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Points de vue

Le dialogue n’est pas une option, c’est une nécessité

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Mardi 6 Janvier 2015 à 14:32

           

Avec plusieurs personnalités musulmanes, et accompagnée de responsables de la Conférence des évêques de France, Mohammed Moussaoui, président de l’Union des Mosquées de France (UMF), est parti effectuer un voyage au Vatican mardi 6 janvier à la rencontre du pape François. L'ex-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) rappelle à cette occasion les enjeux du dialogue interreligieux.



Le dialogue n’est pas une option, c’est une nécessité
Au moment où des extrémistes s’expriment avec violence et usent de toutes leurs forces pour exacerber les tensions et attiser les peurs, nous, qui sommes engagés dans le dialogue entre chrétiens et musulmans, devons assumer notre rôle de témoin qui, par sa présence, par sa constatation des faits et par son désir et sa volonté de les modifier dans le sens du bien, entend contribuer humblement à changer le cours des évènements et faire éviter l’irrémédiable : « Nous avons fait de vous une communauté éloignée des extrêmes pour que vous soyez témoins parmi les hommes et que le Prophète soit témoin parmi vous. » (Coran : 2-143)

Nous constatons avec souffrance que la paix est attaquée dans de nombreuses parties du monde, où font rage des conflits de diverses sortes. Ces conflits font des milliers de victimes, jettent des milliers de réfugiés dans des camps et poussent des milliers de migrants à risquer leurs vies : « On ne peut tolérer que la Mer Méditerranée devienne un grand cimetière ! », a dit récemment le Pape François.
Notre souffrance est d’autant plus grande que certains acteurs de ces conflits s’obstinent à afficher leur référence à l’islam pour justifier leur barbarie abjecte et leur profond mépris pour la vie et la dignité humaines.

Par la mise en scène de leur violence sur les minorités religieuses notamment chrétiennes et sur les ressortissants des pays occidentaux ainsi que la présence, dans leurs rangs, de jeunes issus de ces pays, ces terroristes espèrent donner à ces conflits une prétendue dimension religieuse et créer des espaces de confrontation au sein même de ces pays. La France, qui compte la plus grande communauté musulmane d’Europe, est particulièrement concernée puisque près de 1 200 jeunes français se trouveraient, à différents degrés, impliqués dans les conflits d’Irak et de Syrie.

Dans ce contexte, le dialogue entre chrétiens et musulmans est plus que jamais une nécessité vitale.

Le dialogue, un devoir religieux et une nécessité pour la paix

La paix dans une société multiculturelle comme la nôtre dépend largement de la capacité de ses citoyens à travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la reconnaissance mutuelle. L’expérience montre que ceux qui pratiquent ce dialogue au quotidien ont une capacité de résistance indéniable aux impacts des conflits extérieurs ou intérieurs et des propagandes qui les entourent. Au contraire, ceux qui considèrent ce dialogue inutile et l’assimile à une « perte de temps » sont souvent tentés de trouver dans ces conflits et ces propagandes des arguments supplémentaires pour leur scepticisme à l’égard du dialogue.

Le Coran invite les musulmans à prendre conscience de la nécessité de dialoguer avec les gens du livre de la meilleure manière possible :

- « Ne discute avec les gens du Livre que de la manière la plus douce – sauf avec ceux d’entre eux qui sont injustes. Dites : "Nous croyons à ce qui nous a été révélé et à ce qui vous a été révélé ; votre Dieu est bien le nôtre et nous Lui sommes entièrement soumis". » (Coran : 29-46)
- « Tu constateras que les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : « Oui nous sommes chrétiens ! » parce qu’on trouve parmi eux des prêtres et des moines qui ne s’enflent pas d’orgueil. Tu vois leurs yeux déborder de larmes lorsqu’ils entendent ce qui est révélé au Prophète, à cause de la vérité qu’ils reconnaissent en lui. » (Coran : 5-82)
- « Dieu ne vous défend pas d'être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Dieu aime les équitables. » (Coran : 60-8)

L’Eglise catholique pour sa part, lors du Concile du Vatican II, s’est engagée dans la personne de ses évêques, c’est-à-dire de ses chefs religieux, via le document Nostra Aetate à rechercher la collaboration entre les croyants. Le troisième paragraphe de ce document est consacré à la religion musulmane : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, Vivant et Subsistant, Miséricordieux et Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne. Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. »

Le dialogue n’est pas une option, c’est une nécessité
Le Pape Jean Paul II, lors de sa visite au Maroc, après avoir rappelé cet engagement de l’Eglise catholique a exhorté au dialogue les 100 000 jeunes venus l’écouter à Casablanca le 19 août 1985 : « Le dialogue entre chrétiens et musulmans est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Il découle de notre fidélité envers Dieu et suppose que nous sachions reconnaître Dieu par la foi et témoigner de lui par la parole et l’action dans un monde toujours plus sécularisé et parfois même athée. »

Le pape Benoit XVI, commentant les textes du Concile Vatican II, a expliqué que Nostra Aetate est une déclaration qui engage l’Eglise et ne pouvait donc être considérée comme une simple « annexe » (Le Prêtre et l’Imam, C. Roucou, T.Oubrou, p.48).

Une reconnaissance basée sur le respect mutuel

Dans une déclaration conjointe du Pape François et le patriarche Bartholomé, signée le 30 novembre 2014, on peut lire : « Les grands défis que le monde a devant lui dans la situation actuelle demandent la solidarité de toutes les personnes de bonne volonté. Nous reconnaissons donc aussi l’importance de la promotion d’un dialogue constructif avec l’islam, basé sur le respect mutuel et sur l’amitié. Inspirés par des valeurs communes et affermis par un authentique sentiment fraternel, musulmans et chrétiens sont appelés à travailler ensemble par amour de la justice, de la paix et du respect de la dignité et des droits de chaque personne, spécialement dans les régions où eux-mêmes, un temps, vécurent pendant des siècles dans une coexistence pacifique et maintenant souffrent ensemble tragiquement des horreurs de la guerre. De plus, comme leaders chrétiens, nous exhortons tous les leaders religieux à poursuivre et à renforcer le dialogue interreligieux et à accomplir tout effort pour construire une culture de paix et de solidarité entre les personnes et entre les peuples. »

Le pape a choisi son nom François, en souvenir de l'engagement de Saint François d'Assise pour les pauvres et la vie simple, pour la paix, et pour le respect profond de toute la Création. Ce dernier est aussi considéré comme le précurseur du dialogue interreligieux. C'est la raison pour laquelle sa ville natale a été choisie par le Pape Jean-Paul II comme siège de la Journée mondiale de prière et de dialogue interreligieux en 1986.

Un clin d’œil à l’histoire ! Au temps des cinquièmes croisades, au cœur de ces conflits qui ont ensanglanté une partie de l’humanité pendant des décennies, Saint François d’Assise se rend à deux reprises en juin et septembre 1219 auprès du Sultan d’Egypte Al-Kâmil pour le convertir. Ce dernier le reçoit cordialement et civilement mais refuse le baptême.

Le dialogue doit être une préoccupation pour tous

L’humanité bien qu’elle dispose depuis longtemps de nombreux textes, traités et conventions sur les droits fondamentaux qui reconnaissent à l’Homme sa dignité, sa liberté et la sacralité de sa personne, les évènements du siècle passé et de ces dernières années montrent combien la paix est fragile et a besoin d’être préservée, protégée et consolidée jour après jour. Le dialogue interreligieux peut y contribuer.

Ce dialogue doit être au cœur des préoccupations de toutes celles et tous ceux qui ouvrent pour éclairer et apaiser les esprits et les cœurs face à la peur et l’incompréhension qui peuvent naitre dans la confusion des conflits et des guerres des ignorances. La rencontre d’imams français au Vatican ce 7 janvier 2015 avec la plus grande référence morale et spirituelle de l’Eglise catholique, le Pape François, pourrait générer de nouveaux dynamismes et ouvrir de nouveaux horizons pour ce dialogue.






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