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Points de vue

Vivre intérieurement l’Unicité (Tawhîd)

Conscience soufie

Rédigé par | Mardi 11 Septembre 2018 à 09:00

           


Vivre intérieurement l’Unicité (Tawhîd)
Toute la charpente de l’islam est fondée sur l’attestation de l’Unicité divine, le Tawhîd. Mais qu’est-ce que la reconnaissance de cette Unicité implique en nous ?

En suivant un processus graduel d’intériorisation, nous sommes amenés à passer d’une perception encore extérieure, et donc dualiste de l’Unicité (« je » et le Tawhîd, « je » et Dieu), à sa préhension intérieure, unifiante, bref, à l’expérience. De la perception extérieure de l’Unicité, c’est-à-dire du credo exotérique des musulmans, on peut dire qu’elle laisse ceux-ci dans la dualité, puisqu’il y aurait d’un côté Dieu, certes unique, quelque part sur son Trône, et de l’autre les humains sur Terre, gérant vaille que vaille leur multiplicité.


Le Prophète avait averti en ce sens que, même si les musulmans parvenaient à se libérer de l’idolâtrie grossière (adorer des statues, etc.), ils seraient sujets à l’idolâtrie subtile (shirk khafî), laquelle, selon lui, se repérerait plus difficilement encore que « le cheminement des fourmis sur les pierres par une nuit sombre ».

L’Unicité que nous portons en nous doit nous transformer. Comme le dit une autorité spirituelle, il nous faut passer tôt ou tard de la science extérieure de l’Unicité (‘ilm al-tawhîd) à l’expérience intérieure de l’Unicité (hâl al-tawhîd). Cette expérience demande un accompagnement : « Le Tawhîd est tel le feu : il n’investit pas une chose sans la brûler et sans chasser d’elle ses impuretés ! », écrit le cheikh ‘Alâwî.

De façon concrète, le Tawhîd peut être visualisé comme un axe vertical qui me permet, en permanence, de me recentrer intérieurement : j’ai alors, enracinée en moi, la conscience que je ne fais qu'un avec moi-même, que j’ai une cohérence intérieure. Cette verticalité me libère des dualités et des paradoxes, inhérents à la nature humaine, qui me traversent, me tiraillent. Peut-être alors pourrai-je me réintégrer en l’Unicité, ne serait-ce qu’une seconde ? Par cet ancrage, je me sens assez fort, assez structuré, pour dialoguer avec le monde, pour m’ouvrir aux autres. Je souffre moins aussi, car je situe les choses, les êtres, et donne à chacun son dû, son haqq.


Au-delà, j’en arrive à me poser ces questions : Qui agit en moi ? Qui me gère ? La théologie sunnite la plus commune n’affirme-t-elle pas qu’il n’y a qu’un seul Agent à l’œuvre dans le monde : Lui ? Cela peut m’aider à lâcher prise. Dans ses Sagesses, Ibn ‘Atâ’ Allâh (m. 1309) est clair : « Déleste-toi du gouvernement de toi-même : ce dont un Autre se charge pour toi, ne t’en occupe pas ! »

Observer l’action de Dieu en moi ! N’est-ce pas à cette conscience qu’amène ce célèbre hadîth qudsî, ou « propos saint » : « Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Et quand Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il regarde, sa main avec laquelle il saisit et son pied avec lequel il marche » ?

Osons-nous envisager même les questions que s’est posées Jalâl al-Dîn Rûmî :
Qui est celui qui dans mon oreille entend mon chant ?
Qui est celui qui dans ma bouche dépose ces mots ?
Qui est celui qui dans mes yeux regarde vers l'extérieur ?
Quelle est cette âme dont on dirait que je suis l'habit ?


Osons-nous ? Nous sommes aidés, dans cette opération, par notre témoin intérieur (shâhid), auquel fait allusion le verset coranique 11 : 17. Et peut-être réaliserons-nous, alors, qu’il n’y a d’autre témoin en nous que Lui, en son Nom al-Shahîd !

*****
Président de la Fondation Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du soufisme, professeur à l‘université de Strasbourg. Il travaille également sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a notamment publié L’islam sera spirituel ou ne sera plus (Le Seuil, 2016) ; Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014) ; Le Soufisme (Eyrolles, 2013).

Un séminaire « Vivre intérieurement l’Unicité (Tawhîd) » est organisé par la fondation Conscience soufie, le samedi 15 septembre 2018. En savoir plus ici.


Éric Geoffroy
Président de l'association Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du... En savoir plus sur cet auteur


Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par François Carmignola le 11/09/2018 21:08 | Alerter
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Je vais me permettre, veuillez m'en excuser, de tenter de comparer les consciences pré-mystiques musulmane et chrétienne (la vraie mystique, c'est autre chose, de toute façons) à l'orbe de cet article, par ailleurs d'inspiration soufie.

L'unicité musulmane, principe fondamental s'il en est s'oppose à la trinité chrétienne, ou le divin se matérialise (pardon de l'expression) plusieurs fois. Les conséquence sur l'homme "hormal" en sont énormes...

Alors que le "témoin", "savant", "comtemplateur", bref le "shaid" cité en conclusion de l'article, est l'homme parfait musulman, l'homme chrétien, attaché à un homme parfait, Jésus, qui EST (pour les chrétiens) le fils de Dieu, et donc Dieu lui même (à une distinction formelle prés, voir Duns Scot), l'homme chrétien donc peut devenir, cela lui est promis et donné en exemple, Dieu.

La différence des espérances est saisissante: il n'y a pas photo. L'unicité est affreusement mutilante: elle condamne au malheur de la soumission et de la scission éternelle d'avec le divin. La multiplicité impensable chrétienne toute entière divinisée, et qui s'étend à toute l'humanité, me semble clairement plus enthousiasmante. Mais je ne suis qu'un amateur.

Je sais bien qu'on peut dire l'inverse: l'anihilation dans le divin unique intellect de toute l'humanité fait de la mystique musulmane une possible totalité achevée tandis que l'homme Dieu Jésus reste le seul a être vraiment associé au divin, les individus chrétiens n'étant que des âmes associées.

Que...  

2.Posté par Nisrine le 25/09/2018 08:50 | Alerter
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C'est très gentil, mais non merci. Je préfère largement vivre intérieurement, extérieurement et même au bord, mon athéisme, c'est-à-dire l'évidence de la vérité : toutes les superstitions religieuses sont, au mieux, un ramassis de mensonges ridicules, et au pire, un déferlement de haine fanatique, égorgiste et pédophile.


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