Points de vue

Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « révisionnisme »

Rédigé par Pierre Henry | Mercredi 1 Juin 2022 à 11:25

Les mots qui fâchent, les mots du vocabulaire politique, souvent mal connus, employés de manière inappropriée, instrumentalisés sont nombreux. Ils se répètent et se buzzent en réseaux, confortant postures et partis pris. Ils font débat et nous divisent. Ce sont les mots piégés du débat républicain. Ces mots, nous allons les déminer, les expliquer ou simplement vous permettre de mieux les connaître. Le mot du jour ici décrypté : le révisionnisme.



Pour vérifier que le moteur de votre voiture fonctionne, vous en faites la révision. Révision, ça vient du latin reviso. Viserer, c'est voir attentivement. Réviser quelque chose, c'est l'examiner à nouveau pour éventuellement le modifier. Vous pouvez demander la révision d'un procès, par exemple, si vous apportez de nouvelles preuves. Dans le cas de la célèbre affaire Dreyfus, ceux qui voulaient qu'on réexamine son dossier, qu'on en fasse la révision pour prouver son innocence, étaient appelés des révisionnistes. Oui, oui.

Pendant longtemps, quand les historiens faisaient du révisionnisme historique, tout le monde comprenait qu'ils avaient trouvé de nouvelles données, archives, preuves pour donner une nouvelle lecture de l'histoire, une autre approche. Dans les années 1970, voici que certains prétendent que la Shoah n'a jamais existé et que les faits perpétrés par les nazis ne correspondaient pas aux atrocités décrites par les historiens. Mais ces pseudo-historiens qui remettaient en cause les faits les révisaient d'une certaine manière, ne s'appuyaient sur aucune preuve. Or, nier le génocide juif, l'existence des chambres à gaz, ce n'est pas du révisionnisme historique, c'est du négationnisme, terme issu du latin negare, « dire non, refuser quelque chose à quelqu'un ».

Le mot « négationnisme » a été créé par l'historien Henry Rousso en 1987. Et c'est justement pour empêcher que ceux qui niaient la réalité de l'histoire ne soient pris pour des révisionnistes historiques, une discipline scientifique, pour mieux diffuser leurs idées antisémites. Le négationnisme fait au départ référence à ceux qui contestent l'extermination des Juifs. Le terme est aujourd'hui utilisé pour évoquer la remise en cause ou la minimisation d'autres crimes contre l'humanité. Refuser de parler de génocide contre les Tutsis au Rwanda mais de massacres inter-ethniques Hutu-Tutsi, c'est du négationnisme. Négationnisme encore que de prétendre que le génocide arménien n'a pas eu lieu, que les goulags soviétiques ou les crimes de Staline n'ont pas existé, pas plus que les attentats du 11 septembre 2001.

Depuis la loi Gayssot de 1990, le négationnisme est un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le révisionnisme, celui qui se propage aujourd'hui sur les plateaux TV et les réseaux sociaux, n'a plus rien de scientifique. Les révisions faites de contre-vérités, de réinformation, s'apparentent à des falsifications de l'histoire. Elles empruntent souvent les codes propres aux complotistes à des fins idéologiques. Mais pour que les outrages à la mémoire ne soient plus possibles, il faut permettre à la vérité historique de l'emporter. C'est là une mission de service public, très loin de la recherche permanente du buzz, chère aux chaînes d'opinion.

Après être revenu sur l'origine du mot « révisionnisme » et sa balade dans l'actualité, un spécialiste nous aide à y voir encore plus clair. Ici Valérie Igounet.

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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.

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