Société

Au lycée Averroès, lassitude et inquiétude après l’annonce d’une possible résiliation du contrat d’association avec l’Etat

Rédigé par | Lundi 30 Octobre 2023 à 11:45

Le lycée Averroès de Lille se voit aujourd'hui menacé d'une résiliation de son contrat d'association avec l'Etat, suscitant l'incompréhension et l'inquiétude de la communauté éducative. Régulièrement confrontée à divers soupçons qui la mette sous pression ces dernières années, sa direction confie sa lassitude sur Saphirnews.



Le lycée Averroès de Lille est aujourd’hui menacé par la préfecture des Hauts-de-France d’une résiliation de son contrat d’association avec l’Etat. © DR
C’est par le biais d’un courrier daté du 18 octobre que le préfet de la Région Hauts-De-France, Georges-François Leclerc, a informé la direction du lycée Averroès de Lille qu’il envisage de résilier le contrat d'association qui lie depuis 2008 l’établissement privé confessionnel à l'Etat.

Le représentant de l’Etat n’expose aucun grief dans la lettre adressée au président de l'association Averroès, Mohamed Damak, et que Saphirnews a pu consulter. Elle indique simplement que « lorsque les conditions auxquelles est subordonnée la validité des contrats d'association cessent d'être remplies, ces contrats peuvent, après avis de la commission de concertation (…), être résiliés notamment par le représentant de l'Etat à son initiative ». Avant toute prise de décision, la direction est convoquée à une réunion de la commission de concertation pour l'enseignement privé qui se tiendra fin novembre à la préfecture.

Au sein de l’établissement, l’incompréhension et l’inquiétude règnent en maître depuis que cette nouvelle menaçante, apprise brutalement d’abord par voie de presse, est tombée. « Nous avons reçu le courrier le lendemain de la parution de l'article du Point » avec la mention « Exclusif », raconte le directeur, Eric Dufour, qui déplore au passage que l’hebdomadaire n’aurait pas pris la peine d’interroger les responsables du lycée avant la parution de l’information. Ces derniers se sont étonnés, dans un communiqué, de « ces fuites à la presse qui perturbent délibérément la sérénité du groupe scolaire », le tout « dans un contexte international et national qui jette l'opprobre sur la communauté musulmane avec une opinion publique exacerbée ».

Le cours d’éthique musulmane toujours en cause ?

Sur le fond, la direction déclare être surprise de la convocation. « On pensait en avoir terminé après la parution (voici plusieurs mois, ndlr) du rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC), vu que l'excellence académique nous a été reconnue », affirme Eric Dufour.

Si, à ce jour, le préfet n'a pas exposé auprès des responsables du lycée les raisons l'amenant à envisager la résiliation du contrat d'association, le directeur pense que c'est « probablement » sur la base de ce qui avait été épinglé par la CRC, à savoir la présence d’un livre jugé problématique dans le programme du cours (facultatif) d'éthique musulmane mais « sur lequel on s'est largement expliqué dessus ».

« Ce qui posait problème, ce n'est pas le cours en lui-même mais la présence dans le programme d’une référence bibliographique, un livre de commentaires des "Quarante Hadiths de l'imam an-Nawawî". Ce qui nous est reproché, ce sont très précisément les commentaires de certains hadiths, par exemple contre la mixité et pour lesquels j'étais moi-même horrifié car ils sont contraires à nos valeurs. Nous sommes un exemple de mixité : mixité hommes-femmes, mixité sociale, mixité d'opinions… », déclare-t-il. Mais, atteste Eric Dufour, les intervenants ne s'appuyaient aucunement dessus pour assurer le cours, « ce ne sont pas les commentaires qui sont enseignés mais les hadiths ». Néanmoins, « cette référence bibliographique a été immédiatement supprimée ».

Une communauté éducative « heurtée » par d’odieux amalgames

« Pour nous, c'est un non-événement » mais sur lequel « il faudra probablement revenir », déclare, d’un ton dépité, le responsable. « Ce qu'on nous reproche n'est jamais explicité en réalité. On ressasse sans cesse les mêmes fantasmes sur le groupe scolaire relayés par une certaine presse », notamment sur le lien supposé d’Averroès avec les Frères musulmans du fait de ses liens historiques avec l'ex-UOIF (aujourd’hui Musulmans de France) à travers Amar Lasfar, aujourd’hui en retrait. « Je veux bien qu'on nous dise ce que cela signifie concrètement d’être en lien avec les Frères musulmans car cela ne veut rien dire… C’est une manière de nous discréditer sans preuve », estime Eric Dufour. De la même manière que Karim Benzema, qui aurait, selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, un lien « notoire » avec les Frères musulmans. « Je ne changerai pas un mot malheureusement de ma tribune écrite en 2016 », déplore le directeur. Parue sur Saphirnews sous le titre « J'ai mal à ma France », il dénonçait alors les « procès en sorcellerie » à l’encontre de son établissement.

Cette convocation aurait-elle aussi à voir avec le contexte actuel, marqué par les attentats à Arras et à Bruxelles ainsi que les événements dramatiques au Proche-Orient ? « Je n'ose pas y penser. Quel lien faire avec nous ? », s’interroge Eric Dufour, qui dénonce au passage le tweet « ignoble » posté par Éric Zemmour le 18 octobre. « Il aura fallu attendre l’assassinat de deux professeurs par des djihadistes pour qu’enfin l’État se pose des questions sur le lycée Averroès, proche des Frères musulmans », avait lâché sur X le polémiste. Et d’ajouter : « N’attendons plus. Il faut interdire les Frères musulmans et tous les organismes liés. »

« On ose tous les amalgames et tous les rapprochements ignobles possibles. Toute la communauté éducative a été heurtée par ces propos », commente le directeur, qui déclare son intention de porter plainte contre le président de Reconquête, probablement pour « diffamation ».

« On avait prévu un hommage à Samuel Party. Puis, en apprenant l'assassinat de Dominique Bernard, il était naturel de l'associer à l'hommage et tout s'est très bien passé », déclare-t-il. Par ailleurs, ce n’est pas peu fier qu’il souligne qu’« aucun incident n'a été relevé à Averroès alors qu'on en a constaté ailleurs dans des établissements publics », 179 selon un décompte du ministère de l’Education nationale.

Toujours est-il que la menace d’une possible résiliation du contrat d'association du lycée suscite l’angoisse, aussi bien du côté des personnels que des élèves et de leurs parents. « Ce serait une catastrophe » car « cela voudra dire faire partir nos enseignants titulaires » qui forment le gros des troupes enseignantes. « Beaucoup de familles devront partir et les élèves ne sauront pas quoi devenir », imagine-t-il. « Derrière tout cela, c’est aussi à tout un ensemble de citoyens français de confession musulmane qu’on s’attaque. »

Une équipe soudée malgré l’extrême lassitude

« Chaque année, on voudrait être tranquille et travailler convenablement, sans pression, sans faire l'objet de soupçons permanents. » Mais chaque année, et « malgré la douzaine d'inspections depuis 2015 qui ont chacune démontré notre excellence académique, (de celle) qui a propulsé des milliers de jeunes dans la société qui apportent leur contribution à la République », c’est rebelote. D’où, ressent-on, l’extrême lassitude des hommes et des femmes qui font vivre l'établissement depuis son ouverture en 2003.

« On ne cesse de mettre en place des activités ouvertes sur l'extérieur. Cela ne suffit apparemment pas et je ne sais pas ce qu'on peut faire de plus pour démontrer notre adhésion aux valeurs de la République. On fait en sorte que nos élèves soient épanouis, qu’ils soient en adéquation avec les principes républicains mais on est en permanence soupçonné de faire le contraire et, pour les profs, c'est insupportable. »

En dépit des polémiques, le groupe scolaire Averroès ne perd pas en attractivité, assure Eric Dufour. « Au contraire, nous recevons toujours beaucoup de demandes d’inscriptions que nous sommes obligés de refuser, faute de places et de moyens. Les familles nous font confiance depuis des années dans la pédagogie de l'établissement », bien que seul le lycée, toujours sous asphyxie financière, soit aujourd’hui sous contrat avec l’Etat.

2023 est « la septième année qu'on demande le contrat d'association pour le collège mais le refus est systématique », fait part la direction. Plutôt, « à chaque demande, il y a un délai de trois mois au-delà duquel la non-réponse est implicitement une réponse négative ». Les polémiques régulières qui secouent Averroès ne sont possiblement pas étrangères à cette situation. « Cet énième épisode que nous vivons ressoude la communauté éducative face à ce qu'elle considère comme une injustice. » A défaut de pouvoir, une bonne fois pour toutes, mettre fin aux éternels soupçons qui pèsent sur Averroès, la direction a bon espoir d'être écoutée des autorités préfectorales pour que l'avenir du groupe scolaire ne soit pas mis en péril.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur