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Religions

Vincent Feroldi : « Année de la Miséricorde : chrétiens et musulmans sont des citoyens avec des valeurs à partager »

Rédigé par | Mardi 29 Mars 2016 à 08:30

           

Prêtre depuis 38 ans, né en Lorraine, Vincent Feroldi est, depuis septembre 2015, à la tête du Service national des relations avec les musulmans (SNRM ; ex-Service des relations avec l’islam, SRI) au sein de la Conférence des évêques de France. Historien de formation, l’ancien délégué en charge des relations avec l’islam, dans le diocèse de Lyon, a auparavant vécu six ans au Maroc, fut douze ans aumônier de prison sur Lyon, et est toujours actuellement aumônier d’hôpital. Une connaissance de la diversité du monde musulman et un enracinement de proximité qui font de l’interreligieux, vu par Vincent Feroldi, un concept qui va au-delà du simple dialogue.



Pour Vincent Feroldi , directeur du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM), il importe d’« éviter un front commun des religions “contre” la société. Il s’agit de montrer que nous sommes non pas “contre” mais “au cœur” ». « Nous tenons en effet à faire entendre notre voix et que soient bien prises en compte aussi les spiritualités », ajoute-t-il. « Il y a là à réfléchir ensemble sur les valeurs dont nous sommes porteurs et que nous aimerions partager avec la société. »
Pour Vincent Feroldi , directeur du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM), il importe d’« éviter un front commun des religions “contre” la société. Il s’agit de montrer que nous sommes non pas “contre” mais “au cœur” ». « Nous tenons en effet à faire entendre notre voix et que soient bien prises en compte aussi les spiritualités », ajoute-t-il. « Il y a là à réfléchir ensemble sur les valeurs dont nous sommes porteurs et que nous aimerions partager avec la société. »

Saphirnews : En quoi le changement de nom du SRI en SNRM reflète-t-il l’évolution du service au sein de la Conférence des évêques de France ?

Vincent Feroldi : Un changement de nom est un événement important. Il semblait intéressant de mettre en avant aujourd’hui que, pour l’Église, ce qui est premier n’est pas tant une réflexion sur la religion ou la connaissance d’une religion que de vivre des relations avec des personnes croyantes et d’une autre tradition.

Après 42 ans de vie du Service national pour les relations avec l’islam (SRI), le changement de nom met bien en avant ce qui est au cœur de notre vie : la relation avec les croyants. Par ailleurs, quand on dit « l’islam », beaucoup de gens pense qu’il y a une seule manière de vivre cette religion. Or si l’on va au Maroc, au Pakistan, au Liban ou en Syrie, on peut voir des témoignages divers de la pratique musulmane. Ce changement de nom permet aussi de faire apparaitre cette dimension plurielle de la pratique musulmane et la diversité des croyant-e-s musulman-e-s.

Vous avez eu une longue expérience en tant que délégué diocésain en charge des relations avec l’islam au sein du diocèse de Lyon. Nouvellement nommé directeur du SNRM, qu’avez-vous envie d’impulser ?

Vincent Feroldi : D’abord, j’ai envie d’impulser une dynamique de la rencontre. Mais j’invite aussi les chrétiens à entrer dans la complexité du monde musulman. Beaucoup de catholiques me disent : « Et les soufis ? » D’autres vont me dire : « L’islam, c’est Daesh, c’est le terrorisme jihadiste ! » D’autres vont parler des salafistes… Certains courants vont nous faire peur et d’autres non. Il s’agit donc de regarder précisément ce que recouvre le monde musulman et d’entrer dans cette complexité. Ensuite, il s’agit d’impulser un a-priori de sympathie quand on va à la rencontre d’un croyant, et non pas penser que cet autre viendrait nous contester dans notre culture chrétienne. Lui parler, l’écouter pour découvrir quelle est sa vie de croyant. La quatrième impulsion est de prendre en compte la dimension citoyenne de la personne : nous sommes des croyants au cœur même d’une société et vivant dans un État laïc.

Vous avez été à l’initiative du forum islamo-chrétien, avec Azzedine Gaci, qui existe depuis cinq ans. Comment prolonger cette dynamique ?

Vincent Feroldi : Vu la gravité des évènements internationaux, la montée de la violence, entre autres liée au terrorisme jihadiste, et l’inquiétude devant un monde qui change, il nous faut changer de paradigme. Dans un monde qui bouge où l’on perd un peu nos repères, il y a une montée de la quête identitaire. Et, au sein même de la communauté catholique, beaucoup s’interrogent et se disent que la société ne reconnait même plus les chrétiens et ne leur accorde plus de place.

Dans ce contexte général de remise en cause, les forums national et régionaux islamo-chrétiens veulent permettre un échange entre les croyants mais au cœur d’une société bien précise. Notre réflexion ne peut être la même si l’on est en France, en Algérie, en Turquie ou en Allemagne…, parce que le contexte de la société est différent. Il faut donc tenir compte à la fois de notre dimension spirituelle et de notre dimension citoyenne. C’est ainsi que le samedi 4 juin 2016 auront lieu quatre forums islamo-chrétiens à Clermont-Ferrand, à Paris, à Laval et à Metz-Woippy sur le thème : « Musulmans et chrétiens, appelés à être des citoyens solidaires ».

Malgré ce long travail interreligieux sur le terrain mené de part et d’autre par les musulmans et les chrétiens, n’assiste-t-on pas à une crispation de la société ?

Vincent Feroldi : Il y a aujourd’hui une véritable crispation et, si l’on n’est pas attentif, certains vont amplifier cette crispation en avançant l’argument qu’il y a une « guerre des religions ». Par ailleurs, il y a une réelle interrogation, une réelle peur par rapport aux mouvements migratoires et à l’accueil des réfugiés. Dans ce contexte, il peut y avoir une tentation du repli sur soi, émanant de la communauté nationale ou bien encore d’une communauté spirituelle ou religieuse. Combien de fois entend-on : « N’allons-nous pas avoir une invasion de l’islam ? »

Dans ce contexte de quête identitaire et de crispation et face à une violence que certains voudraient identifier comme étant une violence à connotation religieuse, il me semble important de réfléchir, avec d’autres, sur le projet de société que nous voulons. Il faut que les communautés croyantes prennent leur place dans les débats et les prises de décisions qui peuvent concerner l’ensemble de la société française.

Quels sont les thèmes communs sur lesquels chrétiens et musulmans peuvent travailler pour bâtir et améliorer cette société ?

Vincent Feroldi : La France a eu l’honneur d’accueillir la COP21. Or toute une réflexion autour du thème écologique existe en tant que croyants, dans chacune de nos traditions. Nous avons la chance d’avoir un très beau texte du pape François à l’été 2015. Nous avons à travailler ensemble pour impulser cette réflexion sur l’écologie au sein de la société.

La deuxième thématique fondamentale et urgente à traiter est la question des migrations et de l’accueil des réfugiés : au sein de nos communautés, au sein de notre pays mais aussi au niveau européen et mondial.

Une autre thématique est celle de la famille, et en particulier la question des mariages, qui, en France, sont de plus en plus interculturels. Or, derrière l’interculturel, il y a de l’interreligieux. Les jeunes couples viennent vers nous, responsable religieux, chrétiens et musulmans, et nous disent vouloir fonder une famille en voulant que chacune des traditions spirituelles les accompagne sans pour autant souhaiter la conversion du conjoint. Il y a là un chantier à creuser…

La première prière de 2016 du pape a été consacrée au dialogue interreligieux. Que cela dénote-t-il ?

Vincent Feroldi : Le pape François s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs et depuis qu’il est arrivé à cette responsabilité il a toujours été sur cette ligne d’affirmer que le dialogue interreligieux n’est pas de l’ordre optionnel. Aujourd’hui, c’est notre devoir, nous, catholiques, de vivre un dialogue fécond. Rien que d’entrer en dialogue, c’est reconnaitre une valeur à la religion de l’autre : j’accepte que l’autre m’interpelle, m’enrichisse, me questionne, je sais que l’autre va se mettre à mon écoute et que, à partir de ce moment-là, nous entrons dans un chemin nouveau et allons vivre tous les deux un déplacement.

C’est ce à quoi nous invite Nostra Aetate, adopté lors du concile Vatican II, qui est finalement pour nous, aujourd’hui, notre charte de l’interreligieux. Que le pape ait choisi pour première thématique le dialogue interreligieux en cette année jubilaire de la Miséricorde est un message, pour moi, très beau et je m’en réjouis car il me conforte dans ma propre responsabilité.

(De g. à dr.) : P. Vincent Feroldi ; Mgr Renauld de Dinechin, vicaire général de l’archidiocèse de Paris ; P. Christophe Roucou, ex-directeur du SRI.
(De g. à dr.) : P. Vincent Feroldi ; Mgr Renauld de Dinechin, vicaire général de l’archidiocèse de Paris ; P. Christophe Roucou, ex-directeur du SRI.

Le pape François a décrété l’année 2016 année de la Miséricorde. Que cela signifie-t-il pour les catholiques ?

Vincent Feroldi : Plus exactement, l’année de la Miséricorde a démarré le 8 décembre 2015 et se termine le dernier dimanche de l’année liturgique qui s’achève le 20 novembre 2016. On s’inscrit donc dans un calendrier liturgique mais elle recouvre quasi l’année civile 2016. Un jubilé est un moment important de la vie du catholique. Et la thématique est l’année de la Miséricorde. Elle arrive au lendemain de la clôture du synode sur la famille, d’une longue réflexion sur la réforme de l’Église et au cœur d’une période très difficile pour le monde. Dans ce contexte, le pape demande aux catholiques, tout au long de cette année jubilaire, de mener un travail de méditation autour de la miséricorde, et que la miséricorde nourrisse notre spiritualité, notre vie ecclésiale et notre vie avec les autres.

Cette thématique de la miséricorde a-t-elle une implication dans votre travail sur l’interreligieux ?

Vincent Feroldi : Oui, le thème de la miséricorde m’apparait dans la foi musulmane où Dieu le Tout-Miséricordieux est un des noms divins et se trouve en début des sourates. Quand on parle de Dieu le Miséricordieux, que met-on derrière cette expression ? Je suis sûr que le chrétien ne va pas en parler de la même façon que le musulman et vice-versa. Je pense que cela va être un chemin d’enrichissement mutuel sur le Dieu Miséricordieux.

C’est un chantier qui s’ouvre tout au long de l’année, où nous allons inviter à ce que, dans les diocèses, les chrétiens non seulement réfléchissent entre eux mais aussi le proposent aux musulmans : partageons sur cette notion de la miséricorde et agissons ensemble autour de la miséricorde. À nous mettre en œuvre de cette miséricorde.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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