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Ramadan

Le premier Ramadan des réfugiés musulmans

Rédigé par Mérième Alaoui | Lundi 22 Mai 2017 à 08:55

           

Depuis le démantèlement du bidonville de Calais en octobre 2016, des centaines de migrants sont livrés à eux-mêmes. Beaucoup passeront leur premier Ramadan dans la rue.



« A friend in need is a friend indeed [C’est dans le besoin que l’on connait ses vrais amis] », lit-on sur une des tentes installées dans la jungle de Calais, avant son démantèlement en octobre 2016 et où vivaient plus de 7 000 femmes, hommes et enfants. (Photo © Saer Saïd)
« A friend in need is a friend indeed [C’est dans le besoin que l’on connait ses vrais amis] », lit-on sur une des tentes installées dans la jungle de Calais, avant son démantèlement en octobre 2016 et où vivaient plus de 7 000 femmes, hommes et enfants. (Photo © Saer Saïd)
« À Calais, il y avait un restaurant, des mosquées… Ici, c’est différent. On va voir… » C’est tranquillement que Hamidou, Soudanais d’une vingtaine d’années, se prépare au mois de jeûne du Ramadan 2017. Le jeune homme n’a pas voulu monter dans un bus pour rejoindre un Centre d’accueil et d’orientation (CAO) comme la majorité des migrants installés dans ce qui fut le plus grand bidonville d’Europe. Arrivé en France depuis près d’un an, il cohabite avec des compatriotes aux abords du périphérique de Porte de La Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris. Mais il garde le même objectif : traverser la Manche. Ces réfugiés livrés à eux-mêmes survivent grâce à la solidarité d’associations et de particuliers.

Une chaine de solidarité

En islam, la solidarité est obligatoire, outre la zakât al-Fitr (5 € par personne) versée aux nécessiteux en fin de mois de jeûne. Il est même recommandé de privilégier les démunis les plus proches localement de son lieu de vie. Au nord de Paris, qui rassemble nombre de quartiers populaires, les musulmans s’organisent pour des distributions de repas. Ils savent bien quels sont les bienfaits de « nourrir un jeûneur » comme l’enjoint le Texte coranique. À la veille du mois saint, on assure à Hamidou et à ses amis que « tout va bien se passer ». Même si les deux camps du nord de Paris ont été démantelés quelques semaines avant le jeûne, le 9 mai.

« En réalité, il y a des petits campements un peu partout dans le nord de Paris depuis des années », explique Selim de l’association Au cœur de la précarité. La Chapelle rassemblait près de 1 500 Soudanais, Érythréens, Afghans et Pakistanais. La plupart ont été pris en charge dans des CAO.
« Dans ces centres, on s’occupe de leur santé, on les aide à monter un dossier de demande d’asile. Bien sûr, ils sont nourris. Mais il n’y aura pas de conditions particulières pour le Ramadan », raconte une bénévole du centre d’accueil d’urgence du 18e arrondissement de Paris, surnommé le « centre Hidalgo ».

Comme les réfugiés savent bien qu’une importante chaine de solidarité se met en place pour leur offrir un repas chaud chaque soir, tous les acteurs de terrain parient sur l’installation d’un nouveau grand camp à la veille du jeûne. « Nous avons 7 ans d’expérience, notre organisation est rodée. Nous savons nourrir un grand nombre de personnes dans un cadre sécurisé », poursuit Selim. Les réfugiés jeûneurs préfèrent partager un repas nourrissant et qu’ils apprécient, même si c’est dans la rue. L’important est de « casser le jeûne ensemble » et de « mieux ressentir l’ambiance du Ramadan ». Même les migrants qui ont la chance d’avoir une place dans un CAO se renseignent déjà et envisagent de se déplacer chaque soir sur le lieu de distribution qui sera installé.

Une organisation millimétrée

Pour nourrir tout le monde, il faut une organisation millimétrée. « Nous faisons du repérage pour trouver une grande place dans le secteur. Il faut de la sécurité et que ce soit pratique pour notre logistique », nous souffle-t-on. L’association Au cœur de la précarité, est présente depuis 2009 auprès des plus démunis, notamment les SDF. C’est naturellement qu’ils ont augmenté la cadence pour les réfugiés arrivés par centaines. « Sur le terrain, on voit parfois de bonnes volontés, des gens qui prennent beaucoup de temps pour cuisiner… Mais je conseille toujours de prendre contact avec nous ou avec d’autres associations. » Lors des distributions de repas, il n’est pas rare que de violentes bagarres éclatent à cause de dépassement dans la file d’attente ou parce que les marmites sont vides plus vite que prévu… La situation peut vite dégénérer. « De plus, il y a une certaine heure à respecter pour la distribution. Il ne faut pas être en retard. Tout cela, on l’apprend en passant du temps sur le terrain. »

Depuis 2009, l'association Au cœur de la précarité agit auprès des sans-domicile fixe et, ces dernières années, auprès des réfugiés.
Depuis 2009, l'association Au cœur de la précarité agit auprès des sans-domicile fixe et, ces dernières années, auprès des réfugiés.
Le message est passé auprès de certains fidèles de mosquées qui veulent aider sans forcément distribuer. « Très régulièrement, on m’appelle pour me demander un “plan hassanât” [bonnes actions, ndlr]. Une dame m’a récemment donné 500 €. Sachant que 1 repas coûte 1 €, elle va pouvoir nourrir 500 personnes », calcule Selim. Sans oublier les personnes très fortunées qui, du jour au lendemain, font d’importants dons qu’il faut gérer. « Un émir a déjà offert 10 moutons pour les migrants… Il a fallu organiser les méchouis », se rappelle-t-il.

D’autres repas spéciaux sont imaginés pour faire plaisir aux migrants originaires de la corne de l’Afrique. Hanane, de l’association Les Repas du Salem, s’organise pour offrir des repas typiques. « D’habitude, c’est moi qui cuisine. Mais j’ai également fait appel à une cuisinière qui connait les plats typiques soudanais, érythréens… Cela leur fait très plaisir de manger un peu comme à la maison ! » Pour des initiatives de ce genre, Hanane tient à disposition une cuisine solidaire à Clichy, via le collectif Atmos’faire. « J’ai tout ce qu’il faut, il ne manque plus que les ingrédients et les bras ! », précise-t-elle.

Du réconfort et de la dignité

La nourriture, il y en aura donc. « Plus qu’il n’en faut. » C’est surtout de réconfort dont les réfugiés ont besoin. À fleur de peau, épuisés… Il devient nécessaire de sortir ces exilés de leur carcan mental. Pour cela, le Secours islamique France (SIF), qui héberge environ 700 réfugiés dans un centre qu’il a ouvert à Massy mais aussi dans des hôtels en Île-de-France (Clamart, Épinay, Villetaneuse…), revient pour la 8e année consécutive avec les « Tables du Ramadan ». « Un chapiteau est installé à Saint-Denis (Porte de Paris) durant tout le mois de jeûne pour accueillir jusqu’à un millier de personnes, jeûneurs ou pas, migrants ou pas », explique Antoine Osbert, coordinateur des actions sociales au SIF. « Le repas n’est qu’un prétexte pour créer du lien social. Des animations, des rencontres sont prévues. »

Des réfugiés accueillis dans un foyer du Secours Islamique France (SIF) finalisent leur inscription avant qu’on leur attribue une chambre. (Photo © SIF)
Des réfugiés accueillis dans un foyer du Secours Islamique France (SIF) finalisent leur inscription avant qu’on leur attribue une chambre. (Photo © SIF)
« Il faut voir quand on prend le temps de discuter avec eux : ils sont tellement heureux… », confirme Loubna, 45 ans. Engagée dans aucune association, elle œuvre depuis longtemps dans le fisabilillah (action en vue de l’agrément de Dieu). Elle se prépare pour offrir plus d’un millier de repas chaque soir du Ramadan. « J’ai entretenu une longue chaine de solidarité avec des proches, des bénévoles. Quand j’ai besoin de 100 kg de riz ou de 10 bénévoles pour la distribution par exemple, je fais une annonce générale. J’ai toujours des réponses positives ! »

Énergique et motivée, Loubna compte bien se greffer à l’organisation d’une autre grande association déjà investie auprès des réfugiés. Le SIF, par exemple, accepte des dons en nature de produits frais ou secs (semoule, lait, dattes...). « Évidemment, il faut s’organiser en groupe pour avoir le meilleur résultat possible », poursuit celle qui n’hésite pas à embarquer mari et enfants sur le terrain.

Sur place, Loubna a pu repérer d’autres besoins hormis la nourriture. « Il y a la distribution de kits d’hygiène, notamment pour les dames. Mais aussi de vêtements propres appropriés. » Autant de besoins qui dépassent le simple fait de se nourrir. Des besoins humains, des besoins criants de dignité.





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