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Points de vue

Bioéthique : une contribution musulmane au débat sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Lundi 2 Septembre 2019 à 17:00

           

La Commission spéciale chargé d'examiner le projet de loi relative à la bioéthique à l'Assemblée nationale a entendu les représentants des cultes catholique, juif et protestant le 29 août. Le Conseil français du culte musulman (CFCM), actuellement présidé ad interim par Dalil Boubakeur, a brillé par son absence à cette audition. Mohammed Moussaoui, ancien président du CFCM et président de l'Union des mosquées de France (UMF), fait part de sa contribution au débat sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes.



Bioéthique : une contribution musulmane au débat sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes
À l’occasion des États généraux sur la bioéthique de 2009, j’ai eu l’occasion de m’exprimer, en ma qualité du président du CFCM, sur de nombreuses questions bioéthiques et notamment sur la procréation médicalement assisté (PMA). En novembre 2012, j’avais exprimé l’opposition du CFCM à l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe et, à cette époque, la question de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules était déjà invitée aux débats sur le mariage.

Le 29 août, une commission parlementaire chargée d’examiner la proposition de loi relative à la bioéthique, présentée à l’Assemblée Nationale sous le numéro 2187 par Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé au nom du Premier Ministre, M. Edouard Philippe, a auditionné les représentants des cultes juif, catholique et protestant.

Profondément attachés au principe de justice et du respect de l’égale dignité de tous ainsi qu’à la reconnaissance de la pluralité des religions et des convictions dans notre société, nous, musulmans, entendons contribuer, dans cet esprit, aux débats démocratiques et à l’évaluation des choix projetés pour notre modèle sociétal.

Lire aussi : Que dit l’islam sur la PMA, la GPA, le don de spermes et la congélation des ovocytes ?

De quoi est fait la PMA ?

Fait partie de la PMA ou de l’AMP (Assistance médicale à la procréation) toute technique permettant la procréation en dehors du processus naturel résultant d’un rapport sexuel entre un homme et une femme. La liste de ces techniques est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l’agence de la biomédecine (Code de la santé publique, art. 2141-1).

Ainsi, en font partie :

- La fécondation in vitro (FIV) d’un ovule par un spermatozoïde hors du corps de la femme, dans l’éprouvette du biologiste, avec transfert d’embryon frais ou après congélation, avec ou sans donneur de gamètes extérieur au couple ;

- L’insémination artificielle (IA) qui consiste à déposer les spermatozoïdes du conjoint (IAC) ou d’un donneur (IAD) au niveau du col de l’utérus ou dans la cavité utérine pour qu’il ait fécondation naturelle d’un ovocyte dans le corps de la femme.

En France, en 2018, 1 enfant sur 40, soit 2,5 % des naissances a été conçu grâce à une technique de la PMA, qu’il s’agisse d’une FIV ou d’une IA, avec une dominance de la FIV qui représente 70 % des enfants nés à l’aide d’une PMA.

En France, contrairement aux idées reçues, les enfants nés par FIV avec donneurs de gamètes ou d’embryons ne représentent que 5% des naissances via la PMA. En 2015, 95 % des enfants conçus par la PMA le sont avec les gamètes de leurs parents. Plus précisément, les 5 % d’enfants nés par PMA avec tiers donneur concernent très largement le don de spermatozoïdes avec 4 % des naissances PMA, soit environ 1 000 enfants par an et 1 % avec don d’ovocytes soit 250 enfants par an. Le don d’embryons (spermatozoïde et ovocytes fécondés) est très marginal : il concerne 0,01 % des naissances par PMA, soit environ 25 à 30 enfants par an. Enfin, il faut rappeler que la gestation pour autrui (mère porteuse) est interdite en France.

Pour des raisons techniques liées à la difficulté que pose le prélèvement des ovocytes chez la femme et leur conservation sans fécondation, le législateur a autorisé la fécondation en surnombre d’embryons. Depuis, le nombre d’embryons détenus congelés n’a cessé de croître, passant de 185 000 en 2011 à 222 000 en 2015. Le problème des embryons congelés qui ne font plus l’objet d’un projet parental (représentant un tiers de l’ensemble) demeure entier.

Que dit le projet de loi n° 2187 de la bioéthique au sujet de la PMA ?

La PMA occupe une place importante dans ce projet de loi avec des changements majeurs par rapport à l’existant. En effet, l’article 1er élargit l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Le critère médical d’infertilité, qui aujourd’hui conditionne cet accès, est supprimé.

S’appuyant sur un article principiel du code civil sur « l’égalité des modes de filiation », l’article 4 crée un nouveau « mode de filiation par déclaration anticipée de volonté » qui ouvre les mêmes droits que la filiation fondée sur la vraisemblance biologique et la filiation adoptive. Selon ce même article, les couples de femmes peuvent devenir légalement les parents de l’enfant issu de la PMA qu’elles auront réalisée ensemble, et ce, dès sa naissance.

Que dit le droit musulman sur la PMA ?

Le développement de techniques médicales de nature à participer au bien-être des hommes et des femmes, à soulager leurs souffrances physiques et morales et à permettre l’émergence de nouvelles formes de solidarité et d’altruisme par le don gratuit d’organes, participe à la sauvegarde de la vie et au progrès de l’humanité. Toutefois, ce développement, s’il n’est pas suffisamment encadré par des principes fondamentaux et structurants, il pourrait être source de dérives et d’atteintes à la vie et à la dignité humaine.

Parmi ces principes en lien avec notre sujet, il y a la « filiation par descente » (anssab, en arabe). Celle-ci, proche de la filiation fondée sur la vraisemblance biologique en diffère par certains aspects que nous évoquerons ci-après. La filiation par descente, repose sur l’identification de la mère et du père et de leur rôle dans la structure familiale, première institution structurante de la société humaine.

Le pacte de mariage qui lie un homme et une femme crée une relation de filiation réelle et structurante non seulement de la relation de l’individu avec ses ascendants et ses descendants, mais également de sa relation avec les autres membres de la société : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient et bien Informé. » (Coran, 49 : 13)

L’importance de cette filiation et de sa place centrale dans l’organisation de la société du point de vue musulman apparaît à travers les nombreux textes qui lui sont consacrés dans le Coran et la tradition prophétique. De nombreux passages coraniques très concis et très explicites (par exemple Coran, 2 : 220-233) énumèrent des règles et normes précises dont l’objectif est de s’assurer de l’identité du père. La mère étant celle qui accouché de l’enfant. Un exemple parmi ces règles est l’observation de la période de viduité pour la femme lorsqu’elle est divorcée ou veuve avant son nouveau mariage.

À côté de la filiation par descente, la tradition musulmane a donné un statut particulier à la « mère par allaitement », celle qui aurait allaité l’enfant en lui donnant son sein un certain nombre de fois pendant une durée significative. Cependant, ce mode de filiation n’a pas le même statut que la filiation par descente et n’implique pas les mêmes conséquences.

De même, l’adoption d’un enfant notamment l’orphelin, dans le sens d’une prise en charge matérielle et affective, est promue à un statut élevé par de nombreux passages dans le Coran (2 : 177, 2 : 220, 4 : 36, 89 : 16-17). Elle est également encouragée par des déclarations prophétiques très fortes. En témoigne une de ses célèbres paroles : « Moi et celui qui prend en charge un orphelin seront inséparables au Paradis comme le sont mes deux doigts, en indiquant l’index et le majeur. » Les mêmes textes rappellent clairement que l’adoption d’un enfant ne peut remplacer complètement sa filiation par descente. L’enfant doit être informé de son origine et portera le nom de son père géniteur si ce dernier est connu.

Comme nous le disions il y a un instant, on est tenté de dire que la filiation par descente n’est autre que la filiation fondée sur la vraisemblance biologique. Ce n’est pas tout à fait exact. En effet, un enfant né après une relation adultère restera l’enfant du couple marié : son père est le mari et non pas l’amant. Selon un avis très majoritaire, voire unanime, le résultat du test ADN n’y change rien.

Les règles et les normes par lesquelles les textes fondateurs musulmans établissent la nature des liens qui peuvent exister entre les êtres humains dans une société peuvent paraître pour certains comme attentatoires aux libertés individuelles et notamment à la liberté de la femme de disposer de son corps. Le droit musulman assume et revendique cette limitation de la liberté individuelle et ne reconnaît, en effet, à aucune personne, qu’elle soit homme ou femme, une liberté absolue de disposer de son corps.

S’appuyant sur ce principe de filiation par descente, les écoles juridiques musulmanes sont unanimes sur l’interdiction de toute technique de la PMA faisant appel à un donneur de gamètes. Le don de gamètes à autrui étant lui-même illicite.

Seule la possibilité d’une PMA avec des gamètes d’un homme et d’une femme unis par le mariage est sujet de discussion. Plus précisément, la technique d’insémination artificielle intraconjugale (IAC) est quasi-unanimement autorisée. Celle-ci, se réalise par le dépôt du spermatozoïde du mari au niveau du col de l’utérus ou dans la cavité utérine pour assurer la fécondation naturelle d’un ovocyte dans le corps de son épouse.
Quant aux différentes techniques de fécondation in vitro (FIV), un avis très majoritaire autorise celle réalisée avec un embryon frais (issu des gamètes de la femme et de son époux).

Les avis divergent sur les techniques des FIV qui donneraient lieu à la conservation d’embryons congelés. Certains ont des réserves sur la congélation elle-même de l’embryon, le considérant comme une personne. D’autres, considérant que l’embryon ne devient une personne qu’après son implantation dans l’utérus, autorisent sa congélation en nombre limité. Ils imposent en même temps la destruction des embryons qui ne feraient plus l’objet d’un projet de naissance ou après divorce ou décès.

Les conséquences d’élargissement de la PMA à d’autres bénéficiaires

Dans le paragraphe précédent, nous avons esquissé les différents avis des écoles juridiques musulmanes sur la PMA et avons rappelé l’interdiction, chez toutes ces écoles, de toute technique faisant appel à un donneur et que, par ailleurs, le don de gamètes est en soi illicite. La seule technique de PMA autorisée est celle réalisée par les gamètes de la femme et de son époux avec un avis réservé sur la congélation des embryons. C’est dire qu’une personne qui veut volontairement mettre en conformité son action avec le droit musulman sait à quoi s’en tenir. La France est un pays laïc dans lequel la norme religieuse, quelle qu’elle soit, n’est pas opposable en tant que telle à tous les citoyens. La seule loi qui leur est opposable et celle de la République.

C’est dans cet esprit que nous souhaitons maintenant développer quelques arguments qui appellent à la prudence quant à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules.

De nombreux arguments qui ont fondé, jusqu’à 2018, l’opposition du Comité national d’éthique (CEN) à tout élargissement de la PMA à d’autres personnes que celles prévues dans la loi de la bioéthique de 1994, restent toujours valables, malgré son dernier avis qui aurait ouvert la brèche empruntée par le projet de loi qui fait l’objet de notre discussion.

D’une part, les études partielles sur les conséquences de l’effacement institutionnalisé du père de l’environnement familial de l’enfant ne permettent pas d’avoir le recul nécessaire sur les dommages sur son vécu. Cette absence ne saurait être comparable à celle résultant d’un divorce ou d’un décès. Celle-ci, l’Humanité l’a expérimenté depuis sa première existence.

D’autre part, instituer le droit d’un adulte ou de deux adultes d’avoir un enfant sans se soucier du droit de l’enfant d’avoir un père est une injustice flagrante à l’égard d’un être vulnérable. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît à chacun le droit de connaître son ascendance et le droit à la reconnaissance juridique de sa filiation.

Instituer un mode de filiation par déclaration anticipée de volonté en transférant délibérément la maternité à une autre femme (la deuxième mère) que celle qui accouche ferait fi des liens qui se nouent entre la femme enceinte et l’enfant pendant la durée de la gestation. Enlever à l’enfant, sans recours possible, son droit de connaître et de reconnaître son père afin de satisfaire le désir de deux mères, fait redouter des conséquences dommageables sur ses sentiments à l’égard de ces « deux mères ».

Par ailleurs, décréter l’égalité de tous les modes de filiation en s’appuyant sur la loi du mariage pour tous, nous conforte sur l’idée que l’élargissement de la PMA serait à son tour un point d’appui pour la légalisation de la GPA. En effet, comme l’a bien fait remarquer le groupe de travail bioéthique de la Conférence des évêques de France (CEF), « s’il y a égalité des "modes de filiation", autrement dit des manières d’obtenir un enfant, comment refuser le mode de la GPA ? Le refus manifesterait que les "modes de filiation" ne sont pas tous égaux, ce qui serait une contradiction dans le droit. Selon l’argument de l’égalité, cette contradiction ne résistera pas ». Dès lors, il est à craindre que les principes qui fondent la bioéthique soient continuellement mis à mal sous la pression des revendications de groupes divers.

Avec l’ouverture de la PMA à des couples de femmes et aux femmes seules ainsi que la suppression de la condition d’infertilité, la pénurie constatée en matière de gamètes va s’aggraver. Le principe de non-marchandisation du corps humain, corolaire de l’égale dignité humaine, risque de partir en éclat.

Pour conclure, nous réaffirmons comme nous l’avons fait dans d’autres débats, notre conviction que le risque d’emprunter, par la transformation d’un grand principe régulateur qu’est la filiation, un chemin irréversible qui engage la société d’aujourd’hui et de demain dans un avenir incertain est très grand.

Ce serait oublier, comme le soutenait Henri Bergson que, « sur dix erreurs politiques, neuf consistent à croire que ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui » mais que la dixième, la plus grave sans doute, consiste à croire que « ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui ».

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Mohammed Moussaoui est président de l'Union des mosquées de France (UMF).





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