Points de vue

J’ai mal à ma France : de la misislamie ou la République face à elle-même

Rédigé par Éric Dufour | Mardi 19 Avril 2016 à 15:41



En réponse à un enseignant de philosophie de sinistre mémoire, vain fossoyeur d’une communauté éducative admirable, j’ai nommé Averroès, j’avais lyriquement déclaré ma flamme à mon établissement voilà un peu plus d’un an.

Devant les diffamations répétées de l’imposteur et la complaisance de certains médias pour un sujet polémique porteur, vendeur, voire racoleur, je sors de ma réserve et reprends la plume, agacé, irrité, ulcéré par la mégalo-mythomanie dudit autoproclamé apprenti philosophe tartuffié.

Entre amalgames scandaleux, raccourcis douteux et mensonges éhontés, notre chevalier immaculé de la République, grand pourfendeur des musulmans pas à son goût, a enfourché son destrier blanc pour noircir l’Islam de France et son enseignement privé incarné par le lycée Averroès.

Qui est d’ailleurs ce Monsieur Zitouni à part un obscur enseignant sorti de l’anonymat en calomniant une institution respectable et respectée ?

Les experts en tout, autrement dit en rien

Grisé par ses nombreuses apparitions éphémères dans l’univers médiatique, galvanisé par un contexte misislamique, l’islamophobie étant de loin dépassée, valorisé par quelques pathétiques figures fatiguées nostalgiques de la France blanche et chrétienne, le pauvre petit prof puéril perdu dans sa perfidie a commis une confession, Musset de bas étage, Socrate de bazar, que son habile attaché de presse impose sur les plateaux avides de sensationnel.

Libre à lui de se répandre sur sa vie privée, son enfance, ses relations avec son père ; ce garçon avait des comptes à régler et l’écriture est faite pour cela comme l’a écrit le regretté Michel Tournier : « J’écris pour essayer de vivre mieux. »

Passe encore le débat sur l’islam et des considérations largement approximatives répétées à l’envi ; chacun est fondé à se proclamer spécialiste de quelque chose dans une société où les experts en tout, autrement dit en rien, sont légion dès qu’un événement surgit sous les feux obscurs de l’actualité. Mais comme de bien entendu, il attaque tous azimuts, une nouvelle fois, au mépris d’une première condamnation, le lycée Averroès, son équipe éducative et ses élèves qui n’ont rien demandé et qui se retrouvent de nouveau salis, traînés dans la boue, jetés en pâture aux journalistes.

Un savant mélange, déjà orchestré par de trop nombreux politiques et leurs relais audiovisuels, est à l’œuvre pour diviser la patrie, stigmatiser, désigner à la vindicte populaire des concitoyens considérés comme complotistes, communautaristes et complices des horreurs commises au nom de leur religion. En somme, des sous-citoyens pas vraiment (ou pas du tout) chez eux, coupables seulement d’être de confession musulmane. Ça suffit !

Le retour des procès en sorcellerie

Je suis Français musulman et je suis chez moi, depuis toujours ! Si je mange halal, prie à la mosquée et œuvre dans un établissement privé musulman, cela ne fait pas de moi un étranger, une curiosité à brûler en place publique et encore moins un terroriste antisémite ! Et il en va de même de mes coreligionnaires ! Si certaines de mes collègues et de mes élèves portent le voile, c’est par choix et pas « un étendard de l’islamisme ».

À un certain moment, il est temps de remettre à leur place les « idiots utiles » de la France décomplexée. J’emploie cette expression stupide qui est constamment adressée à ceux qui, comme Edwy Plenel, Raphaël Liogier Pascal Boniface, intellectuels intègres, contestent la mise en accusation permanente des musulmans dans ce pays. Pourquoi, à l’inverse, les détracteurs de l’Islam, théoriciens du débile « grand remplacement », intellectuels faussaires, inutile de leur faire de la pub, chacun les connaît, ne seraient-ils pas eux aussi taxés d’idiotie ?

Décidément, trop c’est trop, et il faut le clamer haut et fort sous peine d’accepter l’intolérable.

Je ne saurais me prétendre comme « le fils de Mahomet » un spécialiste de l’islam. Je souhaite simplement rétablir un certain nombre de vérités indispensables dans un débat très largement déséquilibré.

Le lycée Averroès serait un repaire de Frères musulmans islamistes salafistes antisémites pro-Hamas adeptes des théories du complot financé par le Qatar, les Emirats et l’Arabie Saoudite. Curieux mélange indigeste de notions oxymoriques et d’amalgames ridicules qui défient les lois de la raison ! Pour le coup, ce n’est vraiment rien connaître à l’islam et à la géopolitique. Mais, si vous voulez condamner quelqu’un à la peine de mort, reprenez ces termes dans l’ordre que vous voudrez, mélangez, secouez, essorez, saupoudrez à la sauce Etat islamique et vous serez le nouveau Top Chef des Torquemada et autres inquisiteurs. C’est donc là que nous en sommes ! Le retour des procès en sorcellerie, des excommunications et des autodafés !

Ceux qui renvoient, à juste titre, les terroristes à leur obscurantisme d’un autre âge se complaisent pourtant dans le même dévoiement absurde sur le chemin de l’ignorance et de la mauvaise foi.

Je l’affirme avec la plus grande force : le lycée Averroès n’est en rien soumis à quelque pays ou idéologie que ce soit. Il n’est pas le moins du monde antisémite et islamiste. Je sais cependant qu’il est insuffisant de le crier puisque mon témoignage ne peut reposer que sur une bonne foi et une sincérité que pourtant tous les actes, tous les reportages et plus encore toutes les inspections démontrent.

N’en déplaise à un salaud, au sens sartrien du terme, tous les cours sont mixtes, les filles sont libres de se voiler ou pas, de s’asseoir à côté des garçons ou pas, comme dans n’importe quel autre établissement scolaire. Les enseignants d’éthique musulmane prônent un islam du juste milieu, respectueux des valeurs de la République, parfaitement compatible avec les lois de notre patrie. Nous condamnons avec fermeté la haine de l’autre quelle qu’elle soit !

Voilà la réalité, ni plus ni moins !

Le règne de la malhonnêteté intellectuelle absolue

Qui parle de complot ? Qui procède par amalgames sous prétexte que le lycée est régi par l’association Averroès proche de l’UOIF ? Qui nous renvoie sans cesse à des Frères musulmans que nous ne connaissons pas, ni leurs cousins d’ailleurs ? Aucun personnel de l’établissement n’a reçu le moindre début de commencement de mot d’ordre de qui que ce soit, sauf celui de bien faire son travail dans le respect des valeurs humanistes de l’Islam. Tenter de prouver le contraire est vain, nul et non avenu.

C’est pourtant l’immonde tentative de notre « ex », ex tout visiblement et surtout ex-musulman ! Nous y sommes ! Ou un musulman sans l’Islam ! Pour qui un bon musulman boit, fume, se drogue, deale, mange du porc et pointe au chômage ! Bref, n’est plus musulman… Mais s’il s’avise de vouloir se cultiver, s’élever socialement, voire entrer dans le débat politique et intellectuel est avec une constance pernicieuse renvoyé à son islamité. Donc un Islam entriste, politique, proche des Frères musulmans et de la Palestine… et le tour est joué, il est discrédité !

Cette stratégie est essentielle et permet d’entrevoir ce qui est à l’œuvre : il faut discréditer par tous les moyens et tous les coups sont permis même les plus infamants. L’intellectuel qui met en perspective et dénonce les accusations à l’encontre des musulmans est taxé de complicité avec les terroristes, de complaisance avec le fondamentalisme et de manier l’éternel « double discours » ! Voilà qui ferme la bouche à tout ! « Ce qu’il dit n’est pas ce qu’il pense. » C’est scandaleux et redoutablement efficace bien que d’une malhonnêteté intellectuelle absolue.
Et je ne parle pas des intellectuels musulmans que l’on censure ou que l’on accuse de tous les maux d’une société bien malade d’elle-même, en souffrance économique et sociale et en perte de repères depuis que la crise a balayé le rêve d’une France « black, blanc, beur ».

Souvenons-nous de Molière : « Ceux de qui la conduite offre le plus à rire, Sont toujours sur autrui les premiers à médire. » Tout est dit depuis trois siècles et demi.

Le rejet de tout ce qui est différent

J’ai mal à ma France, celle des Lumières, de voir des imposteurs, au nom de ces mêmes Lumières, érigés au rang de maîtres à penser. Pire encore, se faire passer pour des éclaireurs minoritaires, pauvres incompris en avance sur leur temps alors qu’ils surfent sur une vague populiste nauséabonde, vendeurs de peur et de haine, à l’ironie facile du prêt à penser ; véritables manuels de la bien-pensance qu’ils dénoncent alors qu’ils en ont imposé une autre, dite réaliste, et défenseurs d’une France qui n’existe plus, si jamais elle a existé ailleurs que dans leurs fantasmes intolérants.

J’ai mal à ma France d’entendre des responsables politiques, antiphrase dans ce cas, jeter de l’huile sur le feu pour de basses et ignobles préoccupations électoralistes, parler d’une laïcité qu’ils ne connaissent pas ou pour la brandir en écharpe contre le voile sans autre forme de procès, revendiquer une société laïque qui célèbre toutes les fêtes catholiques et qui rejette les menus de substitution dans les cantines en imposant du poisson tous les vendredis. Une laïcité pour les musulmans ? Qui pourra sérieusement soutenir le contraire ? Qui tient en permanence un double discours ? De qui se moque-t-on ?

J’ai mal à ma France de la voir, parce qu’elle est attaquée par des barbares, sombrer dans le rejet de tout ce qui est différent, mesurer la longueur des jupes, débattre indéfiniment des droits des musulmans sur son territoire, interdire des lieux de culte, voire réfléchir à remettre en cause l’ouverture d’établissements scolaires alors que ce sont précisément ces espaces ouverts qui seront des remparts à toutes les formes de haine des autres et de soi que l’on appelle radicalisation. Qui se radicalise ?

J’ai mal à ma France quand j’entends des grandes figures de l’intelligentsia féministe se discréditer dans des déclarations absurdes, appeler au boycott pour les uns et le condamner pour les autres, un Premier ministre qui déclare que « le voile est un asservissement de la femme » quand une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint dans tous les milieux de notre société, que les salaires demeurent inégaux entre hommes et femmes et que nos concitoyennes sont victimes de discrimination à l’embauche. Qui veut dévoiler pour mieux voiler ?

Tout remettre à plat et éviter la fracture entre citoyens

En un mot, ras-le-bol, n’en jetez plus, la coupe est pleine. Le triomphe de la bêtise, de la lâcheté, de l’intolérance, la défaite de la pensée comme l’a écrit un philosophe qui s’est lui aussi fourvoyé depuis.

Au lieu de s’en prendre à l’islam et aux musulmans, il est temps de tout remettre à plat et de relire la devise de notre République, bien commun inaliénable, « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il ne suffit pas de la réciter en guise d’étendard à longueur de discours, il est indispensable de la faire vivre sous peine de provoquer ce que souhaitent les marchands de mort qui nous détestent, une véritable fracture entre citoyens.

Combattons ensemble, et pas les uns contre les autres, l’intolérance, la haine et la barbarie. Rejetons tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui divisent et prêchent l’exclusion. Cherchons la voie qui permettra d’inclure chaque citoyen-ne dans la patrie et dans la République.

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Éric Dufour est professeur de lettres et directeur adjoint du lycée Averroès.