman. C’est finalement en 1459 que le titre d’imam fut attribué au « fonctionnaire chargé du culte ». Une procédure qui fut par la suite adoptée par les différents pays issus de la décomposition de l’empire ottoman.

Les catégories d’imams

Etymologiquement, « imam » désigne celui qui dirige, celui qui se positionne devant. Traditionnellement, l’islam est une religion sans hiérarchie cléricale, ce qui laisse la liberté aux fidèles de se rassembler autour d’une personne en raison de sa foi ou sa science religieuse. Ils lui accordent le statut de guide et lui confient la direction des célébrations rituelles canoniques du groupe.

A l’heure de la salat, la prière rituelle, le groupe de musulmans désigne un de ses membres qui dirige l’office. Un tel imam est un imam de circonstance. Il est préférable qu’il soit un homme, pubère, saint de corps et d’esprit avec une bonne connaissance du Coran, des hadiths et des règles de célébration de la salat.

L’imam qui officie à l’intérieur d’une mosquée est généralement un imam attitré. Au premier degré, il est l’imam des cinq offices quotidiens. On parle alors de « imam assalawat al khams ». Au second grade, l’imam est dit « khatib ». Il est alors habilité à prononcer le prône du jumua, le vendredi. Quant au « grand imam »« imam mumtaz », il officie généralement dans les occasions spéciales et veille à l’enseignement de la religion.

Dans sa communauté, l’imam se distingue par sa piété, sa connaissance du Coran et de la religion, ce qui en fait une référence fiable pour les fidèles. Il ne se contente pas de diriger les prières. Il enseigne le Coran et les préceptes de l’islam. Il donne des consultations religieuses et prononce des « fatwas », des avis juridiques en réponse aux questionnements des croyants. En plus de ces rôles classiques, l’imam de France a aussi un rôle d’encadrement de la jeunesse musulmane plongée dans un environnement non musulman. Une jeunesse souvent à la recherche de repères qui lui soient propres. Plus qu’un guide de la salat, l’imam est aussi un guide spirituel assumant parfois le rôle d’éducateur et de psychologue.

Les imams de la République

Certains membres du CFCM estiment qu’il revient à l’Etat de créer un institut d’islamologie pour assurer la formation et donc la transparence des imams de France. Une commission formation a été mise sur pied dans cette optique au sein du CFCM. Reste le financement : comment l’Etat laïc peut-il financer un tel projet sans enfreindre le principe de séparation de l’Etat et de l’Eglise ? La République peut-elle former ses imams ? Nicolas Sarkozy répond à cette question : « J'affirme que l'on peut parfaitement, dans le cadre de la législation existante, créer un institut de formation des imams de France comme il existe une école de formation des rabbins de France. » L’idée est bonne mais pas nouvelle.

En 1996, le professeur Etienne Trocmé a vigoureusement soutenu le projet d’une faculté de théologie musulmane à l’Université de Strasbourg. Ce projet serait tombé à l’eau, l’Etat n’ayant pas trouvé d’interlocuteur. Avec la mise en place du CFCM, l’Etat a désormais un interlocuteur unique. Au mois d’avril, le ministre de l’Education, Luc Ferry, a confié le dossier de formation des imams à Daniel Rivet, président de l’Institut d’études sur l’islam et les sociétés du monde musulman (IISMM) et grand spécialiste du Maroc.

Le 14 mai dernier, à l’instigation de l’IISMM, une table-ronde a réuni des chercheurs et des acteurs politiques et associatifs autour de « la mise en place du CFCM ». Invité à cette table-ronde, Dhaou Meskine, secrétaire général du Conseil des imams, a rappelé que « les imams ne doivent pas être piétinés par le CFCM ». Vu les conditions d’exercice de leur ministère et la fragilité du statut administratif de certains d’entre eux, les imams craignent que le CFCM ne rogne leur indépendance religieuse. Le risque n’est pas nul car, comme affirme Dhaou Meskine, « aucun imam ne siège au CFCM ». C’est bien là un des paradoxes du CFCM en charge du culte musulman en France !


Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur



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