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Points de vue

Abdelkrim Al-Khattabi, figure de la lutte anticoloniale marocaine

Par Seyfeddine Ben Mansour

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Jeudi 25 Avril 2013 à 07:41

           


Lors de sa récente visite au Maroc, les 4 et 5 avril dernier, François Hollande a loué la « stabilité » d’un pays aujourd’hui souverain.

Hasard du calendrier, cette visite officielle du chef de l’Etat suivait de peu le 101e anniversaire du traité de Fès (30 mars 1912), qui consacrait la mainmise de la France sur la partie centrale du royaume chérifien, le nord et le Sahara occidental étant sous tutelle espagnole.

Fils d’un notable local

Ce traité fut perçu comme une trahison par les nationalistes marocains. Il mènera à terme à la guerre du Rif (1919-1926) entre les Espagnols et les tribus berbères du Nord. Mais surtout à l’émergence d’une des figures de proue de la résistance marocaine, Abdelkrim (1882-1963), et à l’édification du premier Etat issu d’une guerre de décolonisation au XXe siècle, l’éphémère République du Rif (1921-1927).

Muhammad Ben ‘Abd al-Karim al-Khattabi, passé à la postérité sous le nom d’Abdelkrim, est le fils d’un notable local, magistrat (cadi) et chef de la tribu berbère des Aït Ouriaghel, qui lui enseignera le Coran et la théologie. Celui-ci l’enverra ensuite à Fès poursuivre des études supérieures dans la vénérable université al-Qarawiyyin, fondée en 859. S’il y reçoit une solide formation en sciences religieuses, qui lui permettront d’exercer en tant que juge religieux – il sera nommé en 1915 cadi en chef de Melilla –, il en retire aussi l’idée que ce savoir, sous cette forme, ne permet pas d’affronter les défis du présent. Il achève sa scolarité en Espagne, où il étudiera le droit à l’université de Salamanque pendant trois ans.

Combattre l’ignorance de la oumma

Ce séjour achèvera de le convaincre que c’est par les moyens de la modernité occidentale que la oumma pourra être émancipée, que pourront être combattus l’ignorance et le sous-développement qui ont conduit à la colonisation.

Il abandonnera ainsi de la tradition, qu’elle soit berbère ou musulmane, ce qu’il considérait comme de nature à entraver ce progrès qu’il appelait de ses vœux : le droit coutumier berbère, les châtiments corporels prescrits par la charia, mais aussi le maraboutisme (culte des saints).

Celui qui, à tort ou à raison, prétendait descendre de Omar Ibn al-Khattab, compagnon du Prophète et calife, conserve au contraire une référence islamique forte, centrée autour de l’unicité de Dieu et des valeurs d’équité et de respect, conçues comme à la fois authentiques et modernes : il protège la communauté juive (conformément à la tradition musulmane), associe les femmes à la lutte armée (conformément à la tradition berbère), institue un système moderne d’amendes et de peines de prison, etc.

La République du Rif, référence aux Jeunes Turcs

Aussi, lorsque après avoir défait l’armée espagnole à la bataille d’Anoual, il proclame en 1921 la République du Rif, la référence aux Jeunes Turcs – parangon de la modernité en islam en ce début de XXe siècle – est claire, aussi bien dans le nom officiel de l’Etat, avec l’emploi du néologisme jumhuriyya (en turc, cumhuriyet), « république », que dans son drapeau, dans lequel figure le croissant ottoman.

Car Abdelkrim mettait un point d’honneur à doter l’Etat de tous les attributs de la souveraineté nationale : un drapeau, une capitale (Adjir), une monnaie (le riffan), un Parlement, une banque d’Etat, des tribunaux, un palais du gouvernement, etc. Celui qu’un rapport secret espagnol décrit comme « rêv(ant) à la grandeur du peuple musulman » était en effet convaincu que le développement passait par la création d’un Etat moderne.

Le rêve ne durera pas. Fin 1925, la France et l’Espagne créent une force commune d’un demi-million de soldats appuyés par des chars et des avions, qui bombarderont les villages au gaz moutarde. Néanmoins, l’expérience rifaine aura montré, dès le début du XXe siècle, qu’aucune puissance n’est invincible. Elle inspirera les Vietnamiens.


Première parution de cet article, le 15 avril 2013, dans Zaman.





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