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Economie

Aziz Senni : « Pour créer une entreprise : du rêve, du travail et du culot »

Interview

Rédigé par | Lundi 12 Janvier 2009 à 23:01

           

À 23 ans, Aziz Senni créait une entreprise de transport à la demande de taxis collectifs, ATA, située à Mantes-la-Jolie. Ayant raflé de nombreux prix en tant que jeune créateur d’entreprise, il est vite pris pour symbole de la réussite du « Beur de banlieue » par les médias et les politiques. Mais il garde les pieds sur terre : son entreprise réalise aujourd’hui 3,2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et il peut se consacrer à ce qui lui tient à cœur : le prosélytisme entrepreneurial.



Aziz Senni, fondateur de la société ATA et président du conseil de surveillance du fonds d’investissement BAC.
Aziz Senni, fondateur de la société ATA et président du conseil de surveillance du fonds d’investissement BAC.

Qu’est-ce que l’activité de votre entreprise : le transport à la demande ?

Aziz Senni : Le transport à la demande est une activité similaire à celle des taxis, mais nous ne prenons pas des gens dans la rue, nous sommes obligés de répondre à des réservations, donc de savoir le nom de la personne qui réserve, le point de départ et le point d’arrivée. En contrepartie, les prix sont connus d’avance, puisque forfaitaires. Notre slogan « Plus rapide qu’un bus, moins cher qu’un taxi » est explicite : même flexibilité que le taxi, mais moins cher car nous n’avons ni les mêmes contraintes ni les mêmes coûts.

En 8 ans d’existence, la croissance de votre entreprise a été fulgurante…

A. S. : Il se fait au niveau local et priorité est donnée aux seniors, c’est-à-dire les plus de 50 ans et au chômage. C’est une politique que je veux mener, après avoir conduit pendant presque 6 ans une politique de recrutement de jeunes. Il nous a paru important de recruter de préférence des pères de famille qui ont besoin de travailler, ont des charges de famille et à qui les entreprises n’ont pas forcément donné une chance, plutôt que de recruter un jeune, que l’on sait qu’il retrouvera, bon gré mal gré, un emploi.

Fort de votre expérience, vous fondez Jeunes entrepreneurs de France (JEF), avec Abdellah Aboulharjan, également chef d’entreprise.

A. S. : Cette association a pour but d’accompagner et de fédérer un réseau de jeunes entrepreneurs issus des banlieues, quelles que soient leurs origines sociale, ethnique ou religieuse. Les cinq bureaux qui avaient été ouverts, dès 2002, sont maintenant fermés. Nous changeons de stratégie: nous allons fédérer des associations qui sont localement créées (Dijon, Rouen, Évreux, Mantes-la-Jolie, Reims, Lyon…) par des entrepreneurs locaux qui œuvrent pour leurs quartiers, en leur transmettant nos savoir-faire acquis durant ces 7 années.

Donc orientation et coaching pour la création d’entreprise. Quel est le bilan de JEF ?

A. S. : En moyenne, JEF a suivi 200 entrepreneurs par bureau et permis la création nette de 30 entreprises par bureau et par an, soit environ 900 entreprises en 6 ans. À la différence des chambres de commerce ou des boutiques de gestion qui ont une démarche généraliste, JEF est la seule association de création et de développement économique ciblée sur les jeunes de banlieue, c’est-à-dire créée par des entrepreneurs de banlieue pour des entrepreneurs de banlieue.

Mais pour créer une entreprise, il faut des fonds ! C’est là qu’intervient Business Angels des Cités (BAC).

A. S. : BAC est un fond d’investissement dont j’ai eu l’idée. Il s’agit d’offrir ce qui manque cruellement aux entrepreneurs : l’accès aux financements, l’expertise et l’expérience d’un « ange gardien », qui apporte son carnet d’adresses. Ce sont non pas des entreprises qui investissent, mais des individus, c’est beaucoup plus engageant. Non seulement ils investissent financièrement, mais aussi ils s’impliquent en donnant de leur temps. La durée de l’accompagnement va de 3 à 7 ans.


Donnez-nous des exemples.

A. S. : Le premier projet pour lequel BAC a investi s’appelle Kool Halal, installé à Mulhouse. L’investissement s’est élevé à 200 000 € ; le mentor est Jean-Louis Detry, qui était propriétaire de la chaîne de restaurants Léon de Bruxelles. Grâce à notre soutien, deux restaurants Kool Halal ont été ouverts à Lyon et à Montpellier.
La société Bilal est une marque de sportswear, créée dans les années 1990, que nous relançons avec ses fondateurs, originaires d’Arcueil. Le mentor est Christian Blanckaert, directeur général d’Hermès.
Enfin, la société Inaya est un projet partant de zéro, porté par des entrepreneurs de Créteil : c’est un réseau de magasins de distribution de produits cosmétiques ethniques. BAC a investi 300 000 € et le mentor est Patrick de Giovanni, directeur associé du fonds d’investissement Apax.

Combien d’entreprises sont ainsi accompagnées par BAC ?

A. S. : Une dizaine d’entreprises. Business Angels des Cités a été créé en mars 2007, est opérationnel depuis septembre 2007. En 12 mois, un peu plus de 1 million d’euros a été placé, soit 20 % du fonds d’investissement.

Il n’y a pas de prêt à intérêt ? C’est un concept porteur en cette période de crise financière !

A. S. : C’est « islamic compatible » ! Puisqu’on ne prend pas d’intérêt et la notion de risque est bien présente !

En quoi votre culture musulmane a-t-elle influencé votre parcours professionnel ?

A. S. : Mes parents m’ont transmis des valeurs très simples, mais ô combien difficiles à inculquer. Ce sont les valeurs de travail et de respect, de respect de soi-même et de respect des autres. L’explication de la croyance religieuse s’est faite en douceur. Et quand la conscience a commencé à se structurer, je me suis dit qu’on ne pouvait pas être prétentieux au point de croire que l’homme était le summum de l’évolution de l’Univers.


Que conseillez-vous à ceux qui souhaiteraient créer leur entreprise ?

A. S. : Trois mots : du rêve, du travail et du culot. Ne pas s’interdire de rêver, c’est-à-dire ne pas s’interdire de dire : « C’est pour moi, c’est faisable, je peux y arriver. » Du travail, parce que s’il faut avoir la tête dans les nuages, il faut aussi avoir les pieds bien sur terre. Du culot, parce qu’il ne faut pas attendre le carton d’invitation, il faut provoquer sa chance, aller chercher son destin, il faut bouger et ne pas avoir peur de pousser les portes, de passer par les fenêtres quand les portes sont fermées.

Source : salamnews


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur



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