Éditorial

L’expulsion de Hassan Iquioussen, une décision complexe dans une séquence politique à hauts risques pour les musulmans de France

Rédigé par | Mardi 30 Aout 2022 à 17:30



Le Conseil d’Etat vient de rendre sa décision. L’imam conférencier sera bien expulsé du territoire français selon le souhait du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Une tragédie pour la famille Iquioussen. Mais la plus haute juridiction administrative de notre pays a estimé que la demande n’entrave pas les principes élémentaires de l’État de droit. Sa décision n’a pas été prise à la légère puisque l’audience du vendredi 26 août fut composée d’une formation de jugement de trois conseillers présidée par Christophe Chantepy. C’est dire la complexité de l’affaire car d’ordinaire, un seul conseiller suffit pour statuer un dossier. Les 60 minutes habituelles pour traiter un référé en Conseil d’Etat n’auront d’ailleurs pas suffit. Il aura nécessité 2h30 d’échanges entre les partis. C’est plutôt rare, d’autant que la qualité d’écoute a même été saluée par la défense de Hassan Iquioussen.

Avant même le jour de l’audience, le nombre de soutiens de mosquées ou de personnalités locales bien en vue issues de nombreux territoires reçus en faveur de l’imam n’a pas manqué de surprendre les autorités. Des réunions ont même été organisées par les autorités préfectorales pour échanger et entendre les arguments. La plupart des participants ont rapporté à Saphirnews que l’esprit était cordial et bienveillant.

En revanche, les représentants locaux de l’Etat ont très fermement défendu la position du ministère de l’Intérieur sur la dangerosité des propos de l’imam. Pour comprendre la popularité de Hassan Iquioussen, il est important de savoir que, pour son auditoire, il n’est pas un simple imam du Nord et militant de l’UOIF réputée proche des Frères musulmans de la branche égyptienne, aujourd’hui renommée Musulmans de France.

Un imam qui a entretenu un lien proustien avec toute une génération

Bien avant les vidéos Youtube et la démocratisation d’Internet dans les foyers familiaux, il fut à la fin des années 1980 et durant les années 1990 le conférencier vedette de l’islam frériste, alors que l’islam consulaire n’était qu’au stade embryonnaire. Avant même l’arrivée de Tariq Ramadan sur le terrain français, il parcourait les quartiers des grandes métropoles jusqu’aux petits bourgs de nos territoires pour y remplir les mosquées et les salles polyvalentes d’un public ado et de jeunes adultes en recherche d’un discours sur l’islam en langue française avec les codes et les accents de la jeunesse frenchy. Après l’affaire de Creil en 1989, l’UOIF avait fait le choix de faire du voile un outil de conquête des âmes et des corps alors qu’une autre lecture religieuse aurait été possible mais c’était déjà un standard internationalisé pour compter le nombre de divisions dans l’escarcelle des partis islamistes issus des pays de cultures musulmanes. La contextualisation n’était donc que de façade.

Tout comme les chaines télévisuelles d’information en continu ont leurs bons clients pour agglomérer et tenir en haleine leur public, Hassan Iquioussen fut le bon client des associations musulmanes locales pour afficher ostensiblement auprès des élus locaux leur dynamisme, ceci en attirant et en fidélisant les jeunes de quartiers. Autant dire qu’il a su entretenir un lien proustien avec toute une génération dont nombreuses sont les personnes qui ignorent tout de l’islam politique des Frères musulmans mais côtoyaient volontiers ces espaces éphémères pour savourer l’idée fantasmée de « la oumma », voire y rencontrer l’âme sœur.

Il fut aussi un des catalyseurs de « l’islam municipal », vocable qui recouvre les accommodements pragmatiques des forces politiques municipales pour courtiser les voix dites musulmanes. D’ailleurs, le fameux diner au cours des élections municipales de 2014 entre le candidat Darmanin et Iquioussen révélé par nos confrères de Mediapart illustre bien ce phénomène qu’avant lui de nombreux autres candidats avaient déjà expérimenté.

Le cadre d’exercice de l’imam en question

Ce sont certainement ces sentiments de puissance renforcés par nos principes de liberté d’expression qui ont procuré la confiance à certains imams pour outrepasser leur rôle et s’immiscer dans la politique dans un pays où la lente et douloureuse sécularisation a su installer durablement la concorde civile mettant fin aux guerres de religion. Cet excès de confiance qui fait déborder le discursif religieux de son lit bordé par nos principes républicains pour venir inonder les enjeux politiques locaux au sein des sermons de l’office du vendredi.

Après recul, cette crue, contrairement au fleuve du Nil, ne s’est pas avérée fertile mais, à bien des égards, toxiques car, dans un certain nombre de cas, ce mélange de genre apporta le ferment du communautarisme. Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, estime lui-même que le discours de son beau-frère Hassan Iquioussen produit du « séparatisme mental qui crée de la division entre le croyant et son environnement ». Mais encore une fois, ces décisions coercitives révèlent en creux le manque d’organisation et de maturité des croyants musulmans à l’échelle collective pour organiser le cadre juridique des éléments cultuels en conformité avec les lois de notre pays.

Miné par ses querelles intestines, le CFCM dont a fait partie l’ex-UOIF a totalement échoué et fait perdre 20 ans aux musulmans de France. A charge aujourd’hui aux participants du FORIF de définir le cadre d’exercice de l’imam et son statut qui ne soit pas calqué sur celui du simple animateur socio-culturel. En plus de leur charge spirituelle, les leaders religieux ont une responsabilité particulière, celle de promouvoir la paix, le dialogue, le vivre ensemble et la fraternité sans aucune ambiguïté possible. C’est une urgence impérieuse pour éviter l’émergence de confusions qui jettent en pâture les musulmans de France.

Le probable évitement d’une séquence législative lourde de conséquences pour les musulmans

Nous déplorons cette tragédie que les membres de la famille Iquioussen devront affronter mais la décision du Conseil d’Etat devrait éviter de plonger des millions de citoyens de confession musulmane dans une séquence législative où les forces de l’extrême droite pèseront de toutes leurs forces pour la promulgation de lois à coup sûr liberticides. Sans parler de la surenchère que les formations politiques plus traditionnelles pourraient mener pour se positionner. Ces débats anxiogènes comme à l’accoutumée auraient largement débordé des hémicycles pour venir inonder les chaines d’information en continu ainsi que toutes les plateformes de réseaux sociaux, installant peu à peu un climat de défiance propice à une guerre civile de basse intensité dont les seuls gagnants sont les extrêmes de tous bords.

Après ces années où le terrorisme islamiste a fait couler du sang sur notre sol, tuant des citoyens de toutes confessions et convictions philosophiques, les autorités sont appelées à assurer leurs obligations de sécurité envers les citoyens de notre pays. Mais le répressif ne peut être l’unique réponse. Force est de constater que jusqu’à présent, mise à part l’exposition « Arts de l’islam, un passé pour un présent » organisée par le musée du Louvre sous l’impulsion du gouvernement Castex, l’engagement financier en faveur du volet culturel de l’islam n’a pas été tenu.

Dix millions d’euros avaient été promis au cours du discours des Mureaux en faveur d’actions culturelles pour « soutenir ce qui, dans notre pays, doit nous permettre de faire émerger une meilleure compréhension de l'islam et aussi une meilleure formation intellectuelle, académique qui des religieux, mais tous nos concitoyens qui s'intéressent à cette religion, à cette civilisation pour mieux nous connaître aussi les uns les autres parce que c'est un enjeu pour nous-mêmes », avait alors garanti le président de la République. Au final, les citoyens de cultures musulmanes qui avaient applaudi la ligne très équilibrée du discours sont pour beaucoup d’entre eux déçus car le compte n’y est pas.

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