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Société

Du 'jihad de genre', la lutte contre les interprétations machistes, homophobes ou sexistes des textes sacrés

Entretien avec Ndeye Andújar

Rédigé par Propos recueillis par Mohammed Colin | Mercredi 26 Octobre 2005 à 22:23

           

A Barcelone, du 27 au 29 octobre se tient pour la première fois en Europe un congrès sur le féminisme islamique. Des militants (es) et intellectuels (lles) de toutes les nationalités et de tout horizons viendront débattre de la question du genre et confronter leurs expériences. SaphirNet.info a voulu en savoir davantage et s’est donc entretenu avec Ndeye Andújar, Vice-Présidente de Junta Islàmica Catalana et organisatrice de l’évènement.



Du 'jihad de genre', la lutte contre les interprétations machistes, homophobes ou sexistes des textes sacrés

SaphirNet.info : Comment présentez vous le féminisme islamique ?


Ndeye Andújar : Pour répondre à votre question, je voudrais parler tout d’abord du concept du "jihad de genre", la lutte contre les interprétations machistes, homophobes ou sexistes des textes sacrés dans le cadre du monde islamique. Tout au long du XXème siècle il s’est développé un important mouvement pour dépasser les lectures patriarcales. Ce sont des femmes qui ont mené ce combat en revendiquant l’égalité des droits en tant que musulmanes. Ce mouvement est né de façon spontanée et simultanément dans beaucoup de pays à majorité musulmane. Nous pouvons situer l’origine du mouvement dans les premières décennies du XXème siècle en Egypte, lorsque quelques femmes ont posé la question des thèmes sur lesquels il fallait en débattre.

Malgré le chemin parcouru, au début du XXIème siècle la question du genre est toujours une affaire courante dans les sociétés à majorité musulmane. C’est comme un nœud gordien, autour duquel se fait une lecture conservatrice de la religion, qui discrimine, restreint les libertés individuelles et contribue à maintenir des structures hiérarchiques de pouvoir qui excluent la majorité des citoyens.

Actuellement, il existe un grand débat théorique sur le "féminisme islamique", un débat qui inclut la discussion sur le fait de se demander si le terme est adéquat ou pas. Certainement, le féminisme en tant que lutte pour la libération des femmes n’a pas besoin d’étiquettes différentes. Le qualificatif islamique ne peut pas être la définition d’un type de féminisme différent et opposé de l'occidental. En même temps, il faut contextualiser le problème de la libération dans le cadre de l’Islam afin que cette lutte soit efficace. Cette spécificité ne doit jamais impliquer une "réduction" de la revendication basique pour l’égalité de la femme, dans son sens plus universel.

Au delà de la question terminologique, il y a un large mouvement qui fait face aux interprétations et comportements machistes ou sexistes qui s’imposent dans beaucoup de pays à majorité musulmane, et que l’on peut définir proprement comme étant féministe.

Quelles sont les raisons qui ont motivées la tenue de ce premier congrès ?

Ndeye Andújar : Dans un premier temps la nécessité de créer des ponts d’entente entre la société d’accueil et les musulmans étrangers. Nous pensions qu’à partir du congrès nous pourrions établir une étroite collaboration avec les organisations de femmes musulmanes. Les femmes féministes musulmanes auraient ainsi la possibilité de faire connaître le féminisme islamique aux hommes et aux femmes musulmans (es) étrangers (ères) en Espagne, ainsi qu’aux non musulmans. Le but est de fonder les bases solides d’un véritable travail d’échange. C’est ainsi que l’on pourra faire connaître les mouvements des femmes musulmanes dans le cadre hispanophone. Il s’agit de donner la parole aux femmes musulmanes qui luttent pour la reconnaissance de leurs droits dans l’Islam et non pas à partir d’une idéologie éloignée, qui se confond souvent avec le colonialisme.

Vous accueillez Amina Wadud et Nadia Yassine. Deux personnalités emblématiques. L’une pour avoir ouvert le débat sur la place de la femme en Islam, lors du mémorable vendredi 18 mars 2005 où Amina Wadud prononça le sermon et dirigea l’office religieux dans une mosquée à New York. Et l’autre pour être en passe de prendre le leadership du mouvement le plus important du Maroc à référence islamique et surtout pour avoir déclarer être favorable à l’installation dans son pays d’une République fondée sur la souveraineté populaire. Comment vont se présenter les débats ?

Ndeye Andújar : Amina Wadud participera au congrès avec Ahmed Naseef, éditeur en chef du site muslimwakeup, site qui avait par ailleurs annoncé officiellement l’événement du 18 mars que vous venez d’évoquer. Ils parleront en tant que porte-parole de l’association des Musulmans Progressistes. Amina Wadud centrera son intervention sur l’importance de l’exégèse féminine du Coran.

Par rapport à la participation de Nadia Yassine, malheureusement elle ne pourra pas assister au congrès. Elle ne peut pas quitter le Maroc puisqu’elle est dans l’attente d’un jugement politique. Mais nous aurons son témoignage grâce à un enregistrement que l’on diffusera. Nous la soutenons moralement pour son courage et sa lutte.

Nous compterons également avec la participation de Khadiya Hamdi, Présidente de l’Union des Femmes Sahraouies qui centrera son discours sur la difficile situation de ces femmes et leur combat aux côtés des hommes.

En quoi, la spécificité islamique pourrait renouveler le débat sur le féminisme ?

Ndeye Andújar : Contrairement à ce que l’on pense, la spécificité islamique ne fait que rendre universel le féminisme. On peut être musulmane et féministe, mais il n’y a pas qu’un seul modèle pour lutter contre le machisme. Les musulmanes ont des choses à apprendre et à profiter des luttes des féministes occidentales et vice versa. On ne peut plus se contenter de lutter de façon isolée. Toutes les femmes doivent unir leurs forces pour l’égalité, pour faire respecter leurs droits.

D’un côté, les mouvements féministes occidentaux qui travaillent dans le monde islamique ont besoin de contextualiser leurs discours afin que leur travail soit efficace. Et de l’autre, étant donné le nombre croissant de musulmanes qui habitent les pays occidentaux, il est fondamental que les féministes occidentales connaissent les termes dans lesquels la question du genre est posée dans le cadre de l’Islam.

Les religions et plus particulièrement l’Islam représentent des archaïsmes pour beaucoup de gens en Europe. Le port du foulard peut être perçu pour beaucoup de monde comme étant un instrument par lequel s’exerce la domination masculine sur la femme. Comment le féminisme islamique dans son combat peut il tenir compte des ces représentations ?

Ndeye Andújar : Le débat du foulard est un faux débat, puisque ce qui est important c’est la liberté de choix et non pas le foulard en soi. Les féministes musulmanes devraient faire comprendre aux occidentaux non musulmans que c’est très réducteur d’identifier le foulard comme étant un instrument de domination masculine.

La perception du foulard chez les musulmans a évolué et continue d’évoluer. Bien que pendant les années soixante quelques musulmanes qui ne portaient pas le foulard revendiquaient ainsi leur émancipation, actuellement, la tendance est en train de s’inverser. Il y a de plus en plus de jeunes femmes avec des études universitaires qui revendiquent leur droit de porter le foulard librement. Les femmes voilées entrent dans la vie publique sous la devise " la personnalité c’est ce qui compte et non pas la féminité ". Dans ce sens, il faut reconnaître la contribution du foulard car il rend possible une plus grande sortie vers le monde extérieur mais cette sortie se "dissimule" puisque le foulard renvoie toujours à l’espace du mahrem. Une autre question c’est de savoir comment vont être utilisée ces formations universitaires. A savoir si cela va leur permettre d’accéder au monde du travail ou s’il ne suppose q’une parenthèse avant le retour à l’espace privé.

Le cas des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan et l’Iran qui "institutionnalisent" la tenue des femmes est contraire au principe islamique de libre choix puisqu’en Islam il n’y a pas de contrainte (Coran 2:256).


Comment l’annonce de ce congrès a été accueillie en Espagne qui - il faut le souligner - est l’un des premiers pays de l’Union Européenne à reconnaître officiellement l’ampleur des violences que subisse aujourd’hui encore un trop grand nom

Ndeye Andújar : Le congrès du féminisme islamique a reçu un grand accueil. Beaucoup de personnes se sont inscrites. Le profil est très varié: des enseignants, des dirigeants d’associations, des étudiants, etc. Les médias se sont fortement intéressés et ont diffusé la nouvelle au niveau nationale.

L’annonce du congrès a également reçu un accueil très favorable au Maroc et a soulevé un grand intérêt.

La société espagnole est effectivement très sensible envers les problèmes des violences contre les femmes. Nous connaissons tous, hélas, les graves problèmes qui touchent beaucoup de femmes maltraités et tués par leurs compagnons.

Quelles sont les luttes que vous prévoyez d’évoquer lors de ce congrès ?

Ndeye Andújar : Sans pour autant faire l’amalgame entre la violence et la religion musulmane, on évoquera la nécessité de lutter contre l’excision féminine en informant qu’il s’agit d’une pratique non islamique.

Le congrès devrait servir également à lutter contre les clichés qui situent la femme musulmane dans un statut d’être soumis et inférieur.


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Voici le programme définitif du congrès :



http://www.feminismeislamic.org/eng/program.htm




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